Visite du tristement célèbre squat de Bruxelles avec des demandeurs d’asile : “Même la police n’ose plus entrer ici”


Après la Gare du Nord de Bruxelles et le Parc Maximilien, un squat de la Paleizenstraat est désormais le symbole des conditions misérables dans lesquelles les demandeurs d’asile et les sans-papiers doivent survivre sans aucune perspective. “Je me creuse la tête sur cette stratégie putride depuis plus d’un an maintenant.”

Lotte Becker

Lorsque des bénévoles apportent de la nourriture le dimanche soir, une bagarre éclate dans le squat de la Paleizenstraat : on tire, on pousse et on crie. Des centaines d’hommes, affaiblis et affamés, essaient d’obtenir un bol de légumes et de riz, mais il n’y en a pas assez pour tout le monde.

L’ambiance est morose dans l’ancien siège du fisc, où un millier de demandeurs d’asile ou sans-abri campent depuis octobre. Ils partagent deux douches et trois toilettes. « C’est terrible ici », dit Robert, un homme de 23 ans originaire de la Sierra Leone, qui dort par terre sans matelas. “Les gens sont sous influence, ont faim ou se disputent.” Il montre du sang sur les murs et de l’urine sur le sol. Des personnes ont été poignardées à plusieurs reprises, dit-il, et un Tunisien est décédé fin décembre, peut-être d’une surdose de drogue.

Il y a deux gardes de sécurité devant la porte. « Nous n’intervenons qu’en cas d’urgence. Même la police n’ose plus entrer ici.” La Croix-Rouge, qui fournit des soins médicaux, reste également absente pour des raisons de sécurité. Des maladies telles que la diphtérie et la gale sévissent parmi les résidents.

Comment en est-on arrivé là ? Et, peut-être plus important encore, comment est-il possible que ce ne soit pas la première fois que des demandeurs d’asile et des migrants sans papiers doivent survivre dans des conditions misérables ? Depuis la crise de l’asile en 2015, ils campent dans la Gare du Nord de Bruxelles ou dans le Parc Maximilien.

Sculpture Aurélie Geurts

“Ces camps étaient le résultat des quotas d’asile de l’époque”, explique Benoit Dhondt, avocat spécialisé dans le droit d’asile. “Mais à l’époque j’avais l’impression que cette accumulation de personnes en situation misérable devait aussi servir à entretenir un certain discours. Les haillons ont fait perdre aux gens leur humanité et le problème est devenu très visible. Cela l’a fait paraître beaucoup plus grand qu’il ne l’était en réalité.

Droit ou faveur ?

D’après le cabinet de Nicole de Moor (CD&V), secrétaire d’État à l’Asile et à la Migration, la majorité des squatters de la Paleizenstraat n’ont pas introduit de demande d’asile, ce qui signifie qu’ils n’ont pas droit à l’accueil, mais si c’est correct, c’est ouvert au questionnement. Après tout, la Croix-Rouge affirme qu’au moins les trois quarts des habitants ont bel et bien déposé une demande.

D’ailleurs, experts et ONG alertent depuis plus d’un an sur cette misère, causée par une pénurie chronique d’abris. En fait, Fedasil a été condamné des milliers de fois pour ne pas avoir offert aux hommes célibataires demandeurs d’asile le logement auquel ils avaient droit. « J’appelle cela l’anarchie organisée. Les droits de ces personnes sont violés de manière flagrante : un droit fondamental est présenté comme une faveur, un geste du gouvernement », déclare Dhondt.

Et même si De Moor a annoncé la semaine dernière que Fedasil a pu identifier une centaine de demandeurs d’asile du squat et que 81 personnes ont désormais été transférées dans des centres d’accueil, les points d’interrogation demeurent. Qu’en est-il de ces centaines qui sont encore là ? Et comment veut-elle éviter que nous ayons exactement le même problème dans quelques mois, mais dans un endroit différent ?

Sylvie Micholt, jusqu’à récemment avocate spécialisée en droit des migrations et ancienne star du CD&V qui rendait sa carte du parti par aversion pour la politique d’asile actuelle, déclare : « Je pense qu’on peut parler d’une stratégie pourrie. Mais pourquoi, ça fait plus d’un an que je me casse la tête. Je soupçonne qu’ils ont peur de faire le jeu de l’extrême droite.

Effet d’aspiration

Cela peut également être dû à l’espoir que cela tempérera le soi-disant effet d’aspiration, contre lequel des politiciens comme Sammy Mahdi (CD&V) et Conner Rouseau (Vooruit) ont déjà mis en garde. « Il va sans dire que le secrétaire d’État continuera à chercher des solutions pour les demandeurs d’asile », répond le cabinet de De Moor. Cela prend du temps et il faut vérifier qui a droit à quoi.

Mais Dhondt est sceptique. « Je ne sais pas si c’est la principale explication, mais il semble que le gouvernement compte secrètement sur le désespoir et l’imprévisibilité dans lesquels se trouvent les gens lorsqu’ils demandent l’asile, dissuadant les autres de faire de même. Ou que ces personnes finiront par disparaître dans un autre pays ou illégalement.

La question est de savoir si cela est réaliste. Au cours des deux dernières années, le nombre de demandes de protection a augmenté, selon les chiffres du Commissariat général aux réfugiés et aux apatrides (CGRA). Micholt : « La majorité de ces gens viennent de pays en guerre. Et là où la guerre fait rage, les gens laisseront leurs biens derrière eux et s’enfuiront.

Dhondt note également que cette dissuasion ne fonctionne pas : « Depuis des années, l’Europe fait beaucoup d’efforts pour rendre les choses aussi difficiles que possible pour ces personnes : les issues de secours ici sont plus dangereuses que jamais, les conditions de vie des gens sont parfois insupportable. Ils savent aussi que dans ces pays d’origine : ils savent que les membres de la famille des réfugiés disparaissent parfois pendant des années et sont injoignables. Mais ça ne résout rien. Ce que mes clients me disent toujours, c’est qu’ils ne seraient pas partis s’ils n’y étaient pas obligés.



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