Que signifie l’accord controversé sur la migration avec la Tunisie ? « L’Europe se lave les mains dans l’innocence »

Les dirigeants de l’UE ont promis des centaines de millions d’euros à la Tunisie en échange d’une meilleure sécurité aux frontières et de la lutte contre le trafic d’êtres humains. Mais qu’est-ce que cet accord implique exactement?

Anne Boersma

Pourquoi un accord avec la Tunisie est-il nécessaire selon les dirigeants de l’UE ?

Une politique d’asile et de migration maîtrisée, tel est l’objectif du nouveau deal européen sur la migration qui a vu le jour jeudi dernier. 27 ministres européens de l’Asile et de la Migration ont conclu des accords sur l’accueil, la répartition et le retour des migrants arrivant en Europe.

Désormais, les personnes originaires de pays qui ont peu de chance d’obtenir le statut de réfugié seront soumises à la procédure frontalière rapide de douze semaines. Des exemples de ces pays sont le Maroc, l’Algérie, la Tunisie, le Sénégal, le Bangladesh et le Pakistan. Pendant ces trois mois, des personnes sont enfermées dans des centres de détention aux frontières de l’Europe où elles arrivent : en Italie, en Grèce et à Malte. S’ils ont épuisé toutes les voies de recours, ils seront renvoyés dans le dernier pays où ils se trouvaient avant de passer en Europe. Et c’est là qu’intervient la Tunisie : un important pays de transit. En 2023, par exemple, 26 799 personnes sont arrivées par la mer de la Tunisie vers l’Italie.

Que comprend l’accord ?

La Tunisie recevra 900 millions d’euros d’aide financière à long terme, a annoncé la présidente Ursula von der Leyen de la Commission européenne à Tunis. Elle s’est rendue dans ce pays d’Afrique du Nord le week-end dernier avec le Premier ministre néerlandais Mark Rutte et le Premier ministre italien Giorgia Meloni. 150 millions seront débloqués immédiatement pour renforcer l’économie tunisienne, qui est en grande difficulté. Il y aura aussi des accords commerciaux et des accords entre universités, pour que les jeunes tunisiens puissent venir étudier et travailler en Europe.

En contrepartie, l’Europe veut pouvoir renvoyer facilement vers la Tunisie des personnes qui n’ont pas droit à l’asile, même si elles ne sont pas tunisiennes. De plus, les dirigeants de l’UE veulent empêcher les gens de monter à bord des bateaux. La Tunisie doit donc assurer une meilleure sécurité aux frontières et lutter contre le trafic d’êtres humains. Il y aura 100 millions supplémentaires pour la sécurité des frontières, les opérations de sauvetage et le retour des migrants.

Meloni a également déclaré qu’elle souhaitait aider la Tunisie à demander un prêt au Fonds monétaire international. Le président tunisien Kais Saied s’était auparavant opposé à certaines des réformes douloureuses que le FMI veut en échange d’un autre prêt. « Il est cynique que l’extrême droite italienne défende la Tunisie au niveau international, tant qu’elle accepte un accord sur la migration », déclare Sami Zemni, politologue belgo-tunisien affilié à l’Université de Gand.

Comment l’accord est-il réagi?

En Tunisie, l’accord est perçu avec des sentiments mitigés, dit Zemni. Selon lui, les Tunisiens ne sont que trop conscients que c’est la façon dont Saïed légitime son pouvoir. En 2021, il a limogé le Premier ministre, mettant toute l’autorité entre ses mains. Saied peut également utiliser l’accord pour faire taire l’Europe en ce qui concerne les violations des droits de l’homme dans le pays, souligne Zemni. Amnesty International a déclaré que l’année dernière le président tunisien porte atteinte aux droits de l’homme.

La réponse de Zemni à l’accord est limpide : « L’Europe laisse la Tunisie faire une partie de son sale boulot en raison de l’échec des politiques migratoires ». Selon le politologue, un accord est facile : « Ensuite, vous exportez le côté autoritaire de l’UE vers un tiers et vous n’avez pas de fouineurs. Personne ne peut examiner de près les abus et les violations. Et l’Europe se lave les mains dans l’innocence.

Refugee Work Flanders met également en garde contre la conclusion d’accords avec des pays comme la Tunisie. Joost Depotter, coordinateur politique au Conseil flamand pour les réfugiés, « retient son souffle ». Tout d’abord parce qu’on ne sait pas maintenant ce qu’il adviendra des personnes renvoyées en Tunisie, mais aussi parce qu’un « accord sera conclu avec un régime problématique que nous soutenons et dont nous avons désormais besoin ».

Depotter comprend d’où vient l’accord : l’UE veut empêcher les États membres de rompre avec la Convention sur les réfugiés et de refuser tous les réfugiés à l’avenir. Mais il ne voit aucune solution dans les nouveaux accords de migration. « Le problème central est que dans notre système, nous tenons pour responsable le premier pays dans lequel les gens entrent. » Cela reste inchangé : même maintenant, la responsabilité incombe aux pays frontaliers. Il plaide donc pour une révision en profondeur, avec une répartition équitable entre les États membres.

Le député N-VA et ancien secrétaire d’État à l’Asile et à la Migration, Theo Francken, a répondu sur Radio 1 et Twitter. « En plus du récent accord avec la Tunisie, nous devrons conclure d’autres accords avec l’Afrique du Nord pour sauvegarder nos propres intérêts européens. C’est la seule façon d’arrêter la migration illégale.

Le cabinet de Nicole de Moor (cd&v), secrétaire d’Etat à l’Asile et à la Migration, appelle à travailler avec la Tunisie. « La migration ne peut être gérée seule, c’est pourquoi des partenariats avec des pays tiers hors Europe sont nécessaires. La situation migratoire en Tunisie est complexe car c’est un pays d’origine, de transit et de destination. Il est indispensable de travailler avec le pays pour empêcher les gens de risquer leur vie en montant dans un bateau », déclare le cabinet.





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