Venise 80 : le court métrage d’Antoneta Alamat Kusijanović pour Miu Miu Women’s Tales


Let Giornate degli Autori, Journées de Venisesection indépendante et parallèle de la Mostra de Venise, qui fête ses vingt ans, du 30 août au 9 septembre alignent 10 films en compétition, 7 événements spéciaux, 8 titres en Nuits vénitiennes, une soirée dédiée à Jean Marc Vallée et au cinéma québécois, 4 séances spéciales, rencontres et dialogues avec les auteurs.

Comme toujours, le Giornate, dédié cette année à Andrew Purgatoriqui en était le président, et au directeur Citto Maselliqui les a fondés en 2004, contiendra en son sein, les deux courts métrages de « Miu Miu Women’s Tales », Oeil deux fois bouche du Mexicain Lila Avilés et, le 3 septembre, Reste loin du croate Antoneta Alamat Kusijanovic. A partir du 4 septembre Reste loin vous pouvez le voir sur la plateforme MUBI.

Parallèlement à la présentation des courts métrages, un programme de conversations entre le 3 et le 4 septembre – animé par Penny Martin de La gentille femme – abordera des questions liées au cinéma dont les femmes sont les protagonistes. Parmi les nouveautés, la création du Comité des contes de femmes Miu Miu: comité de sélection qui guidera et accompagnera la série de courts métrages dans le futur.

Le Comité des Contes de Femmes Miu Miu : Ava DuVernay, Maggie Gyllenhaal, Catherine Martin, Miuccia Prada et Verde Visconti.

Aux côtés des co-fondateurs Miuccia Prada et Verde ViscontiIl y aura réalisatrice Ava DuVernay (autrice du court métrage Contes de Femmes #5 et présente en compétition cette année avec Origine), actrice et réalisatrice Maggie Gyllenhaal elà Catherine Martin, deux fois lauréate d’un Oscar pour la conception des costumes, la production et la conception de la production.

La réflexion d’Antoneta sur le pouvoir

Antoneta Alamat Kusijanovic elle s’est fait connaître en 2021, lorsque son premier long métrage Murina été présenté à Cannes à la Quinzaine des réalisateurs, remportant la Caméra d’Or, le prix réservé aux débutants. je femme je l’ai rencontrée sur zoom.

Murin il racontait un jeu dangereux entre un père et un homme riche et puissant, un jeu dans lequel sa femme et sa fille étaient impliquées à contrecœur. Avec Reste loin est-elle revenue à ces atmosphères ?
J’ai toujours eu envie de réfléchir sur le pouvoir, je m’interroge sur sa nature : est-ce quelque chose que nous avons en nous, ou quelque chose qui nous est accordé ? Combien de fois avons-nous entendu, ces dernières années, le plaidoyer : « Nous devons autonomiser les femmes » ? Nous disons cela parce que les femmes n’ont pas de pouvoir. Ce sont des discours qui ne sont pas faits sur les hommes, les hommes ont le pouvoir. Soit ils prennent le pouvoir, soit ils sont puissants, personne ne le leur donne, ils n’en ont pas besoin. Mais si vous le recevez de quelqu’un, ce n’est pas un pouvoir réel : tel qu’il vous a été donné, ainsi il peut vous être retiré. Je voulais explorer ces thèmes au sein d’une famille qui dirige une entreprise, où règnent des dynamiques d’oppression, des egos gonflés, des manigances chauvines et une femme confrontée à une trahison qui entre en collision avec ses propres ambitions. Parce que si vous vous placez en dehors de la tribu, vous êtes contre la tribu. Reste loin c’est un tranche de vieet c’est intéressant que Miu Miu m’ait donné une liberté totale pour le faire alors que le film parle du contraire, il parle d’oppression.

Antoneta Alamat Kusijanovic.

Murin avait amené de nombreux critiques à conclure qu’il était le produit d’un « regard féminin ». C’était comme ça ? Et est-ce le cas pour ce court-métrage ?

