Une exposition à Londres associe les divas du passé aux stars d’aujourd’hui, qui rendent les combats féministes spectaculaires. Mais les adeptes sont-ils suffisants pour devenir une légende ?


cQue faut-il aujourd’hui pour être une diva ? Lunettes noires? Un léopard en laisse ? Un Chihuahua fourré dans le Birkin ? Deux cents millions de followers ? Un scandale ? Tout et rien. Nous vivons à une époque de tendances éphémères, de célébrités qui durent une journée ou moins. Être une diva, c’est plutôt entrer dans la légende et y rester. Terminer en une exposition comme celle de Londres au Victoria and Albert Museumm (jusqu’au 7 avril 2024) qu’en un seul mot, « Diva », consacre un siècle de mythes, des chanteuses d’opéra aux actrices du muet, des déesses hollywoodiennes aux pop starset expose 250 costumes, photos, films et vêtements, certains inédits, comme des fétiches.

Billie Holiday, le documentaire

Diva, l’exposition à Londres

Il y a la seule robe survivante Clara Bow, fillette rousse rebelle, qui s’entourait de chiens chow chow assortis (même couleur de cheveux). Il y a la « robe flamme », flamboyante, sensuelle, agressive, que portait Tina Turner en 1977, et il y a une place d’honneur pour Les looks incroyables de Cher par Bob Mackie. Il y a l’esthétique punk de Debbie Harry (1979) : ses « pyjamas » en tissu synthétique-élastique sont presque psychédéliques. Il y a le somptueux costume de Norma, une production de Covent Garden de 1952, créé pour Maria Callas, la dernière véritable déesse de l’opéra.

Tout a commencé avec l’opéra. Adelina Patti, figée dans le portrait de Franz Winterhalter (1865-70) entre soieries et bouffées de mousseline fut l’une des premières divines : trois mariages, un cratère de 47 km qui lui est dédié sur Vénus, une voix d’ange. Gourmand, capricieux et gourmand. Le terme « Diva » vient de l’italien, né avec le cinéma au début des années 1900 et consacré par le star system. Francesca Bertini en était le prototype parfait : avec sa beauté et ses caprices (elle a arrêté de jouer pour le thé de cinq heures, viens le monde), elle a inauguré un style. Mais l’ingrédient le plus important, note Vanni Codeluppi dans Il divismo (Carocci), est la distance : la Diva était sidérale, inaccessible, loin du commun des mortels. Tout le contraire de ce qui se passe avec les actrices-influenceuses et les influenceuses orientées marketing.

Un firmament sans étoiles de genre

Il y a quelque chose de nostalgique, d’hypnotique et d’un peu funèbre dans la séquence d’une soixantaine de looks qui racontent un phénomène vintage, certes radicalement changé, avoue la commissaire de l’exposition, Kate Bailey. Que, ajoute une touche contemporaine à l’impressionnante collection : « Ce sont les divas, alors que de nombreuses femmes ne pouvaient ni étudier ni faire carrière, qui ont encouragé le changement social et politique. Sarah Bernhardt, « le monstre sacré », la seule véritable rivale d’Eleonora Duse, et Marie Lloyd, chanteuse et actriceont été parmi les premières féministes, et la bataille pour l’égalité s’est poursuivie aussi bien avec Clara Bow et Mary Pickford, à l’ère du cinéma muet, qu’avec les reines d’Hollywood à l’âge d’or : Vivien Leigh, Mae West et Marilyn Monroe (montrées dans le robe noire à franges de Some Like It Hot ».

La première superstar noire, l’exotique Joséphine Baker, dans sa jupe banane, elle était une militante des droits civiques et une espionne pendant la Seconde Guerre mondiale. Billie Holiday, Nina Simone, Ella Fitzgerald et Aretha Franklin, dames du jazz et du bluessont des symboles de la communauté noire. Grace Jones et Annie Lennox, mais aussi Elton John (dont est exposé le superbe look Louis XIV avec perruque et traîne exposé lors de la fête du cinquantième anniversaire) a gagné une place dans l’exposition pour avoir transformé les costumes à plumes et les talons hauts en outils de réflexion sur le genre et l’identité sexuelle. C’est pourquoi on peut inclure parmi les « divas » Freddie Mercury, Prince et la drag queen Ru Paul..

