Surtout après un massacre en mer comme celui de Cutro, la chasse aux coupables de traite des êtres humains est évidente et naturelle. Mais les contrebandiers inculpés pour les débarquements sont pour la plupart « des gamins à qui on a donné un gouvernail et sommé de partir sous la menace d’une arme ». Leurs histoires, leurs données et une sentence d’acquittement qui parle d’elle-même


dprès le naufrage du Cutro, un garçon de 17 ans a été arrêté. Il en existe plusieurs dans les prisons pour mineurs italiennes : jeunes et très jeunes accusés d’être des passeurs, des trafiquants d’hommes. Pourtant, l’association Antigone le dénonce, « en leur parlant ainsi qu’aux opérateurs qui les suivent, tout le monde a l’impression que ce sont des gosses embarqués sur des bateaux par leurs parents, avec l’espoir de leur construire un avenir, qui, à un certain moment, s’est vu confier un gouvernail. Les gars qui ils n’ont rien à voir avec les organisations criminelles qui spéculent sur les espoirs et la vie des personnes qui migrent ».

Au lendemain du Conseil des ministres tenu à Cutro et du durcissement de l’immigration clandestine » décidé par le gouvernement, l’avocat Cynthia Pecoraro, qui suit des affaires de passeurs présumés, le confirme. «législation d’urgence, également dans ce cas, est destiné à faire un trou dans l’eau. Elle ne touchera pas les responsables mais les victimes de la traite : des enfants qui n’ont aucun lien avec l’organisation ».

Le décret : des peines allant jusqu’à 30 ans pour les passeurs

Des peines plus sévères pour les passeurs (jusqu’à 30 ans d’emprisonnement en cas de décès) et une nouveau type de délinquance pour quiconque « favorise, dirige, organise, finance ou effectue le transport d’étrangers » et met sa vie en danger. Et puis, un agrandissement des Centres de Rapatriement (Cpr) et des entrées pour le travail par le biais du décret flux.

Tels sont les points du nouveau décret-loi sur l’immigration discuté au Conseil des ministres qui s’est tenu à Cutro, en Calabre. L’endroit où, le 26 février dernier, a eu lieu le terrible naufrage, coûtant la vie à au moins 72 personnes. Le « répression de l’immigration clandestine» décidée par le gouvernement suscite cependant de nombreux doutes chez les personnes qui s’occupent de la question depuis des années.

Qui sont les passeurs ? L’avocat Pecoraro répond

Comme l’avocate Cinzia Pecoraro, qui suit de nombreux soi-disant passeurs. « Ce sont surtout des passagers qui ils n’avaient pas l’argent pour payer la traversée, forcés sous la menace d’une arme à prendre la barre et à partir« , raconte. Et beaucoup d’entre eux sont mineurs qui, dès qu’ils touchent le sol, se retrouvent, traités en adultes, dans un cercle d’épreuves infernal.

L’histoire de Joof, 16 ans, passeur présumé

C’est le cas de Joof Ousaineu, arrivé en Sicile en 2015 via la Méditerranée centrale, identifié comme passeur. «Il n’avait même pas encore 16 ans, il a vomi pendant la traversée, se trouvait au centre du bateau et ne pouvait même pas voir la mer. Lorsqu’il a été secouru, il était tellement déshydraté qu’il a été transporté à l’hôpital. Comment a-t-il pu conduire ?», explique Pecoraro qui l’a défendu. La plaisanterie est qu’il a été jugé par un tribunal ordinaire, en tant qu’adulte. «La justice italienne nIl ne se croyait pas mineur : d’après la radiographie de son poignet, il aurait eu 18 ans».

Des footballeurs libyens condamnés à 30 ans de prison pour le massacre du 15 août

Un cas non moins inquiétant est celui de jeunes footballeurs libyens (Abd Arahman Abd Al-Monsiff, Tarek Jamaa Laamami, Alla Hamad Abdelkarim), connus dans l’actualité comme « les amis de Benghazi », condamnés à 30 ans de prison pour traite des êtres humains et homicide involontaire. Les coupables ont été recherchés pour le soi-disant Massacre de Ferragosto qui, à l’été 2015, a entraîné la mort de 49 personnes sur un petit bateau, à la dérive en Méditerranée centrale, au départ de la Libye. Ils ont été choisis : ils étaient l’équipage.

Abdelkarim Alla F. Hamad a joué pour «Al-Ahly Benghazi» en Premier League libyenne – photo fournie par des membres de la famille à Cinzia Pecoraro, l’avocate de la défense

Les passeurs et trafiquants

« Mais regardez les bateaux sur lesquels ils voyagent », poursuit Pecoraro, avocat d’Alla Hamad Abdelkarim : « Ce sont des bateaux de 10-12 mètres, dans lesquels ils sont empilés les uns sur les autres. Peut-il y avoir un équipage ? Il n’aurait aucun devoir, il n’y a rien sur ces bateaux et rien à faire. Il y a quelqu’un qui conduit, oui. Mais dans les mêmes conditions que les autres. Pas de mesures de sécurité spéciales, pas d’armes, pas d’argent. Est-ce que ça peut être ça le trafiquant, qui risque si sérieusement de mourir avec les êtres humains qu’il trafique? ».

