« À partir de ce moment-là, la sympathie commence généralement à décliner » : comment l’opinion publique à l’égard des agriculteurs peut soudainement changer

Troubles à Bruxelles, accidents lors des blocages, plan d’urgence autour de Zeebrugge et entreprises concernées envisageant une action en justice. Jusqu’à présent, les agriculteurs ont reçu une grande compréhension de leurs actions. Quand leur crédit s’épuise-t-il ?

Cathy Galle

Jusqu’où les agriculteurs peuvent-ils aller dans leurs actions ? C’est une question qui devient de plus en plus prégnante. Le blocage de routes, de centres de distribution de supermarchés ou d’un port a de graves conséquences. La production chez Volvo Cars Gand s’est arrêtée ces derniers jours et des agriculteurs en colère ont également bloqué pendant un certain temps la zone autour d’ArcelorMittal. Ces derniers jours, des accidents se sont également produits dans les embouteillages provoqués par les actions des agriculteurs. Il y a même eu un mort.

Les organisations agricoles se sont finalement entretenues vendredi avec le gouvernement flamand et ont reçu quelques promesses. Le Premier ministre Alexander De Croo (Open Vld) a déclaré sur Radio 1 qu’il était temps pour les agriculteurs d’arrêter.

On ne sait pas s’ils le feront. « La principale question est de savoir si les organisations agricoles officielles peuvent remettre les agriculteurs dans le rang », estime Ruud Wouters, sociologue à l’université de Tilburg. À l’Université d’Anvers, il a mené des années de recherche sur les protestations dans notre pays, depuis les grandes actions syndicales jusqu’aux plus petites actions.

« Ce que l’on voit habituellement, c’est qu’une organisation mobilise ses partisans pour l’action et encourage réellement l’élan », dit-il. « Mais une fois que le message a été délivré, que les négociations ont eu lieu et que les promesses ont été reçues, ils peuvent se calmer et rappeler ces mêmes partisans. La question est de savoir si cela fonctionnera ici. Parce qu’il s’agit souvent d’actions spontanées des agriculteurs, sans grande organisation ni planification.»

Jusqu’à présent, il y avait beaucoup de compréhension – et d’empathie – à l’égard des agriculteurs. Plus que ce n’est parfois le cas d’autres militants, comme les syndicats ou les militants pour le climat. Selon le professeur émérite de droit social Patrick Humblet (UGent), cela n’est pas seulement dû à la compréhension de leurs griefs, mais surtout à la peur d’une escalade. « Une colonne de tracteurs bloquant une route fait forte impression », dit-il. « Même s’il est vrai que ces gens n’ont pas beaucoup de choix. Un salarié peut quitter son travail s’il n’est pas satisfait. Il est difficile pour un agriculteur d’arrêter de travailler et de cesser de nourrir ses poules ou de traire ses vaches. »

Les agriculteurs ont fait du bon travail stratégique ces derniers jours, estime Wouters. «Ces actions ont culminé à l’approche du sommet européen. Ils ont ainsi reçu les yeux et les oreilles de toute l’Europe.»

Mais désormais, cela devient délicat pour eux, estime le sociologue. Les protestations, en particulier celles qui blessent beaucoup, peuvent être ignorées pendant un certain temps, mais le vent tourne généralement lorsqu’il est ouvertement déclaré que le comportement devient « indésirable ». «C’est exactement ce qu’a fait le Premier ministre De Croo vendredi matin. Nous constatons généralement qu’à partir de ce moment-là, la sympathie pour les actions commence à diminuer.

Exigences complexes

Le fait que les revendications des agriculteurs ne soient pas très concrètes et soient en fait assez complexes n’aide pas non plus. Il est donc difficile pour les citoyens de continuer à s’y identifier. Wouters : « Tant que les gens pensent ‘je ferais la même chose à leur place’, il peut y avoir beaucoup de compréhension. Lors des manifestations des gilets jaunes, par exemple, ce concept a duré étonnamment longtemps. Ces actions concernaient le pouvoir d’achat, un message avec lequel de nombreuses personnes pouvaient être d’accord. Ici, la contestation a une dimension économique : comment organiser notre approvisionnement alimentaire ? Il y a un aspect politique : l’Europe doit trouver un équilibre entre climat et agriculture. Et une composante culturelle : les agriculteurs veulent plus de respect pour un métier en constante évolution.

L’astuce consiste à réussir à résumer vos exigences dans un slogan clair, explique Wouters. Et cela fait quelque peu défaut ici. Le mouvement Occupy, un mouvement de protestation international non organisé contre les inégalités économiques et sociales, avait pour slogan « Nous sommes les 99 pour cent ». Les militants et militants pour le climat sont descendus dans la rue avec des pancartes disant : « Il n’y a pas de planète B ». «Cela ne pourrait pas être plus clair», déclare Wouters. « Mais ce que l’on voit ici, c’est un groupe professionnel fermé qui agit sur un problème complexe. C’est un peu plus difficile.

Et si l’opinion publique commence à se retourner, la « bienveillance » envers les agriculteurs pourrait rapidement prendre fin. Il est alors temps de panser les blessures et des poursuites judiciaires contre les militants sont une possibilité. Wegen en Verkeer a déjà annoncé qu’elle souhaitait que les agriculteurs financent les travaux de réparation du revêtement du ring d’Anvers. L’entreprise chimique BASF envisageait également de répercuter la facture des dommages subis sur les militants.

Il a toujours été vrai que des poursuites judiciaires sont intentées contre les militants qui vont trop loin, explique le professeur Humblet. « Les dirigeants de l’action peuvent certainement être inculpés. Ce n’est pas nouveau. Dans le passé, des dirigeants syndicaux ont été poursuivis en justice pour les dommages causés par leurs actes. Il suffit de penser au président de l’ABVV, Thierry Bodson.

Il existe bien sûr le droit de manifester, mais ce droit ne justifie pas de causer des dégâts et des destructions. De la nourriture pour les avocats, mais selon Humblet, de nombreux avocats veulent s’y mettre à pleines dents. « La recherche de dirigeants peut s’avérer difficile car il n’existe pas de commandement central pour de nombreuses actions. Mais il est toujours possible de rechercher le responsable. Et la menace de poursuites judiciaires augmentera encore la pression sur les agriculteurs pour qu’ils mettent fin à leurs blocages.»



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