Rome, pourquoi son imagerie façonne-t-elle notre culture et celle des nouveaux maîtres du monde (numérique), de Zuckerberg à Musk ? Aldo Cazzullo en parle dans son nouveau livre commenté par Dacia Maraini


Lidée de dire au histoire de l’empire romain en cent pages ça donne envie de vider la mer avec une petite cuillère. Et au contraire, miraculeusement, Aldo Cazzullo réussit, avec un récit galopant, un talent de forgeron qui sort le lapin du chapeau quand on s’y attend le moins.

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Rome antique par Aldo Cazzullo

Quand nous étions les maîtres du monde (HarperCollins) est un livre parfait pour ceux qui, comme les enfants des écoles d’aujourd’hui, il veut tout savoir clairement, mais sans perdre de temps. Cazzullo a un génie pour la communication. Et ce n’est pas une chose courante. Savoir parler à tous, petits et grands, avec quelques traits clairs et rationnels, sans perdre les complications d’un récit dense et articulé, suppose un talent audacieux et une grande énergie mentale.

Le livre, qui à première vue peut ressembler à une simple histoire de faits exemplaires, a en fait une thèse très claire qui se développe progressivement tout au long de l’histoire. L’auteur veut nous montrer que nous sommes tellement imprégnés de culture romaine que l’empire, détruit par les invasions barbares, existe encore en nous. Sa langue, comme la langue grecque, est à la base de toutes nos définitions de la pensée, sa capacité à se mêler à d’autres cultures et à d’autres peuples, son intelligence politique, son art architectural, ses merveilleuses sculptures, font encore partie de notre mesure de vie.

Rome, le Colisée au coucher du soleil. (Getty Images)

Cazzullo se demande : «Pouquoi? Pourquoi Rome ? Comment est-il possible qu’une civilisation prétendument morte il y a seize siècles continue d’influencer le langage et la pensée de notre siècle ? Pourquoi, parmi les nombreux empires et royaumes, parmi les nombreuses civilisations qui se sont succédées sur terre, Rome continue-t-elle de donner des mots et des symboles à la modernité, et continue-t-elle d’inspirer les formes qui font le pouvoir et l’art, le commerce et la communication ? ».

Il nous donne la réponse clairement et clairement : La fortune de Rome ne réside pas seulement dans le charme, mais aussi dans la continuité. «L’Empire romain n’est jamais tombé parce que l’idée de Rome a voyagé de manière immortelle à travers l’histoire, grâce non seulement aux souverains qui se sentaient la réincarnation de l’empereur, mais aussi aux peuples qui se considéraient comme les héritiers des anciens Romains ».

Le transformisme de Constantin

Les peuples barbares, par exemple, que l’on considère comme des « envahisseurs grossiers et hirsutes », étaient en réalité imprégnés de culture romaine. «Ils ont modelé, dans leurs organisations, l’idée militaire et politique des Romains, leur langue, leurs valeurs». Même Shakespeare ne peut échapper au charme de Rome, et met en scène ses héros avec une passion qui révèle la profonde influence du mythe latin, de ses héros et de ses légendes. Et arrivant au vingtième siècle, Cazzullo rappelle le cas de Marguerite Yourcenar qui a écrit un roman célèbre sur Hadrien, l’empereur qui connaissait les mystères de la beauté., qui tombe amoureux du bel Antinous, qui crée une nouvelle façon de comprendre la justice et la mort. L’histoire de l’empire racontée dans ce livre est un long voyage à travers le temps.

L’auteur nous permet d’entrer, de manière très agile et précise, dans la dynamique qui, avec Constantin, a transformé la domination romaine en une phase du christianisme. La religion gagne en puissance, mais perd son authenticité : « Si Constantin est déjà chrétien, c’est un chrétien d’une espèce nouvelle. Déterminé à utiliser la religion comme un instrument de son pouvoir. » Cependant, Cazzullo précise également que cette adoption du christianisme a permis à l’empire de survivre : une nouvelle Rome fut fondée, qui résista mille ans après la chute de la ville occidentale.

