L’amour du vol des oiseaux n’est que le début du nouveau livre d’Amélie Nothomb. Puis les pages défilent sur une enfance errante, une violence subie à douze ans, le traumatisme et l’anorexie qui ont suivi.


« Scouvrir les oiseaux, c’était révéler le désarroi. C’était une sensation si intense que même aujourd’hui, il m’est difficile d’exprimer ce trouble par le langage. » C’est ainsi qu’Amélie Nothomb parle de sa passion aviaire, la baronne belge traduite en 30 langues qui avec Psychopompe apporte en cadeau le livre n°32 : il commence par allumer de l’encens pour une grue blanche, des hirondelles, des merles, des moineaux, des corbeaux, voire des vautours et des corbeaux et puis elle vous entraîne inexorablement dans son roman le plus intime dans lequel elle évoque les agressions qu’elle a subies étant enfantles terribles années d’anorexie, la mort de son père et le dialogue qu’il entretient chaque jour avec l’au-delà.

Les livres quelle passion !  À qui faisons-nous confiance pour les choisir ?

À 57 ans, le moment est venu de faire face aux souvenirs et à la douleur, et les déverse tous dans ces pages. Mais pourquoi a-t-il attendu si longtemps pour nous présenter l’hirondelle à oreilles ? C’est mon oiseau préféré car il ressemble à un dragon, avec ces plumes grises majestueuses et absurdes, et c’est l’un des rares à nicher au sol. À 11 heures, je me réveillais à l’aube pour entendre les oiseaux chanter dans le silence du petit matin. Je les ai vus filer dans le ciel et j’étais heureux.

Qu’est-ce qu’une « psychopompe » ?
La mythologie grecque parle d’Hermès, le premier psychopompe de l’histoire, mais il existe aussi Charon ou Apollon : ils accompagnaient les âmes jusqu’au royaume des morts. Et ils ont pu écouter les paroles du défunt tandis que moi, je continue d’entendre la voix de mon père. Il est décédé pendant le Covid, mais sa mort était un chef-d’œuvre : il est mort chez lui dans les bras de ma mère. Nous n’avons pas pu assister aux funérailles, quelques mois plus tard seulement, j’ai réussi à entrer dans le cimetière et j’ai dû m’allonger sur sa tombe. Je n’ai pas pu résister. Puis, en écrivant, j’ai été confronté à sa perte et j’ai découvert que moi aussi j’étais un psychopompe.

C’est-à-dire?
Chaque jour, j’entends la voix de mon père, nous communiquons parfaitement. J’ai découvert que nous sommes nombreux à réussir, beaucoup m’ont écrit en me disant qu’ils parlaient à leurs proches décédés. Mais ne pensez pas que nous devons tous nous hospitaliser nous-mêmes. Nous savons que nous ne sommes pas fous. Elle n’a pas de PC ni de téléphone portable, elle n’utilise pas de courrier électronique. Pouquoi? Je ne pense pas qu’Internet soit un bon moyen de communication. Chaque jour à Paris, un paquet de lettres m’arrive à ma maison d’édition. Je réponds à la main sur une feuille blanche à 9 lettres sur 10. J’écris mes livres dans un cahier d’écolier avec un stylo plume et mes mains sont toujours sales d’encre et mon bras et mon épaule droits sont abîmés.

Au milieu du livre, elle se souvient du viol qu’elle a subi à l’âge de 12 ans sur la plage de Cox’s Bazar, au Bangladesh. En utilisant simplement une image métaphorique.
Oui, « les mains de la mer m’ont saisi ». Ils étaient quatre, jeunes et rapides. J’étais dans l’eau, plus loin il y avait mon père, ma mère et ma sœur et ils ont tout vu. Ma mère a couru vers moi, puis ils se sont enfuis. Et elle est venue me chercher, m’a serré dans ses bras et m’a dit « Pauvre petite fille ». Puis silence. Mais je dois la remercier pour ces deux mots, car si elle n’avait rien dit, je serais devenu fou en pensant peut-être que j’avais tout inventé.

Puis ils l’ont emmenée chez le médecin ?
Non, nous sommes rentrés à la maison et nous n’en avons jamais parlé. C’était tabou. Au Bangladesh, la mort était à l’ordre du jour, la vie ne valait rien. J’y ai toujours pensé, mais il m’était impossible d’en parler à qui que ce soit. Je n’ai trouvé le courage qu’à 40 ans, après cette horreur est restée toute ma vie dans un sarcophage de silence.

Psychopompe d’Amélie Nothomb, Voland(120 pages, 16 euros)

Pendant dix ans, elle a également lutté contre l’anorexie.
Je pensais constamment à ce qui m’était arrivé en mer et l’anorexie m’a sauvé de cette obsession. Même s’il a essayé de me tuer. Jusqu’à ce que le corps se sépare de l’âme et qu’à 16 ans j’essaye à nouveau de manger : du fromage aux noix.

Que retenez-vous de ces années-là ?
À l’époque, l’anorexie était une maladie très rare et mystérieuse, notamment en Asie du Sud-Est. Il y a eu des cas en Europe, mais en Birmanie, au Bangladesh et au Laos, où nous vivions lorsque mon père était diplomate, les gens mouraient de faim pour de nombreuses raisons et personne ne s’en souciait beaucoup. J’avais atteint le point de peser 32 kilos, mais à Dacca les filles étaient toutes maigres, elles pesaient le même poids que moi. Alors je n’ai pas mangé pendant quatre ans, puis de 16 à 22 ans j’ai essayé de m’en sortir. Mes parents ont essayé de me faire manger, mais les anorexiques développent d’innombrables techniques pour éviter d’avaler de la nourriture. Je me souviens du froid permanent de cette époque, le même que je retrouve aujourd’hui lorsque j’écris.

Il se réveille encore à 4 heures du matin pour… voler ?
Bien sûr, je le fais depuis 35 ans maintenant. Je ressens chaque jour un vertige irrésistible : j’écris et je me mets à voler. Au moins jusqu’à 8 heures.

Votre copain ne se plaint pas du réveil ?
Il a le sommeil lourd, sinon il m’aurait déjà quitté.

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