Lorsque Mark Rutte a pris ses fonctions de Premier ministre le 14 octobre 2010, peu à La Haye voyaient un avenir radieux pour le Premier ministre alors âgé de 43 ans. Bien que Rutte ait glorieusement remporté les élections, en tant que dirigeant du VVD, il a connu des années chancelantes. Son leadership a souvent été remis en question. Et il est allé gouverner dans une coalition minoritaire avec le CDA, avec le soutien du PVV de Geert Wilders. Il demandait des mésaventures politiques – et une fin obscure comme une question de quiz de pub. Mais Rutte s’est avéré être un survivant inégalé, un talent politique comme on en voit rarement à La Haye. Quoi qu’il se soit passé, quelle que soit la crise, grande ou petite, qui s’est produite : Rutte est resté. Et donc Rutte deviendra la semaine prochaine le Premier ministre le plus ancien de l’histoire des Pays-Bas, avec 4 310 jours au compteur. Et il a dépassé Ruud Lubbers (4 309 jours). Un leadership stable à une époque politiquement troublée : c’est une grande réussite.
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Rutte semble avoir grandi en tant que personne avec son bureau. Les Premiers ministres néerlandais sont rarement visionnaires, fulgurants ou révolutionnaires. Un Premier ministre, comme cela se pratique depuis des décennies, est un primus inter pares, qui polders, réglemente et écoute tout le monde. Rutte a montré qu’il réunissait ces qualités. Il dit souvent qu’il ne fait pas de vision. Rutte n’est en effet jamais distrait par les problèmes du jour, est opposé aux apparences et peut régner aussi bien avec la gauche qu’avec la droite. Sa méthode : il prend le dessus sur les opposants politiques, et laisse toujours les « partenaires juniors » de la coalition encaisser les coups. Gouverner avec Rutte est dangereux, il suffit de demander au CDA, au PVV et au PvdA. En ce sens, la matité de Rutte est aussi une stratégie consciente : les autres encaissent les coups de la politique qu’il a développée, il est toujours juste assez invisible. Pensez au scandale des allocations, à l’affaire des reçus, à « Hawija », à la crise du corona. Un ministre après l’autre a dû partir, mais Rutte est resté intouchable.
L’apparence terne qui caractérise de nombreux premiers ministres masque souvent leur envie idéologique d’agir. Wim Kok (PvdA, Premier ministre de 1994 à 2002) a réformé les Pays-Bas selon les idées de la Troisième Voie. Jan Peter Balkenende (CDA, 2002-2010) a fait de même avec ses vues sur un petit gouvernement et un rôle plus important pour les organisations de la société civile. Mark Rutte peut souvent dire que pour la vision, il faut « aller chez l’ophtalmologiste », il a en effet mené une politique basée sur ses idées fondamentales. Encore et encore, il s’agit de sa propre responsabilité. Le citoyen autonome trouvera tout par lui-même. Ainsi, la bourse de base a été remplacée par un système de prêt, les nouveaux arrivants devaient payer leur propre intégration et les personnes éloignées du marché du travail devaient faire de leur mieux pour trouver du travail. Le gouvernement est devenu plus commercial et s’est éloigné du citoyen. Cela a entraîné de nombreux problèmes : un système d’allocation opaque, un profilage ethnique au fisc, la chasse aux fraudeurs potentiels et des organisations administratives qui fonctionnent mal. Ces problèmes irradient Rutte. Trop souvent, l’administration publique a été considérée comme manquant d’intégrité ou manquant d’intégrité. Trop souvent, il s’agissait également de Rutte lui-même, par exemple en matière de « fonction ailleurs », de son comportement textuel ou de l’utilisation du terme « doctrine Rutte ». Trop souvent, l’intégrité du premier ministre, qui d’ailleurs ne déclare pas encore une tasse de café, a été mise en doute. Une tache sur son mandat de premier ministre.
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Le quatrième cabinet Rutte, qui a pris ses fonctions en janvier, vise à corriger les erreurs commises dans les précédents cabinets Rutte. Cela s’applique non seulement aux victimes du scandale des subventions ou de l’extraction de gaz naturel à Groningue, mais aussi aux citoyens qui ont été abandonnés par le gouvernement d’une autre manière ou qui ont perdu confiance ces dernières années. Mark Rutte doit donc restaurer les choix politiques que le même Mark Rutte a faits ces dernières années.
Lorsque le quatrième cabinet est entré en fonction, Rutte a promis une nouvelle culture administrative. Il était la bonne personne pour le mettre en œuvre. Une affirmation qui mérite le scepticisme. Jusqu’à présent, le tableau est mitigé. Rutte IV a de grandes ambitions et dépense beaucoup d’argent, avec des dizaines de milliards pour la politique climatique et azotée et la transition énergétique. Mais son cabinet est structurellement défaillant dans les dossiers que Rutte traîne avec lui après presque douze ans, notamment le fonctionnement du gouvernement. La stabilité au sommet est parfois une vertu en période d’incertitude, mais elle ne doit pas devenir un objectif en soi. Rutte doit prouver qu’il peut se réinventer. S’il ne réussit pas, son mandat de premier ministre aura duré un mandat de trop.
Une version de cet article est également parue dans le journal du 30 juillet 2022