Une nouvelle biographie raconte l’histoire d’un artiste qui, avec ses œuvres, n’a jamais cessé d’inspirer la mode et le design


« À Paris J’ai vite appris le Foxtrot, le Shimmy et le One Step… Au début le talon-pointe était compliqué. Mais maintenant, nous pouvons trouver un moyen de contourner ce problème », a-t-il écrit. Piet Mondrian à l’artiste Théo van Doesburgavec lequel le peintre avait fondé un mouvement (et une revue) révolutionnaire pour l’histoire de l’art : De Stijl« le style ». Dans cette lettre, sans trop de fioritures intellectuelles, Piet expliquait avec joie à son ami comment le Shimmy était devenu sa danse préférée.

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Identifier un tel divertissement chez un homme qui fut un exemple d’austérité, qui vécut seul pour toujours, n’est pas encore évident. Avec le peu d’argent nécessaire pour subvenir à ses besoins en tant qu’artiste à plein temps, Mondrian alterne des périodes de relative abondance et de pauvreté qui ne l’empêchent jamais de toujours paraître élégant. Ses escapades entre Paris, Londres et New York sont financées par des mécènes : tout est secondaire par rapport à l’art. Il organise ses habitudes autour d’elle, aussi précises que les grilles blanches dans lesquelles il positionne ces géométries jaunes, rouges et bleues destinées à conquérir la mode et le design.

Un génie bohème

«Mondrian, c’est la pureté, et on ne peut pas aller plus loin dans la peinture. Le chef-d’œuvre du XXe siècle est un Mondrian », s’est exclamé Yves Saint Laurent.qui lui consacre une Haute Couture Hiver 1965 entrée dans l’histoire. C’est ainsi qu’en 1969, grâce à cette collection, l’artiste est célébré lors d’une première rétrospective à Paris.

Sa vie se déroule à chaque instant avec Nicholas Fox Weber dans Mondrien. Sa vie, son art, sa quête de l’absolu (Alfred A. Knopf), biographie monumentale d’un génie obsessionnel en art, passionné de musique, sauvage en danse et timide en amour (mais qui a aussi conquis Peggy Guggenheim avec ses baisers). Un génie bohème qui en 2022 a atteint des prix exorbitants : avec 51 millions de dollars, chez Sotheby’s, Composition n° II il a dépassé de 20 fois le prix obtenu lors de la dernière vente aux enchères, il y a quarante ans.

La nouvelle monographie «Mondrien. Sa vie, son art, sa quête de l’absolu » par Nicholas Fox Weber (Photo : Alfred A.Knopff).

La biographie de Piet Mondrian

Né en 1872 à Amersfoort aux Pays-Bas, Pieter Cornelis Mondriaan, plus tard connu sous le nom de Piet Mondrian, a développé très tôt un amour pour l’art. soutenu par son père et son oncle, passionnés de peinture. Élevé dans un environnement calviniste, la famille façonnera son futur mépris pour le vice et l’ostentation. Diplômé en pédagogie, prêt à devenir professeur, il choisit cependant de poursuivre ses études de dessin à Amsterdam, puis de s’installer en province où il perfectionne une peinture naturaliste classique : pour subvenir à ses besoins, il va même commencer à concevoir des bactéries pour un scientifique de renomdestiné à enseigner l’usage du microscope.

En 1908, dans la capitale, son aspect change. Avec des cheveux flottants inhabituels et une longue barbe, il entame un voyage spirituel qu’il n’abandonnera jamais. Il se rapproche de la Société Théosophique fondée par Helena Blavatsky et, plus tard, de la pensée de Rudolf Steiner, pour qui l’art recèle une initiation au monde cosmique. Comment comprendre la dimension universelle ? Pour Mondrian, respecter cette abstraction géométrique ce qui l’emmènera à mettre en évidence uniquement les couleurs primaires.

L’artiste dans son atelier à New York devant l’œuvre « Broadway Boogie Woogie » (Photo : Fritz Glarner).

Conquérir le monde

Il est difficile pour un esprit aussi complexe de créer des relations émotionnelles stables. Piet fait quand même quelques tentatives. Le frère banquier (ainsi que son collectionneur) d’une riche bourgeoise il l’engage comme professeur d’art: après une fête de fiançailles organisée fin 1911, Piet s’installera à Paris début 1912… seul. Les événements ne sont pas encore clairs, le fait est qu’une fois de plus chez lui c’est l’art qui gagne, et certainement pas la stabilité. Mondrian s’était en effet rapproché des milieux d’avant-garde, où il fut influencé par le travail radical des peintres cubistes : pour les suivre, à Paris, il s’installe à Montparnasse.

À l’été 1914, il retourne aux Pays-Bas pour rendre visite à son père malade, mais le déclenchement de la Grande Guerre l’empêche de revenir. Ayant décrété la fin de sa période cubiste, De Stijl est né en 1917 avec Theo van Doesburg, Bart van der Leck et Vilmos Huszarlangage pictural dominé par les lignes droites, les couleurs primaires mais aussi le blanc, le noir et le gris.

