Une montre de poche est une petite machine à remonter le temps. Un tel garde-temps a récemment fait surface, après avoir été caché dans le boîtier en bois d’une horloge de queue pendant près de quatre-vingts ans. In memoriam : deux frères juifs, Alfred et Louis Overslagen de Rotterdam, tous deux victimes de la violence nazie.
Pieter Janssens, du village brabançon flamand de Molenstede, est l’honnête découvreur de la montre de poche. L’hiver dernier, il nettoyait les affaires de son père, décédé il y a deux ans. Il entendit quelque chose cliqueter dans une vieille horloge. Il ouvrit la montre et trouva une cloche en argent avec l’inscription au dos : « AA Overslagen, á son frère Louis ».
Oh oui, la montre de poche. Cela a fait surgir une histoire chez Janssens qui faisait le tour de sa famille. Trois soldats allemands avaient été cantonnés dans la ferme de son grand-père, Gustave, en 1943-44. Ils dormaient dans un cabanon, leurs toilettes se trouvaient dans un champ adjacent. Un jour, grand-père Janssens y avait trouvé une montre de poche, parmi les excréments. Sans doute était-il tombé de la poche d’un des soldats. Le texte au verso lui fit sentir le danger : il devait s’agir d’un bien volé, qu’il ne voulait pas rendre au voleur présumé. Il l’a caché dans une horloge.
Pieter Janssens avait parfois entendu de son père qu’il aimerait rendre la montre de poche aux descendants de la famille Overslagen. Mais oui – comment le trouvez-vous? C’était les années avant Internet.
Et puis, en février dernier, l’épisode mécanique s’est accéléré. Les mots-clés ‘Louis Overslagen’ ont donné un lien vers le site Jewisherfgoedrotterdam.nl, qui raconte l’histoire du destin de l’horloger Alfred et du marchand d’horloges Louis Overslagen, autrefois situés au 223 Hoogstraat à Rotterdam, dont la boutique et l’atelier n’ont pas été épargnés par le bombardement du 14 mai 1940. Les deux frères sont morts dans des camps allemands : Alfred le 21 janvier 1943 à Auschwitz, Louis vers le 31 mars 1944 dans un lieu inconnu d’Europe centrale.
L’historien Rob Snijders, auteur et administrateur du site, a reçu un e-mail de Flandre. En savait-on plus sur cette famille Overslagen ? Pas directement. Mais un appel de Snijders via Twitter et Facebook a réussi : dans les 24 heures, il a reçu un message concernant une piste qui a conduit à un petit-fils et deux petites-filles d’Alfred Overslagen. Leur mère Louise, fille d’Alfred, avait survécu à la guerre.
Le samedi 9 avril, Pieter Janssens a remis le garde-temps aux trois petits-enfants d’Alfred Overslagen, lors d’une rencontre émouvante à Rotterdam. Là, il s’est avéré que la montre de poche, âgée de 112 ans, fonctionne toujours.
Une version de cet article est également parue dans le journal du 9 mai 2022