Sur les horloges de Maarten Baas, c’est toujours la personne qui donne l’heure


« Le temps ne peut rattraper que l’homme », écrit Yves Petry dans son roman L’amour en quelque sorte (2015). Une formulation magnifiquement concise d’une vieille idée : nous sommes nous-mêmes la mesure de la façon dont nous vivons le temps. Une seconde semble courte comparée à une vie humaine, une décennie nous semble longue. En même temps, l’horloge semble objective : ce qui est écrit ici s’applique à tout et à tous. Les mains chassent le temps, il colle à l’homme.

Les horloges que l’artiste-designer Maarten Baas fabrique sous le nom temps réel sont la parfaite représentation de ce champ de tension entre le « temps vécu » et le temps de l’horloge. Dans ces horloges, auxquelles le Museum Voorlinden de Wassenaar consacre désormais une exposition agréablement compacte, ce sont toujours les actions humaines qui dictent le temps.

Martin Boss, Horloge grand-père en temps réel – Le fils2022.
Photo Benjamin Baccarani

Horloge numérique analogique (2009), par exemple, ressemble à l’un de ces fameux réveils numériques, avec des chiffres rouges sur fond noir, mais derrière se trouve un petit bonhomme qui scotche ou nettoie des parties des chiffres pour régler l’heure. Dans Horloge des balayeurs (2010) un duo de nettoyeurs en salopette bleue déplacent deux énormes aiguilles faites de détritus pour indiquer l’heure. Dans Horloge Confettis (2021) une figure en costume bleu exécute sa tâche carnavalesque de poule mouillée en brossant les mains de flocons de confettis avec une brosse, en gardant le reste de l’assiette blanche propre.

Espace public

Au centre de l’espace du Museum Voorlinden se trouve l’énorme Horloge Paddington, qui est exposée près de la gare de Paddington à Londres depuis 2021. Cette horloge se compose d’une vidéo d’un énorme cadran classique avec des chiffres romains, qui est ici installé dans un mur d’un mètre de haut. Derrière le verre dépoli du cadran se tient Maarten Baas en costume du XIXe siècle ; avec de la peinture et un pinceau, il indique l’heure pendant douze heures en dessinant les mains et en les retirant. Cela semble remarquablement réel.

Les horloges de Maarten Baas sont également visibles dans les espaces publics aux Pays-Bas. Il y en a un dans le hall des départs de Schiphol, tout comme dans le hall de l’hôpital Erasmus MC à Rotterdam. Mais là où une telle horloge ressemble à un tour de passe-passe, les horloges exposées dans les musées prennent un contenu plus philosophique. Toutes les horloges affichent la même heure, mais elles ont toutes un rythme, une emphase et un message différents : le temps comme perte, le temps comme fête, le temps numérique. Le fait qu’elle ait dû être précédée d’une performance impressionnante (toutes les vidéos mettent douze heures pour boucler le chrono) y contribue.

Martin Boss, Horloge grand-père en temps réel – Autoportrait2019.
Photo Adrien Millot

La série n’est pas moins captivante Horloge de parquet: trois horloges verticales côte à côte, où Boss crée l’illusion qu’un vieil homme (Le père2019), lui-même (autoportrait2019), et un jeune enfant (Le fils, 2022) qui dessinent l’heure sur l’horloge. Trois phases, peut-être de la même vie.

Chaires et œuvres vidéo

Un designer a parfois besoin d’une idée brillante pour percer dans le monde entier. Maarten Baas a déjà eu cette idée lors de sa dernière année à la Design Academy d’Eindhoven : il a brûlé des classiques du design de célèbres prédécesseurs tels que Gerrit Rietveld et Ettore Sottsass, et a réparé les meubles carbonisés avec de l’époxy transparent. Le patron en a fait la première page Le New York Times et est devenu instantanément mondialement célèbre. Comme les horloges, c’était une idée apparemment simple, avec de grandes implications : a-t-il brûlé ses prédécesseurs ? Était-ce un règlement ou un hommage? Une déclaration contre le « monde faisable » ?

Martin Boss, La chaise vide2023.
Photo Antoine van Kaam

Les meubles brûlés ne sont pas visibles à Voorlinden, mais quelques œuvres récentes de la série qui a suivi : Argile, des meubles plaqués à la main aux couleurs souvent enfantines et gaies, l’anti-design par excellence. Les cinq chaises de la série La chaise vide (2023) ne sont pas de couleurs vives, mais noires. Le dossier est une échelle qui, dans certains cas, s’étend au-delà du toit du musée.

Baas a réalisé la première version de ces chaises en 2011 pour une campagne d’Amnesty International contre l’oppression des artistes, journalistes et militants. En noir, ces chaises perdent toute connotation enfantine : elles acquièrent une sorte d’existentialisme strict que l’on associe plutôt aux images de Giacometti. La chaise vide, les escaliers qui relient le siège à l’espace vide au-dessus et les barreaux de l’échelle que l’on pourrait voir comme des barreaux, donnent à l’image une belle charge poétique.

Après cette salle mémorable avec des horloges et ces belles chaises tremblantes, dommage que les deux salles avec des œuvres vidéo récentes soient décevantes. L’installation vidéo Je pense, donc j’étais (2019) consiste en une forme en U de vos écrans environnants avec des personnes sur des émissions de télévision toutes ‘Je pensedisons, un bourdonnement de réflexion – tant de gens, tant d’opinions. Seconde nature – L’eau (2021) est une cascade d’écrans, montrant à chaque fois un fragment d’eau – tout coule, et vous pouvez aussi regarder à la télévision streamingprestations de service. Ce sont de belles trouvailles visuelles, mais la poésie manque ici. Cela n’a pas d’importance, toutes les idées ne doivent pas nécessairement être brillantes.

Martin Boss, Seconde nature – L’eau2021.Photo Karoliina Redsven



ttn-fr-33