Comment une entreprise déficitaire pourrait soudainement envoyer des ex-membres du Mossad au gouvernement


La tempête entre le ministre de la Santé Frank Vandenbroucke (Vooruit) et le distributeur de vaccins Medista devient de plus en plus violente. Comment en est-on arrivé là ? Une histoire d’espions, de caméras cachées et un lien bizarre avec Harvey Weinstein.

Kelly Van Droogenbroeck

Mars 2020. Alors que les premières infections par un virus inconnu en provenance de Chine sèment la panique dans notre pays, l’Agence fédérale des médicaments et des produits de santé (AFGG) reçoit un email. Ont-ils besoin d’espaces de stockage supplémentaires pour le matériel médical ? L’expéditeur est Medista, jusqu’alors un petit acteur du secteur pharmaceutique belge. A cette époque, l’entreprise n’existait que depuis deux ans et venait tout juste de sortir du rouge. Trois ans plus tard, elle réalisera des millions d’euros de bénéfices.

Pour l’AFMPS, le message de Medista ne pouvait pas mieux tomber. Avant même le début de la pandémie, l’agence souffrait déjà d’une pénurie d’installations de stockage médical. Pour s’armer contre le virus, il lui faut du coup pouvoir stocker beaucoup plus de matériel médical et de médicaments. Cette pénurie aiguë permet à l’AFMPS de changer facilement de cap. Medista pourrait proposer ses services au gouvernement à partir d’avril 2020 – même sans contrat dans les premières semaines.

Peu de temps après, l’armée demande au gouvernement pour garder également une trace des masques. Une fois de plus, Medista est prête. En septembre de la même année, l’entreprise est soudainement devenue le partenaire officiel du gouvernement pour le stockage et la distribution de trois instruments de lutte contre le virus : des médicaments, des masques et des tests.

Rigide

Cependant, la collaboration a été difficile dès le départ. Au cours de l’été 2020, des questions ont été soulevées à l’AFMPS quant à savoir si Medista documente avec précision le stock disponible. Lorsqu’ils font part de leurs inquiétudes, Medista réagit immédiatement par l’intermédiaire d’avocats, selon Dirk Ramaekers, président du SPF Santé publique. Selon lui, il y aurait également eu « des intimidations à l’encontre de membres de l’AFMPS ». Medista le nie.

Dirk Ramaekers, président du SPF Santé Publique.Image Photo Actualités

Néanmoins, Medista remportera également son premier appel d’offres public en mai 2021. L’entreprise pourrait se charger de la tâche la plus importante jusqu’à présent : la distribution et le stockage des vaccins. « Medista était en fait le candidat le plus cher de tous », a déclaré Ramaekers lors d’une conférence de presse vendredi dernier. « Mais comme le dossier des trois autres sociétés était incomplet – elles n’étaient pas habituées à participer à un appel d’offres public – le contrat a été attribué à Medista. »

Quelques mois à peine après l’appel d’offres, en septembre 2021, le budget prévu pour la distribution des vaccins était quasiment épuisé. « Le gouvernement avait plus de vaccins à distribuer qu’on ne le pensait initialement », explique Sarah Taybi, PDG de Medista. Une raison suffisante pour que le gouvernement lance un nouvel appel d’offres. Medista participe à nouveau, mais perd. Au lieu de cela, le contrat de vaccins revient à la société française Movianto, qui est 30 % moins chère et dont la qualité est à peine inférieure.

Mossad

Avant même l’entrée en vigueur du nouveau contrat, Medista s’adresse au Conseil d’Etat. C’est le début d’une âpre bataille procédurale restée inaperçue jusqu’à présent. Jusqu’à ce que Vandenbroucke raconte soudainement une histoire spectaculaire vendredi dernier. Medista aurait engagé d’anciens membres des services de renseignement israéliens pour manipuler un responsable du Service public fédéral de la santé afin de lui faire faire des aveux.

Plus précisément, il s’agit de « l’agence de renseignement créative » Black Cube. Harvey Weinstein, entre autres, a fait appel à l’agence pour espionner les journalistes et les victimes qui voulaient dénoncer ses inconduites sexuelles. Pour Medista, Black Cube a attiré un fonctionnaire du SPF Santé publique et un employé du concurrent Movianto à l’étranger sous couvert d’un entretien d’embauche. Dans cette conversation – qui a été secrètement enregistrée – tous deux ont affirmé Les dernières nouvelles admettre que le gouvernement a aidé Movianto à remporter le contrat.

Le fonctionnaire a également reçu le 4 octobre à son domicile une lettre de l’avocat de Medista, dans laquelle il l’accusait de « violations pénales » et lui laissait le choix entre le licenciement ou un règlement à l’amiable. Le ministre Vandenbroucke qualifie ces pratiques de « contraires à l’éthique ». Il affirme que le responsable n’a commis aucune erreur, mais a demandé un audit fédéral pour enquêter sur « tout élément nouveau ».

La députée N-VA Kathleen Depoorter a un rôle remarquable à jouer dans toute cette affaire. Elle soutient fermement les revendications de Medista au Parlement et accroît ainsi la pression politique. Quand Les dernières nouvelles la semaine dernière a été publiée une lettre que Medista a envoyée au Premier ministre Alexander De Croo (Open Vld), peu de temps après, Depoorter a interrogé Vandenbroucke à ce sujet au Parlement. « Je ne soutiens ni Medista ni Movianto », déclare Depoorter. « Je suis parlementaire et, à ce titre, je dois vérifier si le gouvernement fait correctement son travail. »

En attendant, Medista envisage de nouvelles démarches juridiques. Selon le PDG Taybi, les vidéos sont la preuve de la falsification du gouvernement. Elle soutient également que le gouvernement lui doit 5,4 millions d’euros et ne croit pas que ses méthodes vont trop loin : « Si vous combattez le gouvernement en tant qu’entrepreneur, vous devez être en mesure de fournir des preuves concrètes. C’est pourquoi nous avons engagé une agence de recherche internationale spécialisée dans ce domaine. J’appelle le ministre à examiner de toute urgence le contenu de notre dossier d’enquête.



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