Un Ouïghour qui ne boit pas ? Ce doit être un terroriste, pense la Chine


Une charrette de nouveaux documents internes de la police et plus de 5 000 photos des camps de rééducation des Ouïghours dans la province chinoise du Xinjiang font fi des déclarations officielles chinoises selon lesquelles des membres de cette minorité musulmane se recyclent volontairement dans de tels camps.

Fait révélateur, par exemple, une instruction du chef régional du Parti communiste dans un discours jusque-là secret de 2017 de tirer et de tuer tout détenu tentant de s’échapper d’un tel camp. Aussi les images de Ouïghours, pieds et poings enchaînés, dans des camps d’internement entourés de policiers armés de gourdins en disent long.

Fichiers de la police du Xinjiang

La publication du nouveau matériel, mardi, par un chercheur allemand respecté et une collaboration de 14 médias étrangers, coïncide avec la visite en Chine cette semaine de Michelle Bachelet, la Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme. Bachelet, qui est arrivée à Pékin lundi, se rendra également dans deux endroits de la province du Xinjiang, mais les autorités chinoises ne lui permettent pas de mener sur place des enquêtes sur les violations des droits de l’homme.

Il s’agit de la première visite d’un commissaire des droits de l’homme de l’ONU en Chine depuis 2005. Quarante politiciens ont déconseillé à Bachelet de se rendre en Chine à la fin de la semaine dernière en raison des restrictions imposées par le pays. Ce faisant, elle a menacé de saper la crédibilité de son bureau, ont-ils soutenu. Les journalistes étrangers ne sont pas autorisés à accompagner Bachelet lors de son voyage. Elle donnera cependant une conférence de presse à l’issue de sa visite.

L’échelle des camps est énorme, parfois pire qu’en Union soviétique

Les dizaines de milliers de nouveaux documents et photos – déjà surnommés les fichiers de la police du Xinjiang – proviennent de l’enquêteur allemand Adrian Zenz, qui à son tour les a obtenus d’une source qui ne révélera pas son identité pour des raisons de sécurité. Cette source a réussi à télécharger des documents et des photos à partir d’ordinateurs de la police qui étaient apparemment à usage interne. Zenz lui-même a écrit un article sur les nouvelles informations dans le journal spécialisé Journal de l’Association européenne d’études chinoises mais aussi partagé le matériel, qui datait pour l’essentiel de 2018, avec douze médias étrangers. Après leur propre enquête, ils ont conclu que le matériel est authentique.

L’échelle des camps de rééducation est énorme. Le quotidien français Le Mondel’un des médias avec qui Zenz a partagé le matériel, documents cités qui a montré que dans le district de Konasheher, à l’extrême ouest du Xinjiang, plus de 12 % de la population adulte finissait dans des camps d’internement ou de rééducation. C’est bien plus qu’à l’époque du stalinisme dans l’ex-Union soviétique. Au total, il y a des centaines de camps au Xinjiang.

‘chaise tigre’

détenus ouïghours, en témoignent le matériel analysé par la BBC, sont souvent condamnés à de lourdes peines de prison pour des motifs apparemment insignifiants. Un homme a été emprisonné pendant 10 ans pour avoir « étudié les écritures islamiques avec sa grand-mère » pendant plusieurs jours en 2010. Tursun Kadir, un autre homme de 58 ans qui prêchait et étudiait occasionnellement le Coran dans les années 1980, a également été reconnu coupable. « Laisser pousser la barbe sous l’influence de l’extrémisme religieux. » Il a été condamné à 16 ans et 11 mois de prison pour cela.

Yusup Ismayil (35 ans) a été détenu dans un camp de rééducation parce qu’il avait visité des pays sensibles, c’est-à-dire à prédominance islamique. Un autre jeune homme a été condamné à 10 ans de prison pour terrorisme pour avoir manifesté « de fortes tendances religieuses », comme en témoigne, entre autres, son abstinence de boire et de fumer. Sa mère a également fini en prison pour « complicité » dans l’attitude de son fils. Un autre est allé en prison pour avoir écouté des «conférences illégales» sur le téléphone portable de quelqu’un d’autre six ans plus tôt.

L’une des photos de la police montre également une soi-disant «chaise du tigre», dans laquelle la personne interrogée se retrouve menottée. L’ONU considère cela comme un instrument de torture.

En plus des photos, le matériel maintenant divulgué se compose également de feuilles de calcul contenant des informations personnelles sur plus d’un quart de million de Ouïghours. La raison pour laquelle aucun matériel d’après 2018 n’est inclus, soupçonnent les experts, est probablement que les autorités chinoises chiffrent mieux depuis 2019. Cela ne signifie pas pour autant que les Chinois ont été plus doux avec les Ouïghours depuis lors.

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