Une copie de la crise des années 1970 se rapproche de très près, avec choc énergétique, incertitude économique et gouvernement paralysé par la discorde.


Aucun parti n’est plus nerveux au gouvernement fédéral que le PS de Paul Magnette. Un regard sur la Wallonie montre pourquoi. Le commentateur en chef Bart Eeckhout analyse la semaine politique.

Bart Eeckhout2 avril 202203:00

Si la construction de villages d’urgence pour l’accueil des réfugiés ukrainiens en Flandre ne démarre que lentement, il semble qu’il n’y aura pas du tout de logements d’urgence supplémentaires en Wallonie. Trop sensible, a déclaré le maire de Namur Maxime Prévot (les Engagés, ex-cdH) à la VRT. « Il y a des sinistrés qui n’ont toujours pas de solution satisfaisante pour leur logement. Ils auront du mal à comprendre ça. »

Tout comme avec l’inondation catastrophique de l’été dernier, le fait que la Région wallonne et la Communauté française n’ont tout simplement pas l’argent pour pallier l’urgence joue également un rôle. Ce n’est pas la seule fois en cette période de crise que le gouvernement Di Rupo se tait. Si en Flandre on râle (à juste titre) contre l’effort hésitant du gouvernement flamand pour atténuer le choc énergétique, la Wallonie ne fait tout simplement rien. Pas parce qu’elle ne veut pas, mais parce qu’elle ne peut pas.

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Et si la Wallonie tombe et faillite», était le titre inquiétant d’un dossier paru dans le journal francophone fin janvier La Libre Belgique. La Région wallonne croule sous un énorme endettement. A la fin de cette année, la dette serait de 33 milliards. C’est plus du double de la situation en 2010, mais surtout plus du double des revenus : pour chaque euro que la région reçoit, elle en dépense donc deux. Si la politique reste inchangée, la dette atteindra 48 milliards d’ici 2030. Ce sont des estimations qui ne tiennent même pas compte des éventuelles conséquences économiques de ce qui se passe en Ukraine et à Moscou.

Cordon triple étranglement

Bien sûr, ces chiffres sont le reflet d’une région dans un état précaire. L’explication est plus complexe que dans les diagnostics humiliants des nationalistes flamands sur les Wallons paresseux sous perfusion gouvernementale. Dans une économie d’exportation, il est difficile d’aller directement sans accès direct à une grande mer ou à un aéroport. Même ainsi, les mauvais résultats restent l’héritage politique et la responsabilité du plus grand parti éternel de la région : le Parti Socialiste† Pas moins de 15% des jeunes Wallons entre 18 et 25 ans ne sont ni à l’école, ni en formation, ni en emploi. Vous pouvez difficilement blâmer cela sur la géographie ou l’histoire industrielle.

Le maigre rapport pend désormais comme un triple étau autour du cou du PS, qui fournit toujours le Premier ministre de la Région wallonne avec Elio Di Rupo. Il est difficile de nier que les politiques des dernières décennies n’ont pas suffisamment fonctionné. Symbole de cette gouvernance décevante, l’incapacité à fusionner la Région wallonne et la Communauté française, conduisant à un labyrinthe politique inefficace et visqueux. Le deuxième point d’étau est que l’accumulation de la dette ronge déjà l’espace pour mettre en œuvre de nouvelles politiques.

La troisième corde est la sombre perspective de l’impact de la loi de financement modifiée. A partir de 2024, 60 millions supplémentaires seront prélevés chaque année sur la dotation fédérale pour la Wallonie. Lorsque son gouvernement fédéral a été formé en 2011, Elio Di Rupo a accepté cette partie de la sixième réforme de l’État, s’attendant à ce que la Wallonie soit dans une meilleure position d’ici 2024. Cela ne fonctionnera pas. Il y a de fortes chances que la Belgique francophone doive à nouveau mendier un refinancement en 2024, en échange d’une nouvelle division du pays.

C’est le scénario rêvé de la N-VA (et du CD&V), mais nous n’en sommes pas encore là. Pour ne rien arranger au PS (mais en fait aussi à la N-VA), la gauche radicale PTB-PVDA dévore l’électorat PS. Le changement est rapide : en 2014, le PS représentait encore 30 %, le PTB un peu moins de 6 %. À en juger par les derniers sondages, cette différence pourrait bien s’être presque complètement évaporée d’ici 2024. Le PS explore sondage après sondage des profondeurs historiques autour de 20%, le PTB n’est même pas si loin en dessous.

Copie de la crise des années 70

Cette refonte a un impact majeur. Avec le PS comme parti dominant, le partenaire évident pour la réforme de l’Etat à la belge disparaît également : des pouvoirs partagés pour la Flandre en échange d’argent pour la Belgique francophone. Même maintenant, l’ombre du rouge foncé tombe sur le travail du gouvernement. Le PS est convaincu que le parti, en tant que plus grand de la coalition, a cédé le poste de Premier ministre trop facilement et reçoit trop peu en retour. Les tentatives de tirer la barque colorée vers la gauche après tout, par exemple dans la réforme des retraites, ont lamentablement échoué.

Aucun parti n’est aussi nerveux dans le gouvernement De Croo que le PS. Lorsqu’un accord doit être conclu au sein du club Vivaldi, le vice-Premier ministre PS Pierre-Yves Dermagne semble à maintes reprises ne pas avoir un millimètre de marge de manœuvre de la part de son siège de parti. Pendant les négociations, le député doit prendre des photos des textes avec le téléphone et les transmettre au président Paul Magnette tant la peur est grande de parvenir à un accord qui tournera mal pour les supporters.

C’est aussi une mauvaise nouvelle pour le Premier ministre De Croo. Avec des inquiétudes sur les factures d’énergie, une inflation galopante et un climat social houleux, le gouvernement est désormais plutôt calme. Le PS en est-il capable ?

La guerre en Ukraine a étouffé l’idée vague de certains membres du PS de rattraper l’erreur en appelant à des élections anticipées en 2023 : quiconque s’aventure dans des aventures politiques signe désormais sa propre condamnation à mort. Mais rester sans profil de gauche clair chez Vivaldi signifie aussi une défaite prévisible pour les socialistes francophones. Et c’est ainsi qu’une copie de la crise des années 70 s’approche de très près, avec non seulement un choc énergétique, une incertitude économique, mais aussi un gouvernement paralysé par la discorde.



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