ÀLe registre était Rina Marta Felicina Faccio, mais tout le monde la connaît sous le nom de Sibilla Aleramo. 64 ans se sont écoulés depuis sa mort, survenue à Rome le 13 janvier 1960. Au lendemain de sa mort, Eugenio Montale la décrit ainsi: «Après avoir survécu à bien des tempêtes, elle portait encore avec elle et imposait aux autres cette fermeté, ce sens de la dignité qui avait été sa véritable force et son secret».
C’étaient la fermeté et la dignité de quelqu’un qui avait vécu une vie difficile, des événements qui l’ont amenée à devenir l’une des premières écrivaines féministes en Italie. Née le 14 août 1876 à Alexandrie, elle était l’aînée de quatre enfants. Le père, Ambrogio, était un ingénieur au caractère fort et anticonformiste et la mère, Ernesta, une femme au foyer introvertie, amoureuse de poésie et de musique.
Ce sont les voyages pour suivre les affaires de son père qui caractérisent son enfance. D’abord à Vercelli, puis à Milan, où Rina fréquente l’école primaire, jusqu’à son arrivée à Porto Civitanova Marche en 1881, lorsque son père reprend la direction d’une verrerie.
L’usine et le viol
Une période au cours de laquelle Rina rejoint son père bien-aimé en tant que secrétaire dans l’administration de l’entreprise. Il abandonne ainsi ses études, lit des livres autodidactes, connaît de près le monde du travail, entame un voyage de transformation personnelle, se couper les cheveux « à la manière d’un garçon » et adopter une attitude très différente des filles de son âge, surtout dans une ville du centre de l’Italie. Dans cette usine qu’elle qualifie elle-même de « scintillante », elle se sent bien et très éloignée de l’exemple féminin de sa mère, qu’elle considère comme trop faible et encline à la mélancolie. Une séparation qui devient encore plus nette lorsque la mère, à cause de la dépression, tente de se suicider se jetant du balcon de sa maison, puis s’enfermant dans un fort isolement qui la conduit à être admis à l’hôpital psychiatrique de Macerataoù il mourut en 1917.
Pendant ce temps, la verrerie ne se révèle pas être l’environnement « scintillant » qu’elle semblait, mais quelque chose de sombre et de violent où quelqu’un comme Ulderico Pierangeli, l’employé de son père qui, après une cour insistante, finit par la violer. Rina n’a que quinze ans, tombe enceinte suite au viol et est contrainte par son père à un mariage forcé, comme le dicte la moralité de l’époque. Cependant, cet enfant n’est pas né, à cause d’une fausse couche, et Rina se retrouve prisonnière d’un mari agressif et d’un mariage humiliant. Pensant qu’être mère peut lui permettre d’échapper à la douleur, elle cherche néanmoins un enfant avec son mari et donne naissance à Walter, mais le choix s’avère malheureux.
L’effervescence de Milan
En 1899, elle s’installe à Milan avec son enfant et son mari, qui tentent sans succès de démarrer une entreprise commerciale. C’est une ville en grand mouvement et Rina trouve un terrain fertile pour cultiver ce qui a toujours été sa passion en écrivant. Il avait déjà commencé à écrire pour le Revue littérairele magazine féministe Vie modernele périodique, d’inspiration socialiste, La vie internationale.
Elle se voit confier la direction de l’hebdomadaire Italie femmes, fondée par Emilia Mariani, militante féministe. Dans la rubrique de discussion avec les lecteurs, il recherche la collaboration d’intellectuels progressistes (Paolo Mantegazza, Matilde Serao, Ada Negri) et a l’occasion de connaître Anna Kuliscioff et Filippo Turati.
Dépression et fuite à Rome
Mais cette heureuse pause se termine avec son retour à Civitanova, où son mari reprend la direction de l’usine auparavant dirigée par son père. Rina tombe dans la dépression et suit les traces de sa mère en tentant de se suicider avec du laudanum. Un geste extrême qui lui fera cependant comprendre la nécessité d’un changement, pour trouver un but plus grand et plus élevé dans sa vie, celui d’écrire.
Elle décide ainsi d’abandonner son mari et son fils pour s’installer à Rome en février 1902.. Arrivée ici, elle tente d’obtenir la garde de son fils mais la loi ne le lui permet pas et finit par le voir une seule fois, alors qu’il est désormais grand.