C’est difficile de penser en termes de genre, je ne peux parler que de ma façon de voir le monde qui se traduit forcément dans ce que je fais. Faire des films, c’est dire la vérité (« La photographie est la vérité. Le cinéma est la vérité vingt-quatre fois par seconde », célèbre citation de Jean-Luc Godard, éd), ou c’est la vérité pour moi, insensible aux brochures (Le regard féminin : les femmes en tant que spectatrices de la culture populaire par Lorraine Gumman, 1988, éd), par la façon dont on nous dit que nous devons parler ou regarder. Dans Murin il y avait une jeune femme de 16 ans, intelligente, provocante, sensuelle, confuse. Il se passe beaucoup de choses à cet âge-là. Et c’étaient toutes des choses que j’avais à l’intérieur à 16 ans. C’est donc mon look.

Une femme dans un monde d’hommes

Comment s’est déroulée la production de Reste loin?

Tout d’abord j’ai vu la collection Miu Miu en mars. Elle m’a captivé, elle avait un vrai caractère et elle convenait extraordinairement au projet que je développais. Créer une synchronisation entre la collection et mon histoire, qui se déroule dans le New Jersey, était simple. Il y a une femme qui travaille dans un monde masculin, le métier du BTP et du désamiantage. C’est une femme très féminine, traditionnelle mais en même temps tentée d’explorer la sexualité. La collection mélange un style traditionnel et un style androgyne et masculin. Il a été facile de créer le dialogue entre ces deux aspects, ainsi que de trouver des collaborateurs pour le projet. J’ai eu de la chance, j’ai constitué en peu de temps une équipe exceptionnelle et très mixte. Il y a aussi un Italien, Luciano Vignola, au sound design.

Il est intéressant que la mode joue un rôle aussi central, dans Murin le protagoniste portait un maillot de bain tout au long du film.

C’est vrai, mais pour rendre justice à Amela Baksic, la costumière de Murin, et qui a également travaillé sur ce court métrage, il a fallu un an pour concevoir ce costume. Amela a travaillé dessus avec une entreprise japonaise basée à Los Angeles pour trouver le bon matériau, puis l’a fabriqué en Croatie. Nous voulions que ce costume reflète la féminité, mais aussi qu’il soit androgyne et avec une composante animale. Animal sous-marin qui change de couleur lorsqu’il est au soleil, parmi les rochers ou sous l’eau.

De Dubrovnik à New York

Elle vit désormais à New York où elle a également étudié le cinéma. Votre pays d’origine reste-t-il important dans votre travail ? Comment combine-t-il les deux mondes ?

J’ai grandi à Dubrovnik, une ville magnifique : si vous vivez dans un endroit comme celui-là, cela vous influencera certainement, éclairera vos goûts. L’endroit d’où je viens est le noyau d’où je pars toujours, la genèse de chaque projet. Mais je souhaite aussi me faire comprendre au-delà des frontières de mon pays. Je suis arrivé aux États-Unis à 22 ans et à 17 ans j’étais au Canada où j’ai étudié dans un village très isolé du Québec. A New York, j’ai ensuite poursuivi mes études à Columbia. New York m’a accueilli, mais cela m’a aussi mis au défi. Ici, on ne se sent jamais en sécurité, on est toujours à la limite et l’équilibre demande de l’énergie.

La communauté cinématographique américaine l’a définitivement adopté. Murin avait comme producteur exécutif Martin Scorsese. Difficile d’en demander plus.

Je ne me suis jamais senti aussi bien accueilli ! Comme aussi les festivals, Cannes, Berlin… New York est une belle communauté, un endroit où il est facile de relier différentes réalités.

Le cinéma balkanique est-il une réalité ou juste une étiquette ? La génération qui l’a précédé, celle de Kusturica, Paskaljević, Tanović, a désormais laissé le terrain à un nouveau levier. Nous avons vu des choses intéressantes venant de Bosnie récemment, Quo Vadis, Aïda ?, Le Rendez-vous… Vous voyez ce qui se passe de loin ?