A l’occasion du cinquième anniversaire du mouvement, van Doesburg lui attribuera le mérite d’avoir inventé cette approche qui est encore synonyme du style Mondrian. De retour à Paris, Piet publie divers écrits, même si ses œuvres restent invendues. Découragé, il entre dans une période de crise et de pauvreté et crée des peintures sur commande. Les futuristes l’ont aussi inspiré avec une prestation parisienne très originale, dans un mélange de musique et de bruit. Excité, il se retrouve dans les idéaux de Marinettitous deux déterminés à briser les anciens schémas pour en créer de nouveaux, en pensant au bien de l’humanité.

Robe Yves Saint Laurent Haute Couture 1965, une collection connue pour avoir rendu Mondrian encore plus célèbre dans les décennies qui ont suivi sa mort (Photo : Terry Fincher/Getty Images).

Une vie entre art et musique

«Au lieu de richesses, cet ascète solitaire offre une pureté éblouissante, faisant tout plonger dans une lueur immaculée» écrit un journaliste du De Telegraaf admirant son atelier. Mais Mondrian ne s’exprime pas seulement sur l’art. «Si l’interdiction de Charleston est imposée aux Pays-Bas, je considérerai cela comme une raison suffisante pour ne plus y remettre les pieds» danseuse passionnée. «Il n’avait aucune souplesse, mais comme toute créature vraiment pure, il n’avait pas non plus le sens du ridicule» écrira le critique à ce sujet. Michel Seuphorsans savoir que des années plus tard Mondrian aurait enchanté les soirées d’une bourgeoisie new-yorkaise dansante.

Entre-temps, en atelier il peint avec une moustache, des lunettes et une blouse blanche en tant que technicien de laboratoire, tandis qu’en public, il montre des costumes à la modesans paraître dandy. Les maladies qui l’affligent de plus en plus souvent ont de nombreuses répercussions : faiblesse pulmonaire et arthrite, qu’il combat grâce à divers régimes végétariens.

Pour ses 50 ans, ses amis lui proposent de payer son loyer annuel en échange d’une œuvre qui sera offerte à un musée public. Tandis que de riches collectionneurs internationaux s’intéressaient à son travail et que sa renommée s’étendait à l’étranger. En Angleterre, cependant, dans une exposition, son travail est défini comme étant plus proche « de celui d’un peintre en bâtiment ». Mais l’affrontement le plus dur sera celui avec le régime nazi.

Parmi ses tableaux les plus célèbres, « Broadway Boogie Woogie », 1942-43 (Photo : Le Musée du Moderne Art/Sous licence SCALA / Art Resource, NEW YORK. Oeuvre © 2024 Mondrian/Holtzman Trust).

S’évader vers la liberté

En fait, parmi les œuvres définies comme art dégénéré par le gouvernement allemand, il y a deux tableaux de l’artiste Que ils sont détruits: effrayé, il s’installe à Londres en 1938, où des amis collectionneurs lui offrent des meubles et des vêtements. Il se consolera avec Blanche Neige et les Sept Nainsadmirant la musique et les films. Après deux ans, Londres apparaît également dangereuse : presque soixante-dix ans, il dort habillé dans un fauteuil avec un visa prêt et un passeport tamponné, prêt à embarquer sur le premier navire. Un soir les bombes risquent vraiment de le tuerfaisant exploser les fenêtres de sa chambre.

Il arrive à New York, la dernière ville de sa vie, en 1940. Une énergie qui l’entraîne vers de nouvelles directions : pour tracer les lignes de ses œuvres, moins noires et plus colorées, il utilise du ruban adhésif. Cette fois aussi il y a ceux qui prennent soin de lui, comme le peintre Harry Holtzman et la bien-aimée collectionneuse et galeriste Peggy Guggenheim.

C’est dans sa galerie, en 1943, qu’il participe comme juré à une exposition imminent: il mourra d’une pneumonie l’année suivante, mais ce jour-là Piet avance parmi les toiles. «C’est l’œuvre la plus intéressante que j’ai vue jusqu’à présent en Amérique» s’exclame-t-il devant un tableau très différent de sa linéarité. Peggy est perplexe : elle trouve vraiment intéressant un jeune homme aussi bizarre et indiscipliné que celui-là… Jackson Pollock? Peut-être conscient de ses expériences et de ses nombreuses difficultés, Mondrian n’a aucun doute : «Cela va dans le sens inverse de mes peintures, mais ce n’est pas une raison pour le déclarer invalide. Tout le monde suppose que je ne m’intéresse qu’à ce que je fais : mais il y a tellement de choses dans la vie et dans l’art qui peuvent, voire doivent, être respectées et admirées… ». C’est son héritage.

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