The Chemical Brothers / Pour cette belle sensation


Si on m’avait dit en 1995 qu’à l’avenir j’allais écouter plus les Chemical Brothers qu’Oasis ou Suede, je ne l’aurais pas cru. Depuis leur premier « Exit Planet Dust », tout le monde a apprécié l’expérience de voir Tom Rowlands et Ed Simons en live, et leurs singles ont joué dans les meilleurs clubs. Mais disons simplement qu’ils n’ont pas suscité l’enthousiasme générationnel des Gallaghers ni le phénomène fan qui s’est laissé aller au sex-appeal de Brett Anderson. Sans probablement être le groupe préféré de tous, The Chemical Brothers arrive à son 10ème album sans aucune usure et avec une capacité de réinvention sur laquelle peu d’entre nous parient.

« No Geography » (2019) était l’un de ses meilleurs albums, récompensé par un Grammy du meilleur album électronique. « For that Beautiful Feeling » est une suite à la hauteur. A cette occasion, la surprise vient d’un registre un peu plus bruitiste, notamment dans le single ‘Live Again’ avec Halo Maud. Kevin Shields semble être l’inspirateur de ces oscillations de distorsion sans fin, de ces voix sourdes et de ces guitares sinueuses, ce qui n’est pas fou si l’on pense que le leader de My Bloody Valentine et des Chemical Brothers a coïncidé dans le générique de ce chef-d’œuvre appelé ‘ XTRMNTR’.

En parlant de Primal Scream, ‘The Weight’ les rappelle puissamment, pure alarme sociale dans un monde de chaos, où une voix ne cesse de se demander « Qui va prendre ce poids ? » Qui va en assumer la responsabilité ? Nous sommes face à une partie médiane de l’album plus consacrée au psychédélisme des sixties, bien qu’avec des nuances. Très récemment, ‘Fountains’ avait utilisé des harmonies vocales (que Tame Impala a copiées) et des percussions de l’époque, quoique sur une base un peu rap. En raison de son mélange de quelques décennies avec d’autres, il aurait pu s’agir d’une production de Go ! Équipe.

Il y a aussi des moments plus pop, et cette fois il ne s’agit pas tant du retour de Beck dans les rangs des Chemical Brothers. Beck a chanté l’une des plus belles compositions de l’histoire du duo, « Wide Open ». Il est maintenant temps de rejouer l’épopée psychédélique dans « Skipping Like a Stone », en le laissant peut-être un peu à moitié terminé. ‘Goodbye’ est la production qui est une pure euphorie, twistant les rythmes jusqu’aux limites, avec certaines réminiscences de ‘Block Rockin’ Beats’, et en même temps avec l’âme de Moby de ‘Play’. « Quand tu dis au revoir, je pleure », dit-il, tandis que la musique suggère quelque chose de plus ambigu. Dans la réplique, on ne sait pas si l’hystérie est heureuse ou un peu effrayée par « Feels Like I Am Dreaming ».

Le refrain exultant « I’ll be lovin’ you, yes I will » de « The Darkness That You Fear » joue dans cette même ligue, une production pleine de bongos, d’échantillons des années 60 et un jeu entre des voix masculines samplées et des voix féminines plus vives. . L’album ‘For that Beautiful Feeling’ se déroule comme une session, comme en témoignent les astuces qu’il expose vers la fin de nombreux morceaux, et cela explique pourquoi des morceaux très différents s’emboîtent comme ‘Magic Wand’, plus typique de le trip plus turbulent hop chez Massive Attack ou encore Tricky.

L’album se termine avec le retour du français Halo Maud, et exactement les paroles de l’intro de l’album, bouclant ainsi la boucle. Les Chemical Brothers disent que cet album vous emmène vers des « destinations inconnues ». Lequel détaille « ce moment précis où vous perdez le contrôle, où vous abandonnez et laissez la musique vous émouvoir comme avec des fils invisibles ». D’accord, nous comprenons ce qu’ils veulent dire. Mais de quelle manière ce sont eux qui contrôlent tout ce qu’ils veulent dire, comment ils veulent le dire, quand ils veulent arrêter de le dire. Ce sont eux qui tirent les ficelles à leur guise.



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