Que dit notre garde-robe de nous ? En ordre ou pas, tout est là : l’identité, les désirs, les doutes, les obsessions, les peurs…


Qquand Emily Cooper (Emilie à Paris) combine le désordre du travail sentimental avec la sobriété exigée par une fête brésilienne. Quand Carrie (Le sexe et la ville) veut se remonter le moral et acheter une paire de chaussures. Tandis que la garde-robe de Greer Garrison Winbury (Nicole Kidman dans la pétillante mini-série Netflix Le couple parfait) nous raconte que nous sommes face à une femme trop contrôlée qui cache ses émotions (jusqu’à un certain point).

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Peut-être que Freud ne serait pas d’accord, mais on pourrait remplacer l’analyse de l’inconscient par celle de la garde-robe. Fouillez dans le passé, pourquoi diable ? Dans l’ordre ou pas, il y a de tout là-dedans : des identités, des désirs, des doutes, des obsessions, des peurs.

Dans le dressing, entre psychologie et mode

Paola Pizza, responsable du master Psychologie de la mode et de l’image, nous guide dans un labyrinthe physique et mental. Son essai Psychologie sociale de la mode. Vêtements et identité (QuiEdit) raconte ce que l’on peut découvrir des achats passés et présents : « En choisissant une veste, une chemise, un sac, nous prenons un grand nombre de décisions et résolvons des conflits.

Décider, c’est faire face au désir de paraître meilleur et unique, mais aussi « égal » aux autres, accepté et intégré ; avec le désir d’être remarqué, et en même temps de protéger une partie d’eux-mêmes ; changer, mais aussi être cohérent ; transgressif, mais aussi conformiste. La garde-robe contient, ordonne et protège les différentes parties de notre Soi. Celui qui dit : « Je mets le premier qui arrive » choisit quand même.

Voici un exemple de « conflit ». Lorsque Bridget Jones s’apprête à sortir avec son patron, Daniel Cleaver, qu’elle aime énormément, elle a deux alternatives : mettre une nuisette en dentelle sous la petite robe noire, pour être sexy en cas d’après-dîner romantique, ou de manière plus pragmatique. , une gaine pour aplatir votre ventre. L’image publique est-elle meilleure (que d’autres verront) ou l’image privée (que Daniel verra peut-être) ?

Bridget préfère la deuxième option car, précise le sociologue Brian McNair« dans la société pornographique on finit par exister seulement si on est regardé, comme sur les podiums, donc les vêtements, les chaussures, les sacs deviennent une extension de la personnalité. » Bridget veut faire bonne impression plus aux autres qu’à Daniel.

Renée Zellweger dans « Le journal de Bridget Jones » (Webphoto).

J’achète, donc je suis

C’est pourquoi beaucoup partagent la devise «J’adore faire du shopping». «C’est une aventure, une chasse au trésor», avoue Paola Pizza. «Nous sommes des explorateurs qui échappent au quotidien banal. Au lieu de la sécurité et de la prévisibilité, nous recherchons la nouveauté et la surprise. Le shopping est une joie, un plaisir et une fierté, cela nous donne le pouvoir de sélectionner, d’évaluer et d’associeren gardant à distance les sentiments de culpabilité qui découlent de la relation entre désir et besoin (hélas, les placards sont pleins).

Chaque reçu a une signification profonde. Nous désirons le luxe et les signatures de sortir victorieuses de la comparaison avec les masses. Nous suivons les tendances car le nouveau, symbole de vie, renforce l’illusion de l’immortalité. On est séduit par le super low cost pour en obtenir plus (l’un des slogans est : « achetez comme un millionnaire »). Nous aimons le vintage car il exprime le besoin de nous différencier par un choix personnel » conclut Paola Pizza.

Lily Collins dans « Emily à Paris » (Netflix/Entertainment Pictures/ZUMAPRESS.com).

Des vêtements de caractère

Angela Mele dit (sa marque, Angela Mele Milan présenté à Bologne, dans l’exposition Winter Melody de Centergross), spécialiste du vintage et de l’upcycling depuis 1995 : «Aujourd’hui, vous risquez de sortir et de rencontrer dix autres personnes portant le même t-shirt Zara ou H&M. J’achète 500 kilos à la fois de pulls, couvertures, jeans, vestes et costumes militaires norvégiens qui viennent de Hollande et d’Allemagne.

