"Quand tu lis un livre, tu es une passoire et les pages sont l’eau de la rivière"…


CJe voulais vraiment qu’un jeune Gen Z avec une approche philosophique comme mon fils me réconforte sur le fait que tout n’est pas perdu. Si j’ai déjà oublié le nom de la série télé qui vient de commencerce n’est pas parce que j’ai dépassé un coin d’anniversaire dangereux.

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Si je ne me souviens pas du titre du livre que j’avais écrit pour l’acheter – mais je ne me souviens pas où -, cela ne veut pas dire que j’ai dépassé mon allocation de gigaoctets de mémoire et que je suis obligé de vivre dans l’oubli, sans même un lambeau de nuage de rechange.

Si je prends un livre pour le remettre et que je regarde la couverture, je comprends que oui, je l’ai lu, et oui, je l’ai même aimé, mais je ne me souviens plus de rien, de l’intrigue, des personnages, du décor, du black-out, cette absence aliénante n’est pas le signe précoce d’une maladie dégénérative qui progresse à un rythme rapide.

Danda Santini, réalisatrice de « iO Donna » (photo de Carlo Furgeri Gilbert).

Ma jeune génération Z me l’a expliqué, en traquant un soi-disant apologiste du Zen sur son téléphone. Où, à l’étudiant qui demande à quoi ça sert de lire si ensuite on oublie tout, le Maître répond étonnamment qu’il a soif et demande de lui apporter de l’eau de la rivière voisine avec un vieux tamis.

L’étudiant, obéissant comme le sont toujours les étudiants dans les apologues, essaie, mais en vain, quelle que soit la vitesse à laquelle il essaie de courir. Après une dizaine de tentatives d’automutilation, il se dénonce : « Pardonnez-moi Maître, j’ai échoué dans ma tâche ». Et le Maître, avec une lenteur pensive : « Regardez le tamis : il était sale et vous l’avez nettoyé en filtrant l’eau ».

Les livres restent dans la mémoire

Et voici l’enseignement, dans la pureté : « Quand tu lis un livre, tu es une passoire et les pages sont l’eau de la rivière. Peu importe si vous ne parvenez pas à garder toute l’eau qui coule dans votre mémoire. Les livres, avec leurs idées, leurs émotions, leurs connaissances et leurs vérités, purifieront votre esprit et vous renouvelleront à chaque fois.

Les livres laissent toujours une trace dans la mémoire de ceux qui les lisent (illustration de Cinzia Zenocchini).

Les histoires zen ou transmises comme telles, à l’ère des fake news, me laissent toujours dubitative. Avec une petite recherche je découvre que l’apologue est polynésien (cela me rend un peu plus curieux) et qu’il fait partie d’une série de cheminements spirituels vers la sérénité (et là le sceptique en moi suspend son jugement). Mais j’avoue que je me sens un peu plus calme.

Toutes les Anne Karénine qui m’ont traversé, avec intensité et profondeur, pendant une courte période de ma vie, puis s’en sont allées, comme des fantômes, on ne sait où, ne sont pas passées en vain. Dans ce tamis qu’est ma mémoire, des fragments de leur splendeur brillent encore.

iO Donna © TOUS DROITS RÉSERVÉS



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