Titizé – Un rêve vénitien. Nous sommes sur le « rêve vénitien », mais qu’en est-il de « Titizé » ? «Ça signifie « Tu es » en dialecte : ça m’a plu, ça éveille la curiosité et, en même temps, ça ouvre un espace presque introspectif» sourit-il. Daniele Finzi Pascaqu’il a écrit et réalisé – ainsi qu’il l’a produit avec Société Finzi Pasca et avec ça Bâtiment de Vénétie – le « spectacle officiel de la Ville de Venise ».
L’œuvre, sur scène à Théâtre Goldoni jusqu’au 10 octobre, continuera sa tournée, en suivant l’itinéraire international des précédents du groupe, né à Lugano il y a exactement 40 ans et qui a un glorieux curriculum: des monologues aux directions pour le Cirque du Soleildes opéras aux cérémonies des Jeux olympiques de Turin et de Sotchi.
Des tours à couper le souffle
Titizesoit : une heure et demie d’ambiances oniriques, des voûtes époustouflantes, dans un mélange de poésie & d’ironie, des citations allant de Tiepolo à Casanova en passant par la Commedia dell’Arteavec la bande originale parfaite composée par Maria Bonzanigo. La fin? La merveille. Suscite un émerveillement presque enfantin chez le spectateur.
Théâtre, musique, danse, acrobatie, clown… Combien de compétences faut-il pour être admis dans la compagnie ?
Nous regardons bien sûr le talent, les compétences, mais aussi la capacité à dialoguer et à se connecter avec le public (qualité innée) : notre théâtre est un théâtre d’empathie, les acteurs ne sont pas enfermés dans une bulle, repliés sur eux-mêmes. Je divise les artistes en « citriques » et « floraux » : les premiers doivent être « coupés » au couteau et pressés façon citron… Pour les autres en revanche, des conditions d’amour et d’humanité sont nécessaires, comme pour L’orchidée a besoin du bonne eau. Eh bien, nous recherchons des fleurs, nous ne savons pas comment nous associer aux agrumes. Il peut leur sembler qu’ils ne travaillent pas : et où est la souffrance ? (rires)
Le thème du soin
Vous vous appelez également « Théâtre de la Caresse », et vous animez des ateliers sur la méthode…
Nous partons de la conviction que le théâtre doit être une thérapie. Quand un enfant a peur du noir la nuit, que faire ? Il n’y a pas de médicaments, il n’y a que de bonnes histoires à raconter. Nous nous consacrons beaucoup au thème des soins (y compris une collaboration avec la faculté de médecine de Lugano). Il y a des années, par exemple, on nous a demandé d’aller en Ethiopie dans un village où, à cause de la guerre civile, ne restaient que de petits orphelins : le but était de trouver des moyens de les aider à exprimer leurs cauchemars. Et puis on se rend compte que les rappeler, rouvrir les blessures n’est pas la bonne solution.
« Vive la légèreté »
Et quel est le chemin ?
Jouer avec l’allusion, construire des images qui semblent absolument inoffensives parce qu’elles sont candides, mais qui contiennent pourtant à l’intérieur une énorme dose de pathos et de drame. Ce qui guide notre approche, c’est la légèreté au sens où l’entendait Italo Calvino. Cours américainspas dans le sens de « superficialité ».
Mais comment cette vision s’est-elle développée en vous ?
Bon, commençons de loin… Mon père, mon grand-père et même mon arrière-grand-père étaient photographes : j’ai grandi dans une chambre noire ! Les histoires liées au visuel ont été mon moteur. Et il y a une deuxième pierre angulaire de ma formation : étant garçon, je pratiquais la gymnastique artistique, un de mes entraîneurs était un passionné de cirque. Grâce à lui, je suis passé à l’acrobatie. À 18 ans, je me suis retrouvé à Calcutta avec Mère Teresa.
Ne courez pas… Le passage de la Suisse à l’Inde ?