Je les transforme avec des applications, des broderies, des plumes, des franges, des manches en tissus précieux, pour qu’elles deviennent des pièces uniques. A partir de quarante paires de jeans, j’en ai confectionné une. Avec des carreaux cette année j’ai créé des jupes portefeuille, des manteaux, des cabans, des duffel coats doublés de foulards (j’en avais 50 kilos). Une boutique à Cortina les a tous pris. »

La tenue vous aide à vous définir. Et il y a ceux qui proposent des définitions toutes faites. Donata Ceccarelli, co-fondatrice de Authentification504 a créé une capsule identitaire. La jupe est « Carismatica », le foulard « Empatica », la veste rock « Decisiva », le gilet « Radicata », la chemise « Attenta » et ainsi de suite. «Il ne suffit plus de faire de beaux vêtements, il faut leur donner un caractère dans lequel ils se reconnaissent, un moyen de s’exprimer, pas un masque. Je pense à une femme qui n’est pas obsédée par le logo, qui ne porte pas de robe à la mode si elle ne lui va pas, qui interprète librement les tendances. Elle a une garde-robe anti-anxiété, avec des pièces qui peuvent être facilement combinées et adieu le stress », assure Donata Ceccarelli.

Nicole Kidman, Greer Winbury dans « Le couple parfait » (Seacia Pavao/Netflix).

Psychologie et mode, une question de personnalité

Le changement de saison, et nous y sommes, c’est le moment de véritéun véritable rite de passage. Réorganiser, jeter, choisir célèbre notre « renaissance ». On regarde l’intérieur de l’armoire avec Paola Pizza qui le décrypte : « Ordre maniaque ? Vous exprimez ainsi l’angoisse du contrôle du monde et de votre intériorité. Séparez-vous les styles : d’un côté les robes de soirée élégantes et sexy, de l’autre les vêtements de travail sévères ? Divisez votre vie en compartiments étanches. Conservez-vous tout sous cellophane ? Vous stérilisez le contact avec plaisir.

Noir total ? Vous ne pouvez pas montrer d’émotions. Vous n’avez que des vêtements pour hommes, des tailleurs-pantalons, des chaussures plates, pas de couleur ? Mettez la féminité entre parenthèses. Une de mes patientes n’avait qu’une seule robe colorée. Magnifique, jamais porté. Acheté pendant des vacances, il l’a qualifié de « folie ». Entrepreneuse, pour être à la hauteur de son père, elle a essayé de lui ressembler : chaussures plates et pieds sur terre. Ce n’est que dans l’extraterritorialité du voyage qu’elle a réussi, pour une fois, à faire ressortir son autre moi. »

Que dit la garde-robe d’elle-même ?

Passons à autre chose. Que révèle une garde-robe aux looks déjà completschemise-jupe-veste-ceinture-sac ? «Anxiété, insécurité, quête de perfection. Ou même un vide émotionnel. » Et celui où tout est en désordre et où on ne trouve jamais rien ? «Indécision, peur de se confronter à ses choix». Les vêtements sont une ou deux tailles plus petites, vais-je quand même perdre du poids ? « Projet masochiste. Je souffre de ce que je n’ai pas (le poids idéal) : la robe fourreau taille 42 me rappelle mon insuffisance. »

Et l’oversize ? Maintenant, c’est à la mode… « Il ne s’agit pas seulement de cacher un corps avec lequel on se sent mal à l’aise (hanches larges, poitrine trop importante) mais de prendre plus de place. Donald Trump porte des pantalons et des vestes amples, des épaules dégagées : cela « augmente » sa présence. »

Sarah Jessica Parker dans « Sex And The City » (Capital Pictures).

Une garde-robe adaptée aux saisons

Il y a aussi une explication pour celle qui garde des minijupes de lycéennes et des pantalons vieux de vingt ans (mais ça ne leur va pas…). «Il refuse d’abandonner son identité passée, il n’accepte pas le changement. Je lui conseillerais de photographier ses tenues préférées et ensuite de les laisser partir. » Dans le jugement, il faut aussi tenir compte du climat que crée un peu de confusion et d’un certain nomadisme.

« Il n’y a plus de saisons intermédiaires, on voyage d’un bout à l’autre du monde, ici c’est l’hiver, là c’est l’été, donc une garde-robe où l’on retrouve le top en soie et le pull en cachemire n’appartient pas forcément à une femme indécise et désorganisée. Au contrairea ce qu’il faut, quelle que soit l’occasion » il dit Giovanni Gerosaartiste, styliste, artisan qui bouleverse les Birkenstock à coup de broderies, de peintures, de pierres de couleurs, et théorise un vestiaire saisonnier. Et c’est finalement le plus grand équilibre psychologique. Ne dites jamais le fatidique : « Oh mon Dieu, je n’ai rien à me mettre ! ».

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