Soyez une Diva aujourd’hui

La Diva, aujourd’hui, est un personnage, homme, femme ou non, capable de transformer et d’influencer continuellement la société. «Prenons Beyoncé et elle chanson Formation. Il s’agit d’une déclaration en faveur du mouvement Black Lives Matter et d’une démonstration d’activisme en faveur de l’égalité. La façon dont elle utilise sa voix pour défendre le féminisme est aussi puissante que celle des divas d’une autre époque. Ou Rihanna, déclarant fièrement son héritage caribéen. Ou Lady Gaga, qui promeut une campagne en faveur de la communauté Lgbtq+» explique Kate Bailey. Ainsi, en 2018, nous arrivons au « pantalon vulve » de Janelle Monáe, conçue par Duran Lantink pour le clip de Pynk et la mitre de l’évêque de Rihanna dans la tenue spectaculaire conçue par John Galliano pour le Met Gala. Le cardinal de New York, Timothy Dolan, en a plaisanté: «Je le lui ai prêté, il me l’a rendu ce matin».

Nous avons des divas comme Liz Taylor, qui ne se faisaient aucune illusion sur la cruauté du star system :«J’ai été déclaré mort. J’ai lu mes nécrologies et ce sont les meilleures critiques que j’ai jamais eues. » Des divas anti-mondaines, comme Joan Baez. Des divas capables de révolutionner le bon sens, comme Madonna. Propriétaires de leur œuvre comme Barbara Streisand, Liza Minnelli ou Dolly Parton avec son parc à thème ironique « Dollywood ». Indépendante, dans une industrie contrôlée par les hommes. Mais, au-delà des significations, l’histoire que racontent leurs reliques fascine (est-ce blasphématoire de les comparer à celles des saints ?). Les vêtements d’Amy Winehouse (mais aussi des soutiens-gorge, des DVD, des livres, des corsets, des shorts et du maquillage pour un total de 800 pièces) vendus aux enchères pour quatre millions de dollars.

Les influenceurs et les tiktokers graviront-ils l’Olympe ?

Amy est décédée en 2011 et il semble qu’une ère géologique soit révolue. Les dieux sont descendus sur terre, la popularité a augmenté et la vénération a diminué. «Le passage final se fait avec internet et les réseaux sociaux, grâce auxquels la célébrité est à la portée de tous au point d’être banalisée» dit Massimiliano Valerii, directeur général du Censis. «Il suffit de publier la vidéo autoproduite et vous aurez des milliers, voire des millions de contacts. Ainsi sont nés de nouveaux VIP, des youtubeurs aux influenceurs, qui dans la plupart des cas se révèlent être des météores plutôt que des étoiles. Et ceux qui maintiennent leur popularité aiment se présenter comme des gens ordinaires. On peut être célèbre, mais plus une star» conclut Valerii.

Cher, Elton John et Diana Ross aux Rock Awards au Santa Monica Civic Auditorium 1975 (Mark Sullivan 70’s Rock Archive Photo : Mark Sullivan/Contour by Getty Images)

C’est la fin? Peut-être que oui, c’est peut-être encore une autre transformation. Aujourd’hui la Diva est féministe, révolutionnaire, ambitieuse, créative, fluide. Ça se fait plaisir sur Instagram. C’est aussi un phénomène commercial : on y vend du maquillage, des crèmes, des shampoings, des sacs et des bijoux. Il vend des morceaux de sa vie, mais l’alchimie nécessaire pour entrer dans le mythe est vraiment difficile. 245 millions de followers ne suffisent pas (Kylie Jenner en a beaucoup). Et il ne suffit pas d’être un mannequin légendaire comme Kate Moss. Sans parler d’un tiktoker comme Charli D’Amelio (le plus suivi au monde). Tous envoient des messages au monde avec des costumes de scène, des looks provocateurs, mais qui sait lesquels pourraient finir dans une exposition sur la célébrité dans un demi-siècle…

Y aura-t-il un Sunset Boulevard pour les influenceurs comme pour l’ancienne diva du silence Gloria Swanson-Norma Desmond ? Peut-être qu’un jour, au Victoria and Albert Museum, il y aura les Dior et Schiaparelli de Chiara Ferragni vus à Sanremo 2023. La Diva est morte. Vive la Diva.

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