Pourquoi une interdiction de conduire n’arrête pas les conducteurs têtus : « Des conducteurs avec des dizaines de condamnations, je les rencontre chaque semaine »

La mort terrible de deux cyclotouristes dimanche a aiguisé le débat sur l’interdiction de circuler. Si une interdiction de conduire n’arrête pas un conducteur ivre qui a été condamné à plusieurs reprises, qu’est-ce qui le fera ?

Yannick Verberckmoes

La sortie de cinq amis cyclistes a tourné à la mort dimanche matin lorsqu’une voiture les a percutés à grande vitesse dans le port de Gand. Il s’est avéré plus tard que le conducteur de 45 ans avait un taux d’alcoolémie de 2,7 et n’aurait jamais dû prendre le volant. Il avait déjà été condamné à trois reprises, dont deux pour conduite sous influence, et s’était vu interdire de conduire au moment des faits. Pour certains conducteurs intransigeants, une telle interdiction semble n’être qu’un morceau de papier, se sont plaints par la suite certains juges de police.

Devant les tribunaux, ils sont souvent confrontés à des conducteurs qui ont violé une interdiction de conduire. « C’est dommage, mais cela arrive à chaque audience », a déclaré la juge de police Dina Van Laethem sur Radio 1. « Nous avons une dizaine de dossiers à chaque audience. » Koen Willebrords, juge de police à Turnhout, y est également constamment confronté. « Nous avons trois séances par semaine et il y en a plusieurs à chaque fois. Cela a définitivement augmenté par rapport au passé.

Chances de se faire prendre

Les accidents mortels, où les conducteurs sont interdits de conduire, sont largement rapportés dans l’actualité. Cela donne l’impression que les conducteurs peuvent facilement s’en sortir s’ils ignorent cette sanction. Mais selon Willebrords, l’augmentation du nombre d’infractions est précisément due au fait qu’il y a davantage de contrôles. Par exemple, la police dispose désormais d’un réseau de caméras ANPR qui permet de repérer les voitures des conducteurs soumis à une interdiction de conduire. « Je pense que les chances d’être attrapé sont plus élevées qu’avant », déclare Willebrords. « Il y a moins d’occasions de passer entre les mailles du filet. »

Mais Willebrords admet également que le système est encore loin d’être étanche. Si un conducteur monte dans une voiture qui n’est pas la sienne, il devient beaucoup plus difficile pour la police de le contrôler. Willebrords voit souvent des conducteurs frappés d’une interdiction de conduire, dont la propre voiture a même été saisie, et qui continuent de conduire. «Ils loueront ensuite une voiture», précise le juge de police. « Ils en empruntent un à un camarade ou utilisent celui de leurs parents. Je vois très peu de conducteurs utiliser de fausses plaques d’immatriculation pour éviter les contrôles.

Si les interdictions de conduire ou les amendes n’ont aucun effet, le juge peut toujours recourir à une peine de prison. Ignorer une interdiction de conduire entraîne une pénalité de 15 jours à deux ans. Si quelqu’un ignore l’interdiction à deux reprises (sur une période de trois ans), il peut être emprisonné jusqu’à quatre ans. Selon certains juges, une peine de prison est le seul moyen de garantir à 100 % qu’un récidiviste ne prendra plus le volant.

Peter D’Hondt, juge de police à Termonde, estime que certains de ses collègues ne prennent pas de mesures suffisamment décisives contre de telles infractions. Il voit des conducteurs se retrouver devant les tribunaux avec une longue liste de condamnations. Selon lui, une peine de prison est parfois nécessaire pour éviter que quelqu’un commette une autre erreur et ne reçoive alors une sanction beaucoup plus sévère. «Je rencontre quelque chose comme ça chaque semaine», explique D’Hondt. « Quelqu’un qui a déjà été condamné des dizaines de fois, dont sept ou huit fois pour conduite sous l’influence de drogues. »

Van Laethem prône la création d’une « prison de la circulation » où les récidivistes purgeront des peines de plusieurs mois. Avec son idée, elle donne un élan à la politique, mais le cabinet du ministre de la Justice Paul Van Tigchelt (Open Vld) n’est pas convaincu. Selon le gouvernement, des études scientifiques montrent que les courtes peines de prison font plus de mal que de bien, car les condamnés perdent leur emploi ou ont moins de contacts avec leur famille. Il devient alors plus difficile de reconstruire leur vie par la suite, les juges doivent donc être très prudents.

Maisons de détention

Le ministère de la Justice déploie actuellement un réseau de centres de détention (deux sont actuellement en activité), où les condamnés peuvent purger de courtes peines. Ils vivent dans un régime beaucoup plus ouvert que dans une prison. Ils ne sont pas obligés de porter un uniforme et peuvent aller travailler. Le lien entre le condamné et la société n’est donc pas totalement rompu. « Nous pensons que ce système peut également fonctionner pour les infractions routières », déclare le porte-parole de Van Tigchelt. « La plupart des conducteurs qui se voient imposer une interdiction de conduire la respectent. Outre la prison, il existe d’autres moyens de s’attaquer aux personnes récalcitrantes, par exemple les travaux d’intérêt général.»

Stef Willems, porte-parole de l’institut de la circulation routière Vias, estime que la Belgique peut prendre d’autres mesures. En introduisant un permis de conduire à points, les conducteurs seraient punis plus rapidement, même si ce dossier est politiquement bloqué. Il pense également que la technologie pourrait aider à l’avenir à refuser aux conducteurs frappés d’une interdiction de conduire l’accès à leur propre voiture, à une voiture de location ou à une voiture partagée.

«La France introduit cette année le permis de conduire numérique», explique Willems. « Les Français reçoivent une application sur leur téléphone portable, qui montre qu’ils possèdent un permis de conduire valide. Il est désormais déjà possible de démarrer une voiture avec son téléphone portable. À l’avenir, vous devrez peut-être d’abord prouver qu’il ne vous est pas interdit de conduire. « La technologie pour cela existe déjà. Il est bien sûr important d’intégrer suffisamment de garanties de confidentialité avec un tel système. »



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