« Poutine peut également provoquer militairement les États membres de l’OTAN » : une alliance entre la Russie et l’Iran change-t-elle la donne ?


L’intensification de la coopération militaire entre la Russie et l’Iran pourrait avoir des conséquences considérables. « Si Poutine s’estime suffisamment fort, il est également capable de provoquer militairement les membres européens de l’OTAN », prévient l’ancien ministre ukrainien des Affaires étrangères Pavlo Klimkin dans un entretien avec Le matin.

Martin Rabaey

Alors que l’Union européenne et les États-Unis se concentrent sur des discussions internes sur le montant du soutien à l’Ukraine et à Israël, la Russie et l’Iran ne restent pas les bras croisés. Tous deux ont récemment conclu des accords militaires de grande envergure. Par exemple, le Kremlin a décidé de fournir à l’Iran des avions de combat Sukhoi-SU-35 et des hélicoptères d’attaque Mi-28, après avoir précédemment fourni des missiles anti-navires au mouvement pro-iranien Hezbollah. En échange, l’Iran fournit aux Russes davantage de drones kamikaze Shahed, ainsi que leur conception, afin que la Russie puisse les produire elle-même.

Selon Pavlo Klimkin, ancien ministre ukrainien des Affaires étrangères (2014-2019), des livraisons d’armes encore plus importantes sont en préparation. « Il y a des discussions sur les livraisons par l’Iran de missiles balistiques et peut-être même de missiles de croisière à la Russie », a-t-il déclaré. « Il s’agit d’une menace fondamentale pour nous, en Ukraine et pour nos voisins européens, car nous sommes désormais attaqués par des drones iraniens presque toutes les nuits. Mais pour l’Europe aussi, la présence occidentale au Moyen-Orient et en Israël modifie l’équilibre des pouvoirs. L’Iran deviendra beaucoup plus résilient en cas d’escalade grâce aux nouveaux avions de combat et hélicoptères russes. Ils étaient déjà présents dans de nombreux pays (comme la Syrie, l’Irak et le Liban, MR) présents avec des milices, ils acquerront bientôt aussi le pouvoir dur de la supériorité aérienne.

Klimkin souligne que la coopération va bien au-delà des ordres militaires. « Ils dépendent les uns des autres et coordonnent de plus en plus leurs politiques. Les Russes utilisent les Iraniens et les Iraniens utilisent les Russes. L’Occident doit considérer cela comme un nouveau facteur fondamental pour l’orientation de sa politique étrangère et de défense.»

Un exemple frappant est celui de la manière dont, depuis la guerre à Gaza, l’Iran a vu des navires de guerre et marchands occidentaux en mer Rouge essuyer les tirs des rebelles Houthis du Yémen. Même samedi, la frégate française Languedoc a essuyé des tirs. Les deux drones iraniens utilisés ont été neutralisés. Selon Klimkin, ce type d’actions fait également le jeu de la Russie. « Nous ne savons pas s’il s’agit d’une action commune, mais leur politique consiste à se coordonner les uns avec les autres. »

Un autre exemple est la façon dont les deux échangent leurs expériences sur le contournement des sanctions, notamment dans la mer Rouge, que les Russes et les Iraniens utilisent pour le transit des exportations de pétrole sanctionnées par l’Europe ou les États-Unis. Klimkin : « Il est crucial pour les deux pays de vendre leur pétrole et de gagner de l’argent. Ils s’entraident pour y parvenir, soutenus par des acheteurs comme la Chine.

Pavlo Klimkin : « On ne peut pas exclure qu’un jour Poutine provoque également militairement les États membres de l’OTAN. »Image EPA

Des sanctions étanches

Selon Klimkin, l’UE doit faire davantage pour rendre les sanctions plus étanches et punir plus rapidement les contrevenants. Par exemple, les avions de combat SU-35 sont toujours produits grâce à des pièces de machines provenant d’une entreprise japonaise qui travaille via une succursale russe à Oulianovsk, avec des sous-traitants allemands et suisses.

Selon l’ancien ministre des Affaires étrangères, il sera d’une importance vitale pour l’Europe et les États-Unis d’anticiper les conséquences géostratégiques d’une alliance russo-iranienne visant à projeter la puissance du Moyen-Orient jusqu’aux mers Caspienne, Noire et Méditerranée.

« L’Europe a besoin d’un modèle de sécurité renouvelé, c’est clair. Elle doit continuer de s’appuyer sur la coopération transatlantique, mais se concentrer sur les dernières menaces à 360 degrés, venant de la Russie, du Moyen-Orient et du Sahel africain. Actuellement, vous