La Serbie et le Kosovo doivent calmer les tensions dans les Balkans


L’auteur est recteur de l’Institut des sciences humaines (iwm.at) de Vienne.

Ce n’est pas un secret qu’il n’y a pas beaucoup d’alchimie entre le président Aleksandar Vučić de Serbie et Albin Kurti, le Premier ministre du Kosovo. Mais chacun devait recevoir le même message dur de l’Otan et de l’UE lors d’un voyage de deux jours à Bruxelles à partir de mercredi : « Retournez-vous, modérez la rhétorique et, pour l’amour de Dieu, négociez, négociez et négociez ! »

Les deux hommes devaient avoir des réunions séparées avec Jens Stoltenberg, secrétaire général de l’OTAN, avant des discussions conjointes jeudi avec Josep Borrell, le chef de la politique étrangère de l’UE. L’OTAN, qui compte 4 000 soldats stationnés au Kosovo, et l’UE ont montré des signes de perte de patience avec les deux dirigeants des Balkans. Mais derrière l’agacement se cache une véritable inquiétude.

Début août, le gouvernement de Pristina a déclaré que les membres de la minorité serbe du nord du Kosovo devaient échanger leurs plaques d’immatriculation des véhicules de la République de Serbie contre celles du Kosovo. Cela était conforme aux accords conclus en 2013 et 2015. Mais Kurti a décidé sans avertissement d’avancer la décision d’un mois. En réponse, les Serbes du nord du Kosovo ont érigé des barrages routiers et brandi des armes à feu, entraînant une montée rapide des tensions.

Belgrade et Pristina ont échangé des insultes et de sombres allusions à la guerre. Vučić accuse le gouvernement du Kosovo d’avoir bloqué la formation d’une association des municipalités serbes au Kosovo, qui faisait partie des accords de normalisation. Kurti réplique en qualifiant Vučić de « petit Poutine », déterminé à envahir le Kosovo tout comme le dirigeant russe a envahi l’Ukraine.

Belgrade est souvent accusée d’entretenir des liens étroits avec Moscou, influencés par l’amitié historique entre Serbes et Russes. L’histoire est plus compliquée. Vučić a résisté aux pressions de l’UE et des États-Unis pour adhérer aux sanctions contre la Russie. Mais à l’ONU, Belgrade a condamné l’invasion russe.

Il a fallu des pressions combinées de l’UE, des États-Unis et du Royaume-Uni pour désamorcer la flambée dans le nord du Kosovo. Mais la sonnette d’alarme a été déclenchée au siège de l’OTAN et de l’UE. La toile de fond est une désaffection croissante dans certaines parties des Balkans occidentaux causée par l’échec de l’UE à tenir sa promesse, faite pour la première fois il y a 20 ans, d’intégrer la région dans le bloc des 27 nations.

Cette désaffection n’est pas passée inaperçue à Moscou, qui depuis des années attise doucement les divisions au sein et entre la Bosnie-Herzégovine, le Monténégro, la Serbie, le Kosovo, la Macédoine du Nord et l’Albanie. Dans un développement inutile, la Croatie et la Bulgarie ont tiré parti de leur statut de membres de l’UE pour exercer une pression injustifiée sur la Bosnie et la Macédoine du Nord, respectivement.

Tous ces processus se sont intensifiés depuis la guerre en Ukraine, qui met à l’épreuve la résilience et l’unité européennes. L’UE accueille des millions de réfugiés ukrainiens. Il fait face à une pénurie d’énergie hivernale. Les incendies de forêt font rage à travers l’Europe. L’inflation monte en flèche. Bruxelles a besoin de l’instabilité dans les Balkans comme d’un trou dans la tête.

Il pourrait sembler que la Serbie et le Kosovo ne surmonteront jamais leurs différences. Pourtant, sur des questions importantes, notamment l’intégration des Serbes du Kosovo dans le système judiciaire du pays, de réels progrès ont été accomplis. Les deux parties ont montré une volonté discrète de compromis. Ni l’un ni l’autre n’a signalé ces succès par crainte d’une réaction violente des nationalistes dans leurs propres rangs.

Les diplomates occidentaux craignent que les sirènes du populisme nationaliste ne séduisent certains membres des deux gouvernements et que la minorité serbe du Kosovo s’agite, estimant que Belgrade a déjà trop concédé à Pristina.

Kurti et Vučić doivent surmonter leurs différences personnelles et politiques. De même, l’UE doit revitaliser sa stratégie d’absorption des Balkans occidentaux. Plus le conflit du Kosovo s’envenime et plus les États de la région restent en dehors de l’UE, plus grand est le danger d’une déstabilisation catastrophique de l’Europe du Sud-Est. C’est dans l’intérêt de personne. Sauf celui de Moscou.



ttn-fr-56