Tout comme Bruxelles, plusieurs villes européennes sont aux prises avec un problème de crack. A Paris, on le combat depuis trois ans, avec plus ou moins de succès. « Il n’existe pas de solution miracle », estime l’expert Alessandro Pirona.
Bruxelles est tristement sous le feu des projecteurs, alors que la consommation de crack a explosé ces deux dernières années, entraînant de plus en plus de nuisances dans les stations (de métro) et les parcs. Mais ce n’est pas un phénomène bruxellois. « Au cours des cinq à dix dernières années, nous avons constaté cela dans plusieurs villes européennes, comme Lisbonne, Porto et Paris. En conséquence, davantage de cocaïne arrive en Europe, alors qu’auparavant, c’était un problème principalement américain», déclare Alessandro Pirona de l’Observatoire européen des drogues et des toxicomanies (EMCDDA).
Paris est aux prises avec un problème de crack depuis plus de trois ans. Par exemple, le quartier de Stalingrad, non loin de la gare du Nord dans le 19e arrondissement, a été rebaptisé « Stalincrack » car le crack est ouvertement consommé dans les rues et dans les parcs. Des résidents locaux en colère signalent des agressions et des ordures.
Dans les 10e et 18e arrondissements limitrophes de la capitale française, il existe également des problèmes de « camps » de consommateurs de crack qui génèrent des nuisances. Depuis 2019, date à laquelle la ville a déployé le « Plan Crack », la police a donc évacué à plusieurs reprises les « camps de crack ». L’une des actions les plus importantes s’est déroulée fin septembre 2021, lorsqu’une centaine de toxicomanes ont été transportés en bus des Jardins d’Eole, dans le quartier de Stalingrad, vers la banlieue voisine de Pantin. Peu de temps après, ils se présentent porte de La Villette, au grand indignation des riverains. Et les habitants du district de Stalingrad rapportent dans la presse locale qu’il y a désormais des utilisateurs de crack dans leur quart rester, malgré l’évacuation.
Le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin a donné un an en juillet 2022 au préfet de Paris Laurent Nunez « pour régler cette situation dramatique ». Un an plus tard, Nunez avoue qu’« il y a encore des usagers ici et là dans les 18e et 19e arrondissements ». Mais il y a, rapporte entre autres le journal Le Figarofini les grands camps de crack comme « crack hill », le camp qui existait jusqu’en 2019 environ à la Porte de la Chapelle, le camp des Jardins d’Eole ou encore celui du Square Forceval, qui a été évacué l’année dernière.
Le mois dernier, les services gouvernementaux et les organismes impliqués dans Plan Crack ont donc conclu que les efforts dans les domaines médical, psychosocial et policier s’avèrent être un succès. Par exemple, il y a davantage de salles de réception et d’abris et davantage de revendeurs ont été jugés. La police intervient également plus souvent pour empêcher la formation de groupes structurels.
Les riverains semblent moins ravis. Ils dénoncent encore les violences des toxicomanes. Frédéric Francelle, porte-parole du collectif de quartier Paris 19, reconnaît qu’il n’y a plus de grands camps, mais précise : « Près de la place Stalingrad, parfois jusqu’à une centaine d’usagers se rassemblent le soir. »
Marine Gaubert de la Fédération Addiction affirme également que Paris n’est pas encore débarrassé de la consommation publique de crack. « Il s’agit donc d’un problème difficile et les différentes autorités n’ont pas écouté notre proposition d’approche multiple. Les expulsions déplacent le problème, mais ne corrigent pas les causes et les risques. Par exemple, nous ne pensons pas qu’il soit possible qu’il n’y ait qu’un seul espace d’usager dans cette ville, alors que nous savons que de tels espaces limitent considérablement les risques pour les toxicomanes et le quartier.
Davantage de refuges d’urgence, de logements, de centres de soins en addictions, d’accès à des programmes de désintoxication ambulatoires et résidentiels et d’insertion professionnelle sont également cruciaux, selon les organismes parisiens spécialisés. « Mais la préfecture et le ministère de l’Intérieur veulent surtout jouer la carte répressive, ce qui fait que les progrès dans l’accompagnement psychosocial de ces personnes sont insuffisants. C’est pour cela que le problème revient sans cesse», explique Gaubert.
De plus, dit Pirona, un défi majeur pour les prestataires de soins est qu’il n’existe aucun médicament éprouvé qui puisse aider les toxicomanes au crack à surmonter leur dépendance, comme la méthadone pour la dépendance à l’héroïne.
On ne connaît pas non plus de « meilleure approche » éprouvée. «Nous devrions étudier cela en nous basant sur les expériences de plusieurs villes», déclare Pirona. « Cependant, il n’existe pas de solution miracle. Nous savons que Berlin et Lisbonne ont réussi dans le passé à réduire la consommation manifeste de drogues à grande échelle grâce à une approche intégrée incluant une assistance médicale et psychosociale et des domaines de consommation. Il ne s’agit pas seulement de dépendance, mais bien souvent aussi de graves problèmes sociaux.»
Teun Voeten, auteur de plusieurs ouvrages sur les drogues, confirme également que plusieurs problèmes sont presque toujours liés entre eux. «Je ne connais aucune ville qui ait la recette pour résoudre ce problème, mais je constate qu’Anvers, où il y a aussi des zones interdites et des sans-abri, a beaucoup moins à voir avec ce problème de crack car, en plus du bon refuge pour les sans-abri, il s’oppose aussi farouchement au sommeil et au trafic dans la rue », dit-il.
« Il faut vraiment veiller à ce qu’il n’y ait pas de structures fixes d’usagers dans la rue et de dealers. Il faut donc le rompre à chaque fois. Je l’ai appris des flics de New York. Cette ville a connu une crise du crack dans les années 1980 et 1990. Grand Central Station était un grand espace pour les sans-abri et les utilisateurs. Ce n’est qu’en brisant ce système et en empêchant la création de nouvelles enclaves que la ville a réussi à surmonter ce problème.»