J’appartiens à une génération pour laquelle les voyages initiatiques représentaient une étape essentielle de croissance. Et c’était effectivement le cas : on n’a pas commencé avec son téléphone portable et sa carte de crédit… L’objectif initial était de collaborer à un projet agricole dans l’État de Krishnanagar, mais j’ai rencontré frère Andrew (un missionnaire néerlandais, éd) et j’ai changé de plan. Je suis restée six mois à Khaligat (le premier institut ouvert par Mère Teresa pour accueillir les malades et les mourants, éd).
Une fois de retour en Europe ?
J’avais découvert ce qui me passionnait et j’ai immédiatement créé un spectacle : viscéral, avec la douleur en surface. J’ai tout compris, je savais tout… Avec le recul, quelle naïveté ! Heureusement, au fil des décennies, j’ai eu beaucoup de doutes ! (rires).
« La folie des rêves »
La rencontre avec vos compagnons d’aventure, il y a 40 ans ?
Nous étions tous du même quartier, nous avons grandi ensemble. La chanteuse Caterina Valente, le compositeur Paul Glass et divers artistes sont venus assister à nos débuts. Certains d’entre eux nous ont pris sous leur aile et nous ont dit : « Ok, bien, cet enthousiasme incroyable, c’est sympa… Mais maintenant, il faut apprendre le métier. » Alors ils nous ont poussés à aller dans les ateliers des maîtres.
Les tournants clés de ces quarante années ?
Icareun monologue d’il y a 33 ans qui a fait le tour du monde, récité dans diverses langues et devenu un drapeau : à l’intérieur se trouvent les éléments synthétisés de notre recherche.
Quels sont-ils?
La folie des rêves. La couleur de la liberté. La confiance de l’amitié.
Une place sur la liste revient au Cirque du Soleil et aux cérémonies olympiques. Et après ?
Nous avons participé à des festivals où nous avons fait des rencontres qui ont littéralement bouleversé notre existence: Kazuo Ōno (l’inventeur du butoh, danse japonaise, éd), Peter Brook. Inoubliable, en 2022, la mise en place de Luzia (une réalisation pour le Cirque du Soleil, éd) au Royal Albert Hall : putain, j’entre dans cet endroit ! Et puis l’entrée dans l’univers de l’opéra. Lorsque l’English National Opera m’a appelé pour me demander si j’étais intéressé, je me suis dit : « Ils ont dû se tromper, mais de toute façon je dirai oui ! ». (sourit) Et n’oublions pas les gens qui sont partis.
Que veut-il dire ?
Malheureusement, certains membres de l’entreprise sont déjà décédés. Nous étions cinq fondateurs : moi, Antonio Vergamini, Hugo Gargiulo, Maria Bonzanigo mais le cinquième n’est plus là. Julie (la réalisatrice canadienne Julie Hamelin, son épouse, éd) est décédée il y a huit ans, mais elle nous a laissé un héritage incalculable que nous devons continuer à honorer.
Finzi Pasca et les Jeux olympiques
Comment les critères changent-ils lorsqu’il s’agit d’un monologue ou d’une cérémonie olympique ?
Lorsque Guy Laliberté, le fondateur du Cirque du Soleil, nous a contacté, il a utilisé cette analogie : « Dans votre petit restaurant, j’ai mangé des plats qui me plaisaient : faites-moi la même saveur pour un banquet géant ». Changez d’échelle, les senteurs sont identiques.
Une de vos caractéristiques est de faire vivre le répertoire pendant des décennies.
Il y a des acteurs qui s’imprègnent d’un personnage, l’incarnent pendant une saison et ressentent ensuite le besoin de se lancer dans un nouveau défi. On continue de passer des heures et des heures à répéter, à se pousser un peu plus loin, à essayer de s’améliorer. Comme certains musiciens qui reviennent à Schumann tout au long de leur carrière, mais ce n’est qu’à 80 ans qu’ils croient l’avoir enfin compris…
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