Comme un serpent puissant, la procession longue d’un kilomètre et demi de manifestants, armés d’innombrables drapeaux, tambours et klaxons israéliens, se déplace dans le centre de Tel-Aviv. Le tonnerre retentit de dizaines de milliers de gorges ensemble encore et encore ‘Demo-cra-tia ! Demo-cra-tia !’

C’est le neuvième samedi de suite que la population de la plus grande ville d’Israël se manifeste massivement contre les propositions du gouvernement du Premier ministre Benjamin Netanyahu, le plus à droite de l’histoire d’Israël, de limiter drastiquement le pouvoir de la Cour suprême. La participation est à nouveau énorme: environ 150 000 participants. Les manifestations soulignent le fossé profond qui s’est creusé entre le gouvernement et une grande partie de la population.

« J’ai l’impression que les fondements de notre démocratie sont bafoués », lance Tom Shotal, 42 ans, scénariste et réalisateur barbu, sur la place Dizengoff où commence la manifestation. Il est ici avec sa femme et sa fille. « C’est un coup d’État de politiciens qui tentent d’éviter la prison de cette manière. Ils sont tous corrompus », dit Shotal en écartant leur landau.

Netanyahu lui-même est toujours impliqué dans trois affaires judiciaires – dont des accusations de corruption – et son gouvernement tente de faire entrer au cabinet un homme politique qui a été condamné à plusieurs reprises pour fraude. Le gouvernement n’a jusqu’à présent pas été impressionné par les manifestations, aussi importantes soient-elles. Selon elle, il est plus démocratique de donner beaucoup moins d’influence aux juges et de donner plus de pouvoir à la Knesset, qui est élue par le peuple. Elle fait donc tout ce qu’elle peut pour faire passer la nouvelle législation au Parlement le plus rapidement possible.

Acte difficile

Itamar Ben-Gvir, le ministre de la Sécurité nationale en difficulté, a demandé à la police de réprimer les manifestants qui bloquent les routes. Il les a qualifiés d’« anarchistes » et certains politiciens de droite les ont même assimilés à des terroristes. Lors d’une manifestation similaire à Tel-Aviv mercredi dernier, même les grenades éclair sont devenues (grenades assourdissantes), ce qui a suscité de nombreuses critiques à l’encontre de la police. Ce samedi, des chevaux et des canons à eau ont été utilisés à quelques endroits, mais presque partout la manifestation a été – comme à d’autres occasions – pacifique. La police, à son tour, a fait preuve de retenue.

Les manifestants représentent un large échantillon de la population de Tel-Aviv, une ville d’environ quatre millions d’habitants, y compris sa banlieue, qui s’est transformée ces dernières années en un important centre de haute technologie. Contrairement à Jérusalem, par exemple, elle a un fort caractère laïc.

L’un des plus jeunes manifestants est Michal Lee, 13 ans, une fille blonde. Elle porte un drapeau israélien. C’est déjà la quatrième fois qu’elle y participe. « Il est important que mon pays reste démocratique », déclare-t-elle solennellement. « Si vous n’avez plus de démocratie, les pays finiront par s’effondrer. » Ses parents regardent fièrement.

La communauté lhbti n’est pas non plus épargnée. Un homme avec un drapeau arc-en-ciel attend à côté. « Ces manifestations ne portent pas seulement sur la réforme juridique », explique-t-il, « mais aussi sur la lutte contre le racisme et pour les droits des homosexuels et des autres minorités ».

manifestation devant la Knesset

Non seulement à Tel-Aviv, mais aussi dans d’autres endroits, il y a de fréquentes manifestations contre les plans de réforme du gouvernement. Notamment à Jérusalem, souvent devant la Knesset et parfois près des domiciles des ministres.

« J’ai combattu dans trois guerres. Je l’ai fait parce que je sentais qu’Israël valait la peine d’être défendu

Maurice Économiste de 81 ans

Un des manifestants qui a participé depuis le début est Maurice, un économiste à barbe blanche de 81 ans qui se dit « un vrai patriote ». Il ne veut pas que son nom de famille soit publié dans le journal. « J’ai combattu dans trois guerres. Je l’ai fait parce que je sentais qu’Israël valait la peine d’être défendu. Nous ne pouvons pas accepter qu’ils changent soudainement les règles du jeu. Cela signifierait une révolution, pour laquelle Netanyahu n’a pas de soutien populaire.

Des fonctionnaires, censés en réalité rester neutres, manifestent également, souvent pour la première fois de leur vie. « Je ne suis pas d’accord avec les plans du gouvernement », déclare l’un d’eux sous couvert d’anonymat. « Mais je n’ai pas encore renoncé à espérer que le gouvernement voudra encore négocier avec l’opposition pour ajuster les propositions. »

Un groupe de plus de cinquante jeunes de dix-huit ans de la station balnéaire méridionale d’Eilat, sur le point de commencer leur service militaire, a installé une tente devant la Knesset. Eux aussi espèrent des négociations et s’inquiètent des profondes divisions du pays. « Notre slogan est : les gens sont frères et sœurs », déclare Hilli Bar Kai.

La question est de savoir si cela fait une grande différence. Mais peut-être pourront-ils se consoler d’un autre slogan, porté samedi par une femme à Tel-Aviv sur une pancarte empruntée au Dalaï Lama. « Si vous pensez que vous êtes trop petit pour faire une différence, essayez de dormir avec un moustique qui bourdonne autour de vous. »

Lire aussi : Le gouvernement Netanyahu ignore les manifestants et fait passer une réforme de la justice



ttn-fr-33