A bas le Waal ! Comment une sphère publique belge plus solide peut nous libérer des clichés communautaires

Dave Sinardet est professeur de sciences politiques à la Vrije Universiteit Brussel et à l’UCLouvain Saint-Louis Bruxelles. Cet essai est une version révisée de l’avant-propos qu’il a rédigé pour le livre du secrétaire d’État fédéral Thomas Dermine, Wallonie-Flandre, Par-delà les clichéspublié simultanément en néerlandais sous le titre Les Wallons, ça travaille !

Dave Sinardet

« Professeur Sinardet, qu’en pense la Flandre ? C’est une question que l’on me pose régulièrement dans les studios de radio et de télévision francophones. Certains journalistes flamands me posent des questions difficiles comme : « Qu’en pensent les Wallons, professeur Sinardet ?

En Flandre, je suis parfois considéré comme un expert de la Wallonie, tandis que les Belges francophones me considèrent comme un «spécialiste de la Flandre» discerner : tel est le sort de quiconque tente d’analyser la politique belge de manière générale dans un paysage médiatique marqué par la fracture linguistique. Pour ceux qui perçoivent tout à travers des lunettes flamandes ou francophones, vous devenez un expert de « l’autre côté » des deux côtés. Non pas que vous m’entendiez pleurnicher, car cette position m’offre une parfaite connaissance des dynamiques du nord et du sud du pays et de celles de l’ensemble belge.

Les Flamands et les Wallons

Cette anecdote personnelle témoigne en partie d’une évolution positive : ces dernières années, les services d’information se demandent de plus en plus ce qui se passe de l’autre côté de la frontière linguistique. Autrefois, les choses étaient différentes, comme je l’ai remarqué à l’époque où je faisais des recherches sur l’image mutuelle des Flamands et des Francophones dans les médias.

L’attention portée à l’autre partie du pays s’est avérée minime. Et tant les télévisions flamandes que francophones ont réussi à ne présenter que des hommes politiques de leur propre communauté dans leurs émissions de débat, même si celles-ci tournaient autour de conflits communautaires tels que la scission de la circonscription de Bruxelles-Halle-Vilvorde. En conséquence, ces discussions restaient toujours coincées dans les points de départ et les visions des hommes politiques d’une communauté, ne laissant les téléspectateurs qu’à moitié informés. Avant même l’avènement des réseaux sociaux et de leurs algorithmes, les téléspectateurs flamands et francophones se retrouvaient dans une bulle de filtre communautaire.

Entre-temps, comme nous l’avons mentionné, un réflexe un peu plus fort est apparu : surmonter la barrière de la langue. Mais comme le montre aussi l’anecdote, cette vision repose malheureusement encore trop souvent sur des généralisations qui alimentent clichés et stéréotypes. Des questions à la manière de « qu’en pense la Flandre ? » ou « qu’en pensent les Wallons ? » après tout, ils découlent du principe simpliste selon lequel tout ce qui se trouve de l’autre côté de la frontière linguistique forme un bloc homogène. « Si vous voulez savoir ça, vous auriez dû inviter la Flandre ou la Wallonie », voudrais-je répondre, quelque peu agacé. Mais en vérité, je dois généralement répondre que les Flamands ou les Francophones sont divisés entre eux sur la question qui me est présentée. Tout comme de nombreuses opinions publiques à travers le monde sur de nombreuses questions sociales et politiques. Une réalité nuancée à laquelle les médias, le plus souvent inconsciemment, ne rendent pas toujours justice.

Espace public belge

Cette représentation unilatérale et donc biaisée de l’autre communauté linguistique trouve son origine dans l’absence de médias nationaux dans notre pays. Ils s’adressent tous exclusivement aux flamands ou aux francophones. Il nous manque par exemple un espace public belge à part entière, où les mêmes thèmes nationaux puissent être discutés par les mêmes acteurs dans la même perspective.

Selon le philosophe allemand Jürgen Habermas, cela pose problème. Il estime que l’existence d’une telle sphère publique collective est une condition décisive pour la légitimité démocratique des États et des autres niveaux de gouvernement. Par exemple, selon lui, le développement d’une sphère publique européenne est le seul véritable moyen de surmonter le déficit démocratique de l’Union européenne. Les Européens devraient pouvoir s’informer de la même manière sur tous les points de vue, perspectives et positions pertinents sur les questions de politique européenne. Une image idéale dont nous sommes encore à des années lumières.

Bien entendu, nous ne sommes pas obligés d’être d’accord avec Habermas. On peut soutenir que sa théorie de la sphère publique est coincée dans l’époque à laquelle elle a été développée, à savoir lorsque l’État-nation (monolingue) était le centre incontesté de la prise de décision politique. Que vous l’aimiez ou nonce temps est révolu pour toujours.

Qu’est-ce que cela signifie pour le cas belge ? Par rapport à l’Europe, notre pays dispose certainement d’une sphère publique plus développée. Alors que la gouvernance européenne reçoit honteusement peu d’attention dans la plupart des médias nationaux européens, le gouvernement fédéral est même remarquablement mis en avant que les États fédérés dans les médias flamands et francophones de Belgique, malgré les nombreux pouvoirs qui leur ont été accordés par six réformes étatiques. Peu de Belges seront capables de citer les noms de divers commissaires européens, mais les francophones parmi eux connaissent peut-être mieux la politique de ministres fédéraux comme Alexander De Croo, Frank Vandenbroucke ou Vincent Van Peteghem que celle de nombre de leurs collègues wallons ou bruxellois. . Les Flamands connaissent mieux Paul Magnette, Georges-Louis Bouchez, Sophie Wilmès ou Thomas Dermine que les dirigeants européens.

