« StNous sommes à neuf heures, Après Titus Andronicus, Oncle Vanya, stylothèsesilée, Médée, Schönberg Kabarett, Richard II, Italie Mon Italie, Parc du Der». Madeleine Crippa elle s’efforce de ne pas oublier de lister les spectacles qu’elle a donnés depuis 1989 sous la direction de son mari Pierre Stein. Et un lui échappe. « Il y a aussi Les démonsil intervient, géant de la scène européenne, dans son italien impeccable et riche. Aujourd’hui nous sommes à 10, donc, avec Anniversaire de Harold Pinter, en tournée jusqu’au 5 mars: l’histoire d’un couple et de leur locataire, mentalement instables, qui vivent un quotidien ennuyeux et répétitif jusqu’à l’arrivée de deux personnages indéchiffrables.
Fou, comique et choquant
Pourquoi choisir une imprimante de 1957 ?
Pierre C’est très fou, très comique et, parfois, très choquant. La structure est très moderne et je m’intéresse aux textes eux-mêmes, sans poursuivre l’actualité avec la guerre en Ukraine, la crise climatique ou le réveil du fascisme en Europe.
Il a dû aimer donner à sa femme le rôle de Meg, une ménagère échevelée qui ne lui ressemble en rien.
P Cela dépend de votre point de vue. D’un qui vient de Brianza vous pouvez vous attendre à peu près à tout (ils rient tous les deux).
Madeleine Je l’apprécie beaucoup, je dois l’avouer.
P Son rôle semble inintéressant, mais il est fondamental : Meg est la dispensatrice, celle qui s’occupe de la comédie, étant totalement stupide.
M. Naïf…
« Rendons ça bizarre, rendons ça mauvais »
Comment Maddalena a-t-elle réussi à incarner quelqu’un comme ça ?
m. Je m’accrochais à mes racines, à l’accent, à ce certain je ne sais quoi « terragno » de ceux qui viennent de chez moi. Je « m’utilise », mais au service du personnage. La virtuosité pour elle-même n’a pas de sens pour moi, elle a du sensensembles. Le théâtre n’est pas un monologue, c’est un jeu de relations humaines : nous sommes des êtres sociaux et il nous sert de miroir, de reflet. Plus personne ne s’engage à agir avec la précision, le respect des mots et la fidélité de la traduction de Peter. Un merveilleux savoir s’est perdu dans la poursuite de l’effet, du « faisons-le bizarrement » qui devient parfois « faisons-le mal ».
P Vous pouvez comprendre une phrase littéralement sans comprendre sa véritable signification. Avec quoi voulez-vous me communiquer : « Il fait beau » ? « Je dis cela parce que la semaine a été triste… ». Ah alors il faut colorer la phrase avec cette expérience : c’est le fameux sous-texte, qui vient du cœur, des sentiments, pas du cerveau.
Comment est-ce de collaborer avec un partenaire de vie ?
M. Plus difficile qu’avec les autres : la sensibilité se découvre davantage. Et il ne me traite pas mieux, au contraire. Si vous n’êtes pas sa femme, il y a une distance qui vous préserve.
P Bien sûr, nous partageons la salle de bain ! (sourit) Ce n’est pas facile avec Maddalena : elle s’énerve vite. Grâce à elle – en 89, quand on préparait Titus Andronicus – J’ai découvert l’expression « queue de paille ». J’ai demandé à un collègue : pourquoi celui-là réagit-il toujours comme une furie ? Je suis payé pour critiquer les acteurs… « Tu as une queue de paille ». Et c’est quoi? Après 34 ans, je ne comprends toujours pas.
M. Cela signifie qu’il prend feu rapidement. Ou non?
Maddalena Crippa et Peter Stein, la première rencontre
Selon l’Accademia della Crusca, il désigne ceux qui n’ont pas la conscience tranquille et se méfient de peur d’être découverts.
M. Non, ce n’est pas ça. Cependant : dans l’étymologie de Pierre il y a « pierre » (fait le geste d’un dur). Le Kraut et l’Alpine Brianza, un beau match.
A quand la rencontre ?
M. A Palerme, en 1987, devant Santa Maria della Catena. Il tenait un séminaire et mon copain (on était déjà conscient que l’histoire ne durerait pas) était son bras droit. Il me l’a présenté et, au bout de cinq minutes, j’ai compris : « C’est mon homme ! ». Mais c’était comme rêver du Pape.
Quelle a été la première chose que tu as pensé d’elle, Peter ?
P Impressionnant. J’ai vu à contre-jour, une fille (j’avais 20 ans de plus) avec un short style cycliste. C’était une époque où j’en avais fini avec les femmes. J’ai eu un mariage plus que malheureux et j’avais décidé : ça suffit !
M. En fait, ça m’a fait souffrir. Pendant deux ans, je suis allé le voir à Berlin sous prétexte qu’il y avait le projet de Titus Andronicus: il m’invitait à déjeuner chez lui, à visiter des musées…
P Une fois, lors d’une exposition, il a fouillé dans ma poche (ils rient tous les deux au souvenir). Comment arrive-t-elle à mettre sa main dans ma poche ?!?
M. Je n’ai pas trouvé de poignées. Ce n’est pas un connard et je ne suis pas Jack le Conquérant à part entière : j’ai une attitude plutôt masculine. Une frustration terrible.
Le Titus Andronicus enfin arrivé sur scène, à Gênes.
M. Nous nous sommes rencontrés lors du montage. Il s’était cassé la jambe, tombant pour être cool, et je le conduisais partout.
« Notre bonne retraite »
Vous devez gérer de longues séparations. Une bonne chose, une mauvaise chose ?