Octobre 2022. Un bateau chargé de migrants au large de Sfax, dans le sud tunisien. Objectif, atteindre l’Europe (Photo de Yassine Gaidi/Anadolu Agency via Getty Images)

Identifier les responsables d’un massacre

LL’identification des responsables est impérative après un massacre en mer. Nous devons le faire rapidement, pour répondre à l’opinion publique choquée. Tout comme il faut afficher des mesures qui apaisent les consciences. Le risque que seuls des boucs émissaires soient trouvés est réel. Dans le cas du massacre du 15 août, mais dans de nombreux autres cas similaires, les enquêtes ont été menées de manière sommaire.

Les mandataires de Frontex, l’agence frontalière controversée de l’Union européenne. « Pour savoir qui conduisait, certains passagers sont interrogés comme témoins, ceux qui s’offrent, d’autres désespérés. Peut-être en leur promettant des avantages, l’impunité, un permis de séjour», explique Pecoraro.

L’identification des passeurs ? « Simple coïncidence »

L’avocat Pecoraro rapporte un autre cas : celui d’un débarquement en 2015 qui a coûté la vie à 53 personnes (sur les 494 entassées dans les 20 mètres sur 4 du bateau). 10 complices présumés ont été arrêtés, la réclusion à perpétuité a été demandée. A part le chauffeur, ils ont été acquittés avec une phrase qui donne un aperçu impitoyable de la réalité sur les quais, après le débarquement.

«Le doute demeure que l’identification des suspects, d’une part, et des déclarants, d’autre partà la seule exception du conducteur (facilement identifié) était presque le résultat d’un simple coïncidence». Nous lisons donc dans la sentence d’acquittement. Et, encore : « L’identification de ceux qui allaient bientôt faire l’objet d’une enquête en tant que passeurs présumés aurait eu lieu « coram populo » au moment où les suspects passaient sur l’échelle reliant au continent ». Le migrant qui choisit d’être témoin descend le premier du bateau et attend que ceux qui devraient être les passeurs descendent. « C’est eux ? », « Oui ». Quelque chose comme ca. L’avantage pour l’accusateur-témoin ? Un titre de séjour.

Mineurs mis en examen comme trafiquants d’êtres humains

On ne sait pas combien de mineurs, comme Abdelkarim et Ousaineu, ont été arrêtés, jugés et parfois condamnés en Italie comme passeurs. L’accusation est d’avoir aidé et encouragé l’immigration clandestine, un crime prévu à l’article 12 de la loi consolidée sur l’immigration, une règle modifiée à plusieurs reprises au fil des ans.

« Il y a quelque temps, nous avons fait une reconnaissance en demandant aux quatre établissements pour mineurs de Sicile et à celui de Sardaigne combien de garçons étaient arrivés en prison accusés d’être des passeurs évidemment sans en être un, et ils étaient différents », explique-t-il. Susanna Marietti, de Antigone, association pour les droits et garanties dans le système pénal: « Je me souviens d’un que j’ai rencontré personnellement : il avait 16 ans, parlait un dialecte sénégalais que même les médiateurs culturels ne comprenaient pas. Il était abasourdi, à la merci des événements, il ne comprenait certainement pas du tout ce qui lui arrivait. Est-ce un trafiquant d’hommes ?

Chauffeurs de bateaux

Du De la mer à la prison est un rapport sur la criminalisation des soi-disant passeurs élaboré par une série d’associations s’occupant de l’immigration. La dernière mise à jour estime qu’en 2022 en Italie environ 350 « passeurs » ont été arrêtés, un chiffre dans la lignée de ceux observés de 2014 à aujourd’hui. Et dans de nombreux cas, montre comment les personnes arrêtées n’ont rien à voir avec les organisations qui ont organisé le voyage.

Le rapport dit : « Fondamentalement, ils sont le dernier maillon d’un réseau beaucoup plus vaste, dont les sommets restent dans l’ombre. Souvent, ce sont aussi des migrants qui ont été empêchés d’entrer en Europeet qui risquent leur vie pour franchir les frontières.

Passeurs par nécessité ou forcés

Le rapport identifie quatre profils de « passeurs » de bateaux à destination de l’Italie, plus ou moins colériques avec les trafiquants eux-mêmes, qui ne participent pas aux voyages. Du « capitaine par nécessité« , qui assume la responsabilité de l’exploitation du navire en cas d’urgence (par exemple, panne de moteur) au « capitaine forcé», contraint de force par les trafiquants à conduire le bateau parce qu’il sait conduire un bateau. Du « capitaine payé», payé par les trafiquants pour conduire le bateau, pourtant migrant à son tour vers le «capitaine de l’organisation”, a explicitement comploté. Et les trois premières catégories sont de loin prépondérantes.

Travail de groupe aussi Perdu en Europe a contribué à l’approfondissement du problème en notant que les conducteurs de bateaux de migrants sont pour la plupart de simples migrants. Payé pour conduire ou forcé sous la menace d’une arme. Parmi eux, de nombreux mineurs non accompagnés.

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Migrants, le flux a triplé en 2023

Je suis 20 017 migrants ont débarqué en Italie cette année, plus de trois fois celles enregistrées sur la même période de 2022 (6.152). la poussée, selon les données publiées par le Viminale, elle s’est concentrée notamment sur les trois jours du 9 au 11 mars, où 4 566 personnes sont arrivées. Les nationalités les plus représentées sont les Ivoiriens (2 410), les Guinéens (2 380) et les Bangladais (1 506). Le nombre de mineurs non accompagnés a également triplé.

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