Un livre qui tente de comprendre d’où viennent les étiquettes qui nous accusent de culpabilité. Des siècles d’histoire des femmes à travers les mythes et la culture façonnés par les hommes


Peuh qui ne sait pas Marie Hesse, Mauvaises filles c’est un livre surprenant. Il est difficile de le définir : c’est un essai, avec quelques références autobiographiques, qui retrace des siècles d’histoire des femmes à travers des mythes et une culture façonnés par les hommes. Et il le fait avec une coupe féministe et avec le ton informatif de quelqu’un qui sait saisir l’essentiel en le racontant simplement. En même temps c’est aussi un livre illustré: l’auteur est également designer, connu pour les biographies illustrées de Frida Kahlo, David Bowie et Marilyn Monroe et pour Le plaisir (tous publiés par Solférino).

Bad girls de María Hesse, Solférino, p. 200, 20 euros.

Mauvaises filles contre les préjugés

Ses figures féminines aux grands yeux agités, au petit nez et aux couleurs vives accompagnent la lecture avec drame. De Pénélope à Yoko Ono, ce que Hesse nous raconte dans Bad Girls est une histoire pleine de préjugés, d’hostilité et de condamnation sociale envers les femmes qui n’ont pas accepté de réintégrer le stéréotype de la fille soumise. Malheur à vouloir vivre comme un homme, comme en rêvait par exemple Emma Bovary. Les sorcières, les intrigantes et les maudites sont les mauvaises filles qui défient l’ordre préconçu depuis des siècles. Comme le dit l’auteur, il a fallu attendre 1979 avec le film Alien avec Ellen Ripley joué par Sigourney Weaver, pour avoir une figure féminine qui n’est pas la femme du héros, mais une véritable héroïne. Espagnole, née en 1982, María Hesse aime Patti et Leonora, ses chats. Nous ne savons rien d’autre. De sa sphère privée, il dit : « Je raconte certaines choses dans les livres, mais seulement quand il y a une raison précise ». Le patronyme est un nom de plume, un hommage à Hermann Hesse (« J’aimais Demian quand j’étais à l’université »). Le dessin a toujours été sa passion. « Je n’ai aucun souvenir de moi sans un crayon à la main, j’ai commencé enfant et je n’ai jamais arrêté. »

Qui sont les Bad Girls et comment est née l’idée de ce livre ?
En réalité, toute femme l’est parce qu’il est impossible d’accomplir toutes les tâches qui nous sont assignées. Nous avons toutes été traitées de « fous » ou de « putes », à tout le moins. Ce livre est né du besoin de comprendre d’où viennent les étiquettes qui nous accusent de culpabilité et la honte, et qui finissent par agir comme le meilleur moyen de nous opprimer. Comprendre d’où vient ce récit et qui l’a écrit.

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Cela commence par un conte de fées, La Belle au bois dormant, qui donne l’idée d’une féminité passive : il n’importe qu’elle soit belle, et elle sera sauvée par le prince. Quels sont les stéréotypes les plus courants présents dans les contes de fées ?
Le vrai problème est que les étiquettes données aux femmes ne sont pas seulement présentes dans les contes de fées, mais on les retrouve dans tous les récits : littérature, musique, cinéma et aussi dans les textes scientifiques et humanistes. Fou, hystérique, mauvaise mère… Ils sont interminables.

Dans la mythologie, Méduse est violée par Poséidon mais elle est la coupable. La déesse Athéna prend sa revanche et, comme elle l’écrit, « renforce la croyance que le pire ennemi d’une femme est toujours une autre femme ». Il y a encore ceux qui justifient le violeur comme étant tenté. En sortirons-nous jamais ?
Ce que j’essaie de faire, c’est de rompre avec cette croyance. Si toute la fiction a été construite autour de cela, qui est le seul message qui vous parvient, vous le considérez comme vrai et agissez en conséquence. Il n’y a pas de nature innée qui fasse de nous des ennemis. Pour le patriarcat, nous séparer est la stratégie parfaite, car ensemble nous sommes plus forts. D’autre part, nous avons tendance à assumer la responsabilité de tout mal, même si nous subissons la violence. Que faisiez-vous seul la nuit ? Tu étais bourré? De telles questions ne sont pas posées à un homme s’il est volé. J’espère que tôt ou tard nous pourrons nous en sortir, mais la route est longue.

Avant Eve, il y avait Lilith, la première femme d’Adam qui refusait de lui obéir. Qu’est-ce que cela représente?
Une femme qui n’a pas accepté la soumission et qui a été punie, comme cela arrive à beaucoup de femmes dans le récit lorsqu’elles sortent du chemin tracé pour elles. La fin qui touche ceux qui transgressent est tragique, il n’y a pas de salut. Si cette peur est instillée, il est plus facile de respecter les règles, mais nous sommes fatigués de les respecter.

Pendant des siècles, l’idée du féminin a été façonnée par l’Église. Quels sont les principaux penseurs qui l’ont façonné ?
Il n’y avait pas que l’Église. Les philosophes grecs comme Aristote, les psychiatres comme Freud, en général les hommes à qui l’on a permis de construire le récit et les règles.

Bonnes mères et épouses, dociles à la volonté des maris et des pères. Qu’est-il arrivé à ceux qui étaient différents ?
Il y a toujours eu des outils pour nous contrôler, comme la religion et l’inquisition, remises en question même si un homme se lassait d’une femme, ou s’il voulait lui enlever ses biens. Une autre méthode consistait à l’enfermer dans un hôpital psychiatrique en disant qu’elle était folle. Il s’agissait de pouvoir se mettre en danger pour la société et ainsi justifier la violence. Maintenant, nous avons peur de la solitude. Si nous nous comportons d’une certaine manière, personne ne nous aimera.

Ses figures féminines sont colorées et vivantes. Les couleurs fortes ont-elles une signification particulière ?
Ils sont colorés, mais pas aussi vibrants qu’ils peuvent sembler à première vue. La palette change selon les livres, mais je n’y pense pas beaucoup, ça vient tout seul.

Elle est écrivain et illustratrice. Quelle activité est la plus difficile pour vous ?
Sans aucun doute, écrivez. Mais chaque fois que j’achète plus de sécurité. Chaque livre a une complexité différente. Le processus de création de l’image et du mot est très intense et me fait beaucoup grandir.

iO Donna © REPRODUCTION RÉSERVÉE



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