On pourrait dire que le chapitre « L’empire infini. Le vol de l’aigle de Justinien à Zuckerberg” est le cœur du livre. Ici, en s’inspirant de Dante qui dans le discours de Justinien au Paradis «fait un voyage vertigineux et résume en quelques vers pressants l’histoire de l’aigle, symbole de Rome», l’auteur démontre sa thèse en parcourant les transformations, suggestions, imitations du modèle romain, de Constantinople au Saint-Empire romain germanique, à la Troisième Rome, Moscou, à Napoléon qui se nomma empereur et fit construire à Paris des colonnes, des arcs et autres éléments rappelant la ville éternelle, à l’Empire britannique ou celui américain.

Mussolini et le Forum… dans la ceinture

L’aperçu ne lésine pas sur des détails très significatifs sur l’usage du latin, avec ses formules, dans ces nouveaux empires, sur le renouveau des symboles, des rites, des éléments vestimentaires. Les pages ne manquent pas dans lesquelles l’auteur rappelle le rôle qu’a joué l’Empire romain dans l’imaginaire de Mussolini, qui surfait sur le sentiment ou peut-être sur le désir constant des Italiens d’avoir un lien avec ce passé de grandeur. et splendeur : «Le Duce apparaît véritablement comme la réincarnation d’un empereur, ou plutôt du fondateur de l’empire. » il écrit. Et sur ce point l’anti-rhétorique de l’auteur, issue du succès d’un livre dans lequel il relatait les désastres du fascisme, nous fait un sourire amer : « Lorsqu’il veut ensuite construire à Rome une citadelle olympique pour accueillir les Jeux – qui en effet s’y tiendra en 1960 -, il l’appelle en son honneur Foro Mussolini ; même si pour les antifascistes, ou même seulement pour les râleurs, le forum Mussolini était celui où pendant la guerre presque tout le monde, ayant perdu du poids à cause des privations, s’était fait refaire la ceinture».

De nombreuses pages permettent de découvrir les évolutions les plus récentes du mythe de Rome: la fascination qu’éprouvent de nombreux « nouveaux empereurs » pour l’Antiquité et notamment pour la Gens Iulia, pour Jules César et César Auguste. Ainsi ces nouveaux « augustes », les magnats du monde technologique, Mark Zuckerberg, Elon Musk, Bill Gates déclarent à plusieurs reprises leur amour pour les symboles de Rome. Et cela fait encore sourire, car un autre avantage de ce livre est l’ironie douce et intelligente, connaissant un détail de la lune de miel du fondateur de Facebook, qui cite Virgile, a la même coupe de cheveux qu’Auguste et conclut ses réunions au cri de  » Domination! »: « Mark Zuckerberg a passé sa lune de miel à Rome avec sa femme Priscilla, mais elle a dit qu’il lui semblait qu’ils étaient trois : « Mark, moi et Augusto ».. En fait, le jeune mari parlait continuellement de l’empereur et photographiait continuellement ses statues. Il y a probablement une certaine manie du pouvoir chez les « empereurs numériques », mais aussi le rêve d’une nouvelle Rome, représentée par un réseau qui fédère une communauté multiethnique de milliards de personnes.

Quand nous étions les maîtres du monde. Rome : l’empire infini (HarperCollins) est le nouveau livre
par Aldo Cazzullo.

La mémoire des Italiens

L’Empire Infini arrive aussi sur grand et petit écran, le livre en rend compte, de Ben-Hur à Gladiator, sans laisser de côté les sagas comme Star Wars. Toto, Fellini, Liz Taylor De nombreux artistes ont nourri l’héritage de Rome avec leurs films et leurs interprétations et ont contribué à entretenir l’imaginaire de l’empire, tantôt en l’exaltant, tantôt en jouant et en plaisantant sur ses traits les plus grandiloquents.

Même avec ce livre, Aldo Cazzullo rappelle aux lecteurs qu’il n’y a pas lieu d’avoir honte d’être italien, mais il montre clairement, avec sa sagesse, sa capacité à établir des liens et des comparaisons, que connaître l’histoire est nécessaire pour approfondir son regard. à l’identité collective et à construire consciemment l’identité individuelle.

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