Après 26 ans, Sarah Burton quitte la maison de luxe britannique Alexander McQueen. Lorsque l’ancienne stagiaire de McQueen reprend les rênes de la marque en 2010 après le décès du créateur du même nom, elle se retrouve face à un défi quasiment insurmontable. Succèder à un créateur aussi aimé et glorifié que Lee Alexander McQueen n’est pas une mince affaire – et pourtant, le consensus au sein de l’atelier était que Burton était le seul capable de succéder à McQueen, selon le magazine The Cut. Les années à venir devraient le confirmer, car peu de designers auraient assumé cette responsabilité avec autant de sensibilité, de compétence et de fierté que Burton.
Avec elle, une autre époque de la maison de couture touche à sa fin, car son successeur ne connaîtra probablement l’héritage de la marque et du créateur McQueen qu’à travers des histoires, des livres et des documentaires.
Où a commencé Burton et où a fini McQueen ?
Burton partageait l’amour de McQueen pour la nature et l’histoire de la Grande-Bretagne, mais alors que McQueen lui-même plongeait souvent sa mode dans l’obscurité, Burton apportait une touche plus légère et plus douce aux coupes renommées de la marque. Il était difficile de dire, surtout au début, où se terminait McQueen et où commençait Burton, et pourtant, au fil du temps, Burton a transformé les seuls guerriers gothiques du défunt créateur, comme la presse aimait appeler ses modèles, en une version plus douce et plus romantique d’eux-mêmes. S’il est impossible de parler de Burton sans nécessairement faire référence à McQueen, ce serait une injustice pour la créatrice de ne pas reconnaître que la marque a continué à s’épanouir sous sa signature romantique et, pourrait-on dire, à sortir de l’obscurité.
C’est une voie que Burton a déjà tracée – peut-être inconsciemment, peut-être intentionnellement – avec sa première collection solo pour la marque. Le défilé Printemps/Été 2011 s’est ouvert avec un mannequin tout de blanc vêtu, les yeux masqués par des lentilles de contact et le visage encadré par des tresses. Elle était vêtue d’un frac. “Le frac est une pièce par excellence de McQueen, mais dans ce cas, il était plus doux, ses bords étaient bruts et les épaules dures et pointues qui sont une autre marque de McQueen ont été coupées et relâchées”, a écrit le critique de mode Tim Blanks pour Vogue Runway.
Alors que ses premières collections en particulier se caractérisaient par un niveau d’attention aux détails, une coupe et une ampleur presque comparables à la couture – les dix looks inspirés de l’Église anglicane que Burton présente pour l’automne/hiver 2013 auraient pris deux semaines par tenue, selon Blanks, – le créateur s’est tourné de plus en plus vers des collections plus commerciales au fil des années.
La naissance d’une nouvelle marque de luxe britannique
Avec l’intérêt croissant porté à la mode portable, le thème autrefois central de la narration est de plus en plus relégué au second plan. Même si McQueen était un rêveur, Burton avait toujours pour tâche de traduire ses visions et de les ancrer dans la réalité. Lorsque McQueen a nommé Burton à sa tête du design de son vivant, l’une de ses tâches était de traduire les looks des défilés de chaque saison en styles commerciaux, a écrit The Cut dans un profil de Burton plus tôt cette année. Alors que la marque attirait autrefois particulièrement les initiés de l’industrie, les fans de mode et les étudiants en art – obsédés par le génie créatif de McQueen – sous Burton, la marque est devenue une marque de luxe mondiale combinant commerce et savoir-faire exceptionnel sans perdre son identité. Il n’est donc pas surprenant que le leadership de Burton chez McQueen n’ait pas nécessairement donné à la marque le même buzz médiatique que son mentor, mais il a néanmoins fait vibrer les caisses enregistreuses pendant un certain temps.
Même si la maison mère Kering, qui a repris la marque McQueen en 2001, ne détaille pas explicitement son chiffre d’affaires, selon Vogue Business, celui-ci aurait été de 220 millions d’euros en 2014. Le magazine spécialisé fait référence à l’analyste Édouard Aubin de la société d’investissement Morgan Stanley. Selon lui, les ventes ont augmenté à 830 millions d’euros en 2022, contre 758 millions d’euros en 2021.
Au premier semestre 2023, le vent semble s’être inversé pour le groupe de luxe français Kering SA, qui mène actuellement toutes sortes de restructurations au sein du groupe. Les ventes de l’ensemble de l’entreprise n’ont que légèrement augmenté et la division dite « Autres Maisons » de Kering, qui comprend Balenciaga et Alexander McQueen, a enregistré une baisse de 5 % de son chiffre d’affaires à 1,9 milliard d’euros au premier semestre par rapport à l’année précédente. Le rapport financier de Kering de juillet soulignait néanmoins que le prêt-à-porter de McQueen avait obtenu de « bons résultats ».
Si ces « bons résultats » n’étaient finalement pas suffisants, si les adieux de Burton étaient liés aux nombreux changements au sein de l’entreprise ou si c’était peut-être la créatrice elle-même qui a dit au revoir à sa « famille » après 26 ans, comme elle l’a fait. L’équipe McQueen mentionnée dans un communiqué publié par Kering restera probablement une spéculation. Il serait cependant souhaitable que son héritage, comme celui de son ancien mentor, patron et ami, ne soit pas oublié, mais qu’il trouve plutôt sa place dans les livres d’histoire d’Alexander McQueen.