Je suis toujours très présent. Je passe 4, 5 mois par an en Croatie. J’y écris l’été et aussi à Noël, une période importante pour moi et ma famille. J’adore cette partie de l’année à Dubrovnik où il fait incroyablement froid et où la ville est déserte. Mais je pense que ce que nous voyons est le résultat d’un travail effectué depuis longtemps. La vague arrive et elle contient une grande présence féminine. Ce sont des femmes intrépides. Je me sens partie intégrante de cette société et de ce cinéma.

Antoneta Alamat Kusijanovic.

D’où vient votre intérêt pour la dynamique du pouvoir, le passé de ce lieu a-t-il suscité une réflexion ?

Avec vos premières œuvres, il est clair que vous vous explorez également, en essayant de comprendre quels sont vos intérêts. Si je repense aux histoires que je raconte, je trouve qu’elles ont un aspect viscéral qui est ensuite bien sûr couché sur papier et rationalisé. Avec ce court métrage, j’ai peut-être envie de provoquer un peu, de dire que le pouvoir que nous pensons avoir n’est pas vraiment là. Vous avez vraiment le pouvoir lorsque vous nagez à contre-courant et que vous comparez qui vous a donné le pouvoir.

Le pouvoir comporte un élément illusoire. Si nous nous convainquons que nous l’avons, nous nous mettons au même niveau que Dieu et perdons de vue notre condition qui est celle des êtres mortels.

C’est un pouvoir différent, je dis le pouvoir que nous avons pour prendre la vie en main. Cette liberté. Ne soyez pas opprimé. Avoir des envies et de l’énergie.

Antoneta Alamat Kusijanović parmi les acteurs de Stane.

Quels sont ses modèles ?

De 6 à 18 ans, j’ai joué au théâtre, mais être comédienne ne m’intéressait pas vraiment. Je ne pensais pas encore à la réalisation, mais ça me fascinait de regarder les gens, de comprendre ce qu’ils cachent, ce dont ils n’ont pas conscience. Je voulais produire des pièces de théâtre lorsque j’ai déménagé à New York, mais en travaillant dans la production, j’ai fini par lancer un projet de documentaire sur la construction des syndicats. Je cherchais un réalisateur, et n’en trouvant pas, je l’ai filmé. C’était révélateur. J’écrivais des histoires depuis toute petite, vers l’âge de 8 ans j’en ai même publié une, une auto-publiée, à 9 exemplaires ! Tout était réuni : écrire, monter des spectacles pour enfants dans les rues de Dubrovnik et réaliser un film. Je n’avais tout simplement pas de mot pour décrire ce que je voulais. Je ne l’avais pas consciemment voulu, mais c’était là. Le film qui a marqué ma vie est sans doute le Sirène. Et en pensant à Murin Je dirais qu’il y a une raison. Mais aussi Fanny et Alexandre par Bergman, Une femme par Cassavetes, Cours de piano, Blade Runner. J’ai récemment vu Fermer de Lucas Dhont qui m’a marqué.

Et quels sont vos projets pour l’avenir ?

Dans cette partie du monde, les choses ne se produisent pas les unes après les autres, mais toutes ensemble. Je termine l’écriture d’un deuxième long métrage et je travaille sur un projet télé. C’est très différent de l’Europe où l’on peut rester sur un projet jusqu’à 5 ans. Mais ce n’est pas mal de faire plusieurs choses à la fois, cela donne plus de distance et de perspective, même si c’est très romantique la manière européenne de prendre son temps, s’asseoir dans une pièce et écrire calmement jusqu’à trouver le bon chemin.

L’expérience de Reste loin Votre rapport à la mode a-t-il changé ?

Miu Miu Women’s Tales est une marque de mode et les personnages portent des modèles de la collection, mais l’accent est mis sur la narration de l’histoire. Je n’ai jamais vu le projet comme un film de mode, mais plutôt comme un film dont la mode fait partie. Et dans ce cas, c’est un élément important. Chaque histoire reflète également l’époque à laquelle elle est conçue.

iO Femme © REPRODUCTION RÉSERVÉE



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