Pourtant, nous ne disposons certainement pas d’une sphère publique à part entière comme c’est le cas dans de nombreux autres pays monolingues. De nombreuses décisions cruciales sont encore prises au niveau fédéral en Belgique, mais le débat politique et social à leur sujet se déroule largement séparément et différemment dans les deux communautés linguistiques, avec tous les clichés que cela implique. Nous n’avons pas nécessairement besoin d’Habermas pour voir que cela soulève des questions d’un point de vue démocratique.

Des questions qui doivent être séparées des visions politiques sur l’avenir souhaité de l’État belge. Même si vous pensez que la Belgique devrait céder davantage de compétences, voire disparaître complètement, il est important que le débat sur ce qui est encore décidé au niveau fédéral et sur la direction que doit prendre la Belgique soit aussi ouvert, clair et rationnel que possible. Chaque citoyen doit avoir accès à un large éventail d’informations, d’analyses et d’opinions afin de pouvoir se forger une opinion mûrement réfléchie, sans être gêné par les frontières linguistiques. Aujourd’hui, c’est bien trop rarement le cas dans notre pays.

Responsabilité politique

Dans ce domaine, la responsabilité incombe aux hommes politiques, bien plus que celle des médias. Combien de fois ai-je entendu des journalistes flamands se plaindre des hommes politiques francophones qui déclinaient leurs invitations ? Aussi souvent que j’ai entendu des journalistes francophones se plaindre de politiciens flamands tout aussi inaccessibles et réticents.

Malheureusement, même de nombreux membres du gouvernement fédéral ne semblent pas considérer comme important de participer au débat public des deux côtés de la frontière linguistique, même s’ils prennent des décisions qui affectent l’ensemble des 11 millions de Belges. Bien entendu, franchir la frontière linguistique ne leur serait pas bénéfique sur le plan électoral, car la Belgique n’a pratiquement pas de partis nationaux et les hommes politiques n’ont donc qu’à convaincre les électeurs de leur propre communauté linguistique. Mais cela ne devrait faire aucune différence pour les décideurs politiques qui ont le sens des responsabilités. D’autant que cette réticence à dialoguer avec les habitants de l’autre partie du pays contribue à la propagation des clichés et des stéréotypes.

Ce ne sera pas la faute de Thomas Dermine. De tous les francophones du gouvernement fédéral, c’est lui qui parle le plus couramment le néerlandais. Et surtout, contrairement à nombre de ses collègues du parti, il utilise ce talent pour échanger régulièrement des idées avec les Flamands.

Avec son livre sur les différences économiques entre le nord et le sud de notre pays, Dermine franchit une étape supplémentaire (précieuse) dans ce dialogue transfrontalier. En diffusant simultanément exactement le même texte dans les deux grandes langues nationales, il contribue, consciemment ou inconsciemment, à renforcer notre espace public belge, plus faible.

Ironiquement, la même signification est couverte par d’autres drapeaux : le plutôt bon Wallonie-Flandre, Par-delà les clichésa reçu un titre néerlandais un peu plus pointu : Les Wallons, ça travaille ! Mais sinon, vous pouvez lire exactement la même histoire dans les deux langues. Pour ceux qui veulent faire l’effort, car il s’agit sans aucun doute de l’un des travaux les plus chiffrés et les plus réfléchis qu’un homme politique belge ait récemment publié. Malheureusement, ce n’est pas si difficile si l’on regarde la concurrence.

Pensée unique

Bien entendu, aussi étayé soit-il, il reste un écrit politique qui contient donc un message politique explicite. Des éléments de l’argumentation de Dermine peuvent donc certainement être remis en question, commentés et critiqués. C’est ce que j’ai fait en le lisant, tout comme je le fais avec les opinions flamandes sur les différences socio-économiques entre la Flandre et la Wallonie.

Dermine veut surtout combattre les platitudes économiques concernant la Wallonie. Qui vivent avec pas mal de Flamands, mais aussi avec des Wallons eux-mêmes. Ce Carole semble donc vouloir convaincre au moins autant les Wallons de son message, ce qui n’a rien d’étonnant pour celui qui occupera dans un peu plus de six mois une place importante sur une liste électorale dans la plus grande circonscription wallonne.

Les stéréotypes francophones sur la Flandre ne sont pas abordés par Dermine. Ce serait bien si un homme politique flamand pouvait faire ce travail avec une épître bilingue similaire. Ou, mieux encore, pourquoi un homme politique flamand ou francophone ne réfute-t-il pas d’un seul coup les clichés mutuels ?

Car, que sa vision politique de l’avenir du pays penche vers le séparatisme, l’unitarisme ou quelque chose entre les deux, un véritable intellectuel ne devrait jamais être satisfait si cet objectif doit être atteint en créant ou en perpétuant des clichés ou d’autres généralisations.

En attendant, quiconque n’est pas (entièrement) d’accord avec le contenu du livre de Dermine devrait réagir vivement à son contenu. De préférence également dans les deux langues, afin que ce débat important pour notre pays n’en soit que plus riche. De cette façon, chacun peut se forger sa propre opinion, en connaissant toutes les perspectives et tous les arguments possibles, au-delà de la communauté. pensée unique. J’espère donc qu’à l’avenir, on me demandera de moins en moins ce que pensent « les Flamands » ou les « Wallons ».



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