Un couple forteresse qui vit l’amour comme une prison, excluant même leurs filles. Et il y a la vraie soeur d’Amélie Nothomb, Juliette, dans ce livre sur deux soeurs qui se lient pour s’abriter de l’indifférence de leurs parents


POURmélie Nothomb est une écrivaine belge. Fille d’un diplomate, il a passé son enfance au Japon, puis a déménagé en Chine et au Bangladesh. Des films et des pièces de théâtre primés ont été réalisés à partir de ses œuvres. Il semble qu’Amélie Nothomb, plutôt qu’une famille, ait une source d’inspiration infinie : après Premier sangle mémoire dédié à son père Patrick qui lui a valu le Prix Renaudot ’21 et le prix Strega Europeo ’22, apporte maintenant Le livre des soeurs (Volland). Un noir très lumineux cousu sur deux petites filles mal-aimées qui, dans le fraternité, ils trouvent le salut. L’un des deux, ô surprise, a quelque chose de sa sœur bien-aimée Juliette.

Le livre des soeurs d’Amélie Nothomb Voland128 pages, 16 €

Amélie Nothomb, la plus lue au monde

L’ouvrage n°31 de la baronne belge, écrivain francophone le plus vendu au monde, aborde des sujets sérieux avec légèreté et forge avec précision des mots aussi tranchants que des épées de samouraï. D’une beauté qui blesse et chuchote des questions. Ces.

Vous êtes-vous inspiré de votre relation avec votre sœur Juliette pour créer Tristane et Laetitia ?
Cela faisait longtemps que je voulais écrire sur nous deux, mais je ne savais pas comment faire car c’est gênant de parler de quelqu’un qui existe. Alors, pour créer les deux sœurs, j’ai mis Juliette et moi dans un shaker, je l’ai secoué, j’ai versé le mélange dans deux verres, j’ai appelé l’un cocktail Tristane et l’autre Laetitia. Chacun a de nombreuses caractéristiques des deux. Tristane a la discrétion de Juliette, son dévouement ; et a aussi mon triste passé (la lutte contre l’anorexie et l’adolescence violente, ndlr). Laetitia a le parcours joyeux de Juliette et ma passion pour la musique.

Le vôtre est un amour absolu. Sans jalousie et sans concurrence. Pratiquement à l’opposé de ce qui se passe entre frères et sœurs. Mais comment est-ce fait ?
J’ai juste eu de la chance. Je suis la petite soeur de la meilleure grande soeur de l’univers. C’est facile d’aimer Juliette parce qu’elle m’a tout de suite aimé. Mais il faut dire que certaines sœurs sont plus difficiles.

Comment ton frère André l’a-t-il vécu ?
C’était mon ennemi numéro 1. C’était l’aîné, puis Juliette est née et il avait un ami avec qui jouer. Il était heureux. Trois ans plus tard, je suis arrivé et inconsciemment, nous voulions tous les deux le posséder. Alors on s’est battu mais j’ai gagné parce qu’elle est venue vers moi et pas vers lui. C’est pourquoi il a passé toute mon enfance à me mettre en colère, à casser mes jouets et à me dire des choses méchantes. Maintenant nous sommes réconciliés.

En fait, le roman raconte une tragédie familiale.
Je pense que toutes les familles sont une tragédie. J’ai eu d’excellents parents mais j’ai un couple d’amis qui m’ont parlé des leurs et j’ai été inspiré par Nora et Florent. C’est le couple forteresse typique qui vit l’amour comme une prison, excluant jusqu’à leurs filles de leur éternelle idylle. Les deux filles sont miraculeusement sauvées en se consacrant l’une à l’autre, mais les blessures demeurent. Tristane sera toujours triste. Que peut-on faire contre la froideur ? Mais rien. C’est une souffrance modeste, après tout.