P Pour moi, c’est absolument positif, c’est notre travail. Si je suis – disons – en Angleterre pour une mise en scène, rien d’autre n’existe et donc le temps passe vite. Et se retrouver est extraordinaire.
M. Ensuite, nous avons ce lieu en Ombrie, San Pancrazio, un village médiéval abandonné que nous avons restauré et qui nous permet quelque chose qui nous est maintenant refusé : la communauté. Nous avons essayé là-bas un mois et demi aussi Anniversairevivant avec la distribution au petit-déjeuner, au déjeuner et au dîner.
P Le seul moyen de s’échapper de ce camp de concentration théâtral est un petit bar de village à trois kilomètres.
Qui a eu l’intuition ?
M. Lui, bien sûr ! (haussant les épaules). J’organise et je suis là, mais ce truc génial (comme la vision qui l’a guidé dans chaque collectif de théâtre qu’il a créé) est le sien. Je n’aurais jamais osé : sept maisons, 70 hectares autour, une salle de répétition encastrée dans la colline…
J’ai vécu d’art, j’ai vécu d’amour… Une relation globale, une idylle.
M. Mais quelle idylle ! Tu penses? (clins d’œil)
P Très souvent, j’ai pensé que c’était une idiotie totale, trop vaste. Mais j’ai fini par comprendre pourquoi j’ai persévéré : tout simplement, je veux y mourir. Le lien avec la nature est unique : tout autour, que des champs et des bois.
« Nous n’avons pas eu à manger »
Avez-vous grandi dans la verdure ? L’a-t-elle raté ?
P Non, je suis né à Berlin. Mon père était industriel, il dirigeait avec ses collègues collaborateurs cette industrie de guerre allemande qui a ruiné l’Europe. Après la Seconde Guerre mondiale – j’avais sept ans – nous avons déménagé à la frontière avec la Suisse : nous n’avions rien à manger, nos biens avaient disparu. Vivre trois ans sans rien avoir, uniquement avec les vêtements que nous portions, était une chose très importante pour ma formation. A partir de 1949, avec la fondation de la République fédérale, les choses reprennent. Mon père et les autres sont retournés aux mêmes postes et ont fait la reconstruction : la même str… a bénéficié de la reconstruction !
Pas d’artistes dans la famille ?
P Ma mère était sculptrice, dommage qu’elle ait arrêté quand elle s’est mariée. En tant que rejeton bourgeois, j’ai essayé de jouer du violon : très mauvais. Peindre : un désastre total. J’écrivais des poèmes qui, à peine composés, semblaient prodigieux le soir et horribles le matin. Je me suis vite rendu compte que je n’avais aucune prédisposition, et en tout cas je n’avais pas l’intention de devenir comme mon père, qui produisait des technologies nuisibles à l’espèce humaine et, de surcroît, difficiles à éliminer. Je voulais traiter de ce que les gens gardent de toutes leurs forces et conservent dans les musées. Manquant de talent, je me suis rabattu sur l’histoire de l’art et la littérature à l’université. J’ai étudié pendant dix ans, j’ai commencé tard le théâtre et c’est peut-être là la différence avec la plupart des metteurs en scène : que savent-ils des chefs-d’œuvre ? Quelle « galerie d’images interne » ont-ils ? À quelle « salle de musique », à quelle « bibliothèque interne » recourir ?
« J’ai éclaté en sanglots »
Comment cela a-t-il commencé dans votre cas, Maddalena ?
M. Au collège, j’ai participé à un spectacle d’oratorio dirigé par mon père (il l’a toujours traité à un niveau amateur). J’ai pris un canard et j’ai décidé : je serai actrice ! A 12 ans, j’étais sûr.
Excusez-moi, n’aurait-il pas été plus naturel de le fermer là ?
P C’est quoi « canard » ?
M. Une erreur de diction… Non, pas de traumatisme : lorsque le rideau s’est refermé et que j’ai éclaté en sanglots, j’ai réalisé que je n’avais jamais ressenti une émotion aussi forte ! Mais j’étais trop jeune pour une école de théâtre, et j’ai donc été « parquée » au lycée artistique de Monza, celui de la Preziosine (la congrégation des religieuses du Très Précieux Sang, éd). Quand, en 1973, il est sorti sur le Courrier que Giorgio Strehler cherchait un interprète pour Anja di Le verger de cerisiers, je me suis présenté à l’audition et ça s’est très bien passé, mais il a choisi Monica Guerritore. Pourtant, sur 400 aspirants, j’avais frappé le Maître : il m’avait appelé et m’avait demandé. L’année suivante, le téléphone sonna : c’était le Piccolo, Strehler me cherchait pour Lucietta par Le campiello. 450 réponses ! Commencer ainsi est – je crois – un signe de sérieux, de profondeur, de vérité.
Italie-Allemagne
Y a-t-il un favori parmi vos collaborations ?
P Pour moi le Médée d’Euripide, à Syracuse. S’adressant sans micro à des milliers de spectateurs, le dispositif scénique pour créer un soleil de six mètres sur six, à une hauteur de 36 mètres…
M. Médéeoui, je suis d’accord : pour la complétude de l’ensemble.
Comment les mondes italien et allemand se sont-ils harmonisés ?
P J’ai commencé à venir ici en ’55 pour mes études…
M. Avant ma naissance.
P …depuis, j’ai passé au moins un mois par an dans votre pays, mais il n’y a pas de recette facile pour une relation amoureuse. Comme en cuisine : mettez un peu de sel, un peu de poivre, mais il peut arriver que vous gâchiez la nourriture (des rires). L’exception, dans notre cas, est avant tout la durée, considérant que nous partons de deux univers et de deux personnalités très dissemblables, avec vingt ans de différence. Nous n’avions pas d’enfants.
M. Ils ne sont pas venus (écarte les bras).
P San Pancrazio était notre enfant.
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