J.Ames Ensorle « peintre de masques » pour la plupart. Mais – à l’occasion du soixante-quinzième anniversaire de sa mort (né à Ostende en 1860, il y mourut le 19 novembre 1949) – Anvers se charge de lui rendre justice et de documenter sa complexité avec quatre expositions, ouvertes jusqu’au 19 janvier 2025 : Les rêves les plus fous d’Ensor. Au-delà de l’impressionnisme au Musée Royal des Beaux-Arts (Kmska) ; Ensor à la recherche de lumière. Expériences sur papier au Musée Plantin-Moretus ; Cindy Sherman au FoMu, le Musée de la Photographie ; Mascarade, Maquillage & Ensor au MoMu, le Musée de la Mode.
Pionnier à tout prix
On ne peut que partir de la rétrospective de Kmskaqui a intégré pour l’occasion la collection permanente déjà très riche d’œuvres d’Ensor avec des prêts du monde entier.
« Vous rencontrerez un artiste qui aurait pu faire siens les paroles du grand poète américain de l’époque, Walt Whitman : « Est-ce que je me contredis ? Bien sûr, je me contredis ! Je suis vaste, je contient des multitudes»» explique le conservateur Herwig Todts. «La première partie illustre le travail d’un artiste qui tente de s’attaquer à l’impressionnisme. « Que font ces impressionnistes français ? demandez-vous. « Comment font-ils ? Et comment puis-je réagir, comment puis-je intervenir ? Puis-je intensifier la lumière et la couleur pour créer des images avec une expression fortement dérangeante ? Il était ambitieux, parfois trop ambitieux. Il voulait à tout prix être un pionnier. »
Il détestait Van Gogh
Ensor disait qu’il détestait les Français et Van Gogh mais, pour prouver que ce n’était qu’une contradiction parmi tant d’autres, dans la section initiale ses premières œuvres notables – Le mangeur d’autrucheet (1982), Adam et Eve expulsés du paradis(1986) – ils sont mis en comparaison directe – entre autres – avec la vision de Bordighera de Claude Monet et avec un autre type d’artiste français, le symboliste Odilon Redon.
Inspiration Carnaval
Un méga-masque (l’exposition est très scénographique, très adaptée au plus jeune public également grâce à quelques coins où le jeu et l’interactivité s’invitent) marque l’accès à la deuxième partie (parmi les temps forts, Les tentations de Saint Antoine). «Ici, vous serez immergé dans ses rêves», poursuit Todts. «Et vous verrez à quel point il s’est inspiré de l’art des grands maîtres anciens comme Bosch, Rembrandt, Élisabeth Vigée Le Brun et Francisco Goya. Cependant, il a également été stimulé par la culture populaire, le carnaval, les spectacles de lanternes magiques, le théâtre et les expositions d’art burlesque, cherchant toujours des thèmes qui lui permettraient de créer des images intenses, bizarres, cruelles et, en même temps, toujours divertissantes de la condition humaine. . Attention cependant à une autre subtilité : jen Ensor le masque ne sert pas à cacher le visage, le visage lui-même est un masque».
Pourquoi tant de squelettes ?
L’une des caractéristiques les plus marquantes de l’art d’Ensor est la représentation de squelettes (dont lui-même dans un autoportrait). «Différentes hypothèses ont été émises», observe le commissaire de l’exposition. «Le traumatisme de la mort de son père, la découverte de crânes à cette époque à Ostende… En réalité ce n’était qu’un motif à la mode à la fin du 19ème siècle, issu de l’imaginaire gothique. Cependant, il leur donne du sens, les utilisant comme alter ego de l’homme pour souligner l’absurdité de nos comportements : sommes-nous pratiquement déjà morts et essayons-nous encore de nous battre, de nous suicider ?». Mais Todts est un observateur impartial : il ne se contente pas de faire l’éloge du peintre, il est également prêt à reconnaître ses limites. « Tantôt proche de l’expressionnisme, tantôt précurseur du surréalisme, en vérité il n’a jamais développé un style propre parfaitement complet, il n’a pas eu l’évolution « organique » et systématique d’un Cézanne. Il en contient en effet des multitudes. » Et on peut le comparer tantôt au Norvégien Edvard Munch, tantôt au Suédois Ernst Josephson ou encore au Danois Emil Nolde.
Cible de l’ironie
«L’œuvre de James Ensor et des symbolistes européens est considérée comme la démonstration de personnalités tourmentées, l’aspect humoristique est souvent sous-estimé» conclut-il. «C’est plutôt plein d' »incohérences », de « fumisterie » et de « Zwanze » de la fin du XIXe siècle, formes d’humour moqueur en vogue dans les milieux bruxellois et parisiens. Son regard sur l’humanité va de léger à pessimiste, de lyrique à exaltant. » Mais ce sera lui-même – autodérision, comme le démontre le tableau dans lequel il se représente avec un chapeau fleuri inspiré de celui d’Élisabeth Vigée Le Brun – qui deviendra la cible de l’ironie : dans une pièce il y a L’art en quelque sortedans lequel Charles Mertens dépeint Ensor lui-même comme un hareng mort.
Influences sur la mode et le maquillage
Pour compléter les initiatives d’anniversaire, le Musée Plantin-Moretus (inscrit au patrimoine mondial de l’UNESCO, qui mérite à lui seul une visite !) propose une rétrospective exhaustive de son œuvre graphique; au FoMu sont mis en avant les liens entre le peintre et l’œuvre – à mi-chemin entre photographie et performance – de Cindy Sherman ; enfin, le Musée de la Mode établit des liens entre l’art du maquillage, Ensor et des talents comme Issy Wood, Cindy Sherman (encore !), Tschabalala Self, Genieve Figgis, Harley Weir.
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