De

Tristane traite sa petite sœur comme un sacré fardeau, lui donne un biberon, change ses couches, la fait jouer. N’est-il pas irréel aujourd’hui de penser qu’un enfant de cinq ans peut vraiment s’occuper d’un bébé toute seule ?
J’ai de nombreux témoignages qui disent le contraire. Certains enfants ont des instincts maternels plus prononcés que les adultes. Je l’ai vu de mes propres yeux au Bangladesh où à l’âge de quatre ans on commence à être mère de nouveau-nés. Et tout fonctionne à merveille.

Qu’est-ce que le syndrome de la « petite fille terne » ?
Tristane surprend un jour sa mère l’appeler terne parce qu’elle ne peut ou ne veut pas voir son éclat. Qui n’a pas été prisonnier d’une caractéristique sellée par d’autres pendant 10 à 20 ans ou même à vie ? Les mots ont le pouvoir que nous leur donnons et j’essaie de montrer que même de petites malédictions comme celle-là peuvent être libérées.

Comment trouvez-vous le bon son à donner à vos mots ?
C’est de l’instinct pur. Être écrivain, c’est réaliser que la langue, lorsqu’elle est bien utilisée, peut avoir du pouvoir. D’où l’importance de l’utiliser avec précaution. Quand j’entends quelqu’un parler légèrement, je ressens la même terreur que lorsque je vois un enfant jouer avec une kalachnikov. J’essaie de souligner le danger du langage sans décourager les gens de recourir à son usage salvateur.

Amélie Nothomb est une écrivaine belge. Fille de diplomate, elle a passé son enfance au Japon, puis a déménagé en Chine et au Bangladesh. Des films et des pièces de théâtre primés ont été réalisés à partir de ses œuvres. (Gérer)

Elle a des lecteurs qui la suivent depuis 30 ans. Pensez-vous aussi un peu à eux lorsque vous écrivez ?
Je me lève à quatre heures du matin pour écrire, même quand je suis malade ou en vacances parce que je ne peux pas m’en empêcher. C’est le 31e livre, mais j’en ai écrit 105. J’écris pour moi, mon lecteur intérieur, c’est moi. Et je choisis quoi publier en me laissant mener uniquement par le désir.

Écrivez-vous encore des lettres d’amour ?
Régulièrement. Est essentiel. Chaque matin, j’appelle ma sœur et je lui dis que je l’aime. Mais l’écriture va tellement plus loin que les mots, des choses s’expriment qui ne se briseront jamais. Je conseille donc à ceux qui sont amoureux de toujours écrire des lettres d’amour.

Vous et Juliette avez vécu ensemble jusqu’à vos 30 ans. Qu’est-ce qui a mis fin à la cohabitation ?
Nous avons rencontré l’amour en même temps. Elle vit donc à Lyon et moi à Paris. Il cuisine très bien, écrit des livres de cuisine et en a récemment publié un en France qui raconte notre enfance et notre adolescence : L’eugio del Cavallo. Oui, nous les avons toujours eues et pour elle, pendant longtemps, ils étaient tout.

À un moment du livre, il donne également une conférence sur la littérature. Et du pouvoir que certains textes exercent sur nous.
Oui, car Tristane veut connaître la littérature comme un alpiniste veut connaître l’Everest. Il veut en gravir toutes les pentes, en mesurer les abîmes et les sommets. Et je commence par la Bérénice de Racine parce que c’est une héroïne bouleversante, elle représente le drame de l’amour blessé, amputé. Il connaît une souffrance que nous avons tous subie dans la vie. Mais elle garde sa dignité. Nous n’avons pas tous toujours réussi.

Il y a aussi beaucoup de rock dans le livre.
J’ai gâché ma vie parce que je voulais vraiment être chanteur, même si je n’avais pas la voix et le sens du rythme. Alors je suis venu avec le pneu, le groupe de Tristane et Laetitia qui trouvent l’évasion dans le rock. Moi, d’un autre côté, j’aime le métal. En particulier, j’aimerais que Tool soit joué à mes funérailles. Merci.

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