La mort de Rina et la naissance de Sibilla
Dans la capitale, elle noue une relation amoureuse avec le poète et romancier Giovanni Cena, directeur du magazine Nouvelle anthologiequi lui a inventé le pseudonyme de Sibilla Aleramo. C’est sous ce nom qu’il commence à collaborer et à écrire le roman autobiographique Une femme, considéré comme l’un des premiers romans féministes en Italie. Dans ses pages, elle relie les origines de sa propre souffrance, de la relation problématique avec son mari et la maternité, aux rôles et à la position sociale des femmes. Un document historique sur la difficulté d’être une femme dans la société du début du XXe siècle ce qui témoigne d’une forte dénonciation sociale d’une nette inégalité entre les sexes. Le livre connut un grand succès et porta le nom d’Aleramo même en dehors des frontières italiennes.
Après la rupture avec Cena, elle commence une vie errante qui la rapproche de Milan et du mouvement futuriste.à Paris et aux poètes Apollinaire et Verhaeren, enfin à Rome et à tout le milieu intellectuel et artistique de ces années-là. Des années d’amours fous et nombreux, toujours passionnés et souvent nouveauxet d’écrits, cahier et stylo à la main, dans l’obsession de fixer des rivières de mots qui se traduisent en souvenirs, notes, réflexions, journaux intimes, lettres, éclats privés, descriptions d’événements quotidiens.
Comprendre pleinement un personnage complexe comme celui de Sibilla Aleramo, féministe et grande écrivaine du XXe siècle, n’est pas simple. Sa production littéraire explore les événements sociaux et historiques de l’époque mais aussi les états d’esprit, les sentiments, la recherche de sincérité alliée à un élan viscéral vers la liberté, qui devient le seul devoir moral à suivre, par-dessus tout, quoi qu’il en soit. prend.
Les lettres d’amour
En 1908, il rencontre Lina Poletti, dite Cordula, une jeune intellectuelle rencontrée au premier Congrès national des femmes italiennes, qui conquiert l’écrivain. Entre les deux ça commence une histoire d’amour passionnéeen témoigne une série de lettres rassemblées plus tard dans le livre Folie lucide : lettres d’amour à Lina.
D’autres belles lettres, rassemblées dans le volume Un voyage appelé amour. Lettres 1916-1918sont adressés à Dino Campana, avec qui il entretenait une relation intense qui se termina par l’hospitalisation du poète à l’hôpital psychiatrique toscan de Castelpulci. Une histoire passionnée qui a inspiré Michele Placido à réaliser le film Un voyage appelé amouravec Laura Morante et Stefano Accorsi qui incarnent les deux amoureux.
Les hommes de sa vie apparaîtront également entre les lignes de Le passage (1919), qu’il intègre toujours dans une clé autobiographique Une femmeet en J’aime donc je suis, qu’elle définit comme « une œuvre d’un seul tenant », roman épistolaire publié en 1927. On y retrouve 43 lettres passionnées à son lointain amant, écrites pour devenir, à son retour, « leur livre ». Les protagonistes sont Sibilla et Luciano, en réalité Giulio Parise, un jeune ésotériste, aimé de l’écrivain entre 1924 et 1926. Malgré les nombreuses collaborations entre les deux guerres mondiales, les revenus économiques sont réduits au strict minimum.
La rencontre avec la politique
En 1933, il s’inscrit àAssociation nationale fasciste des femmes artistes et diplômées, une adhésion très discutée, mais comme cela s’est produit pour d’autres intellectuels, « nécessaire » dans le contexte de l’époque. Et puis un nouveau tournant, la passion pour le poète Franco Matacotta, vingt ans, et rejoindre le Parti communiste italien en 1946ce qui en fait la voix du parti, avec des conférences et des articles publiés dans L’Unità et d’autres journaux de gauche.
Loin de l’esthétique littéraire, choisit de se mettre au service de la société. Après une longue maladie passée dans la solitude et les épreuves, le 13 janvier 1960, à Rome, Sibilla rencontra la mort «mère, sœur, bien-aimée, quelqu’un qui me prend, quelqu’un qui veut de moi». Et la mort l’a emportée, mais en laissant intacte et vivante la grandeur de l’une des figures les plus anticonformistes de la littérature européenne du XXe siècle.
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