Sondre Lerche / Avatars de l’amour


Il est courant que certains artistes arrivent à leur dixième album studio épuisés, sans rien à dire. Ce n’est pas le cas de Sondre Lerche. Le Norvégien a pu trébucher à un moment ou à un autre au cours de ses 20 ans de carrière, mais les derniers l’ont trouvé dans un état de grâce particulier, sonnant le même orchestre que la synth-pop. ‘Avatars of Love’, son nouvel album, rivalise pour être le meilleur de tous, et ce qu’il gagne à coup sûr, c’est qu’il est le plus ambitieux.

Allons-y par parties. Sondre vient de sortir une trilogie d’albums composée de ‘Please’ (2014), ‘Pleasure’ (2017) et ‘Patience’ (2020) qui a signifié son renouveau créatif. Son divorce a profondément marqué les paroles de ses dernières chansons, et en même temps l’artiste a été encouragé à expérimenter de nouveaux sons et structures. Une fois de retour en Norvège après avoir vécu des années à Los Angeles, Sondre s’est retrouvé au milieu du confinement plus inspiré que jamais, et le résultat est ‘Avatars of Love’, un album qui allait être petit… mais qui est assez le contraire.

Sondre n’a jamais été opposé à une longue chanson, mais dans ‘Avatars of Love’, il explore ce format de manière décidée. Ce n’est pas une exagération : beaucoup de morceaux dépassent les 6 minutes, deux dépassent les 10, et nous sommes face à une heure et demie de musique. L’artiste profite du temps de diverses manières : il se délecte de somptueux arrangements orchestraux, inspirés de la pop des années 40 et 50, tout en explorant des styles comme le R&B, le jazz ou la bossa nova, faisant appel à des artistes invités aussi variés qu’AURORA , le Brésilien Rodrigo Alarcón ou Mary Lattimore pour apporter de nouvelles couleurs aux chansons, et il étoffe ses paroles narratives, marquées par l’apparition d’un nouvel amour.

Beaucoup de chansons sont splendides. Les 10 minutes de ‘Avatars of Love’, la chanson-titre, sont les mieux utilisées depuis ‘Venice Bitch’ de Lana Del Rey : influences bossa, arrangements de cordes effrayants et paroles romantiques pleines de références musicales – elles semblent mentionnées de Taylor Swift à William Basinski – composent l’une des meilleures chansons de rivière entendues depuis des années. Un bel hommage à la musique. Dans un style similaire, Sondre sonne aussi inspiré du très long ‘Dead of the Night’, une autre composition à structure libre, par épisodes, avec plus de couplets qu’une chanson de Bob Dylan, qui va du mélodrame noir à une science-fiction inattendue. se terminant. Tout pour nous dire qu’il n’y a rien de nouveau dans ce monde.

‘Avatars of Love’ représente l’aboutissement d’un style que Sondre a exploré depuis le début de sa carrière. Certaines chansons sont à nouveau belles. « Garantie que je serais aimé », le morceau d’ouverture, ne pouvait pas être plus tendre dans le désespoir de Sondre d’être aimé, enveloppé dans des cordes Disney. Dans la berceuse effrayante ‘Now She Sleeps Beside Me’, Sondre voulait sonner comme « Scott Walker produit par Enya », mais évoque aussi Rufus Wainwright de ‘Want’. « Turns Out I’m Sentimental After All » est une autre de ces ballades rétro dans lesquelles il est si doué, et présente un arrangement de cordes qui perce l’atmosphère. Et « The Other Side of Ecstasy » est soutenu par un breakbeat entraînant des années 90 qui emmène la chanson à l’infini et au-delà.

Le long voyage des « Avatars de l’amour » comprend des arrêts plus inattendus. Pas tellement ‘Cut’, un autre single complet de Sondre qui décrit un amour fou, car son adoration pour le son de Prefab Sprout a toujours été évidente, et plus encore dans ce cas. Mais l’incursion R&B de ‘Summer in Reverse’ est surprenante, ce qui, avec la participation du japonais CHAI, rappelle D’Angelo pour de bon. Parmi les titres les moins convaincants, « What Makes Me Tick » s’éloigne un peu trop des sonorités jazz d’antan, et « Magnitude of Love » inclut les harpes de Mary Lattimore pour une chanson plus formelle que substantielle.

Sondre dit qu’avec « Avatars of Love », il voulait explorer un monde « infini » de possibilités. Et c’est le cas. ‘Avatars of Love’ est un album pop axé sur la fantaisie des arrangements, un océan de mélodies dans lequel plonger jusqu’au fond de la mer. En arrivant à ‘Alone in the Night’, auquel AURORA participe, impossible de ne pas penser au jazz noir de gens comme Julie London, soit dit en passant, l’une des plus grandes influences de Billie Eilish.

Un album qui fait autant penser à Peggy Lee qu’à Paddy McAloon, Astrud Gilberto autant qu’à Madeleine Peyroux, Belle et Sébastien autant qu’à Pizzicato Five, Jens Lekman autant qu’à Dirty Projectors (Felicia Douglass apparaît sur l’un des titres), c’est un disque totalement gratuit. Et cette liberté ne se traduit pas seulement dans les sonorités des chansons, mais aussi dans les durées, des durées dont Sondre sait tirer parti, nous donnant tout ce qu’il a à offrir sur ‘Avatars of Love’. Et de plus.



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