« Une leçon importante est qu’une grande partie des électeurs de la droite traditionnelle se sont désormais tournés vers l’extrême droite »


Selon des sondages fiables, Emmanuel Macron a été réélu président de la France. Son avance sur l’extrême droite Marine Le Pen est moindre qu’il y a cinq ans. « Les électeurs de Mélenchon l’ont sauvé, laissant Macron moralement redevable à la gauche. »

Martin Rabaey24 avril 202221:15

Les derniers bureaux de vote ont fermé vers 20 heures. L’avance que certains médias belges francophones attribuent à Macron via les sondages anticipés s’est confirmée. Le président serait réélu avec 58% des voix, selon des agences de sondage comme l’IFOP, tandis que Le Pen se présenterait à 42%.

Pourtant, ce n’est pas un succès sans réserve pour Macron. En 2017, il a gagné avec une avance beaucoup plus large sur Le Pen, puis avec 66,10 %.

« La tendance des deux dernières semaines se reflète dans le résultat. Les électeurs ont néanmoins fait un choix clair contre le programme de Marine Le Pen et sa faible performance a également joué un rôle dans le dernier débat », explique Frederik Dhondt, professeur à la VUB et expert français. « Les électeurs de la gauche radicale Jean-Luc Mélenchon, qui appelaient Macron à voter, l’ont sauvé. Maintenant, Macron a une dette morale envers la gauche.

La croissance significative de Le Pen – elle-même la qualifie de « victoire étourdissante » – reste une mauvaise nouvelle pour Macron à l’approche des prochaines élections législatives, qui se tiendront les 12 et 19 juin. Le Rassemblement national de Le Pen a immédiatement annoncé hier soir qu’il reprendrait sa campagne pour remporter autant de sièges au Parlement que possible en juin, essayant ainsi de contrecarrer le programme de réforme de Macron. Elle veut par exemple faire du rollback de sa réforme des retraites un fer de lance.

Assemblée

Le Pen doit son succès relatif par rapport à il y a cinq ans principalement aux électeurs du chroniqueur ultra-conservateur Eric Zemmour, qui a obtenu environ 8 % au premier tour. Selon Dhondt, il y a de fortes chances que Le Pen et Zemmour se rendent aux élections à l’Assemblée en tandem. Dhondt: « Une leçon importante de cette élection est qu’une grande partie des électeurs de la droite traditionnelle, la bourgeoisie conservatrice aisée qui a voté pour François Fillon il y a cinq ans, se sont désormais tournés vers l’extrême droite. »

A gauche, Mélenchon tentera de rallier les partis progressistes autour de lui. Il met ses ambitions pour le poste de premier ministre dans un soi-disant cohabitationgouvernement, qui diffère idéologiquement du président mais coopère avec lui, sans s’en cacher. « Le défi pour la gauche est maintenant d’éviter de transformer la plus grande opposition en un bloc d’extrême droite », a déclaré Dhondt. « Mélenchon peut compter sur de nombreux votes dans les banlieues des grandes villes, un facteur important. »

Marine Le Pen salue la presse après sa défaite au second tour de l’élection présidentielle française.ImageREUTERS

L’expert de la France met en garde. « Tant Le Pen que Mélenchon doivent espérer que les frustrations de nombreux électeurs sur des questions telles que le pouvoir d’achat se poursuivront dans les semaines à venir. Ce n’était pas le cas lors des élections législatives il y a cinq ans. Puis ils sont restés chez eux, permettant aux Macrons La République et Marche de gagner facilement les élections législatives. Comment ses députés LREM – dont beaucoup étaient des cadres hautement qualifiés – seront cette fois jugés par l’homme de la rue reste un point d’interrogation. »

C’est pourquoi le président réélu devra poursuivre lui-même sa campagne dans les semaines à venir. Macron tentera également de former une coalition avec des partis plus petits, dont un groupe autour de l’ancien Premier ministre et actuel maire du Havre Edouard Philippe.

Le plus gros problème pour Macron sera qu’il affrontera deux adversaires aux élections législatives qui pourront compter sur le soutien des mouvements de rue militants. La France pourrait être le théâtre de toutes sortes de manifestations et de grèves dans les semaines à venir, dans le prolongement de la nouvelle campagne électorale. Dhondt : « L’opposition va essayer de montrer qu’un vote pour eux n’est pas un vote perdu, mais qu’ils peuvent continuer à faire pression sur Macron. »

Le faible taux de participation – près de trois électeurs sur dix sont restés chez eux – est meilleur que prévu, selon Dhondt. « Il n’y a pas de grandes différences au premier tour. Pour moi, c’est la preuve que de nombreux électeurs restent motivés à voter contre Le Pen.

Secours pour l’UE et l’OTAN

Ce résultat est une bonne nouvelle pour l’UE et l’OTAN. Macron peut poursuivre son programme pro-européen sans relâche. Le Pen, d’autre part, voulait freiner son programme nationaliste à la fois dans l’UE, dont elle voulait même renégocier les traités, et dans l’OTAN. Cela avait été un scénario cauchemardesque pour les dirigeants européens et les États-Unis alors qu’ils se dressaient unis contre le président russe Vladimir Poutine au sujet de sa guerre dévastatrice en Ukraine.

Au cours des cinq prochaines années, Macron veut continuer à travailler avec la France sur une défense européenne plus intégrée et viser une union de l’énergie, qui peut devenir plus indépendante de partenaires commerciaux peu fiables comme la Russie. Dans ces cas aussi, son poids politique dépendra de la prochaine Assemblée. Le président du Conseil européen, Charles Michel, et la présidente de la Commission, Ursula von der Leyen, ont salué hier soir la victoire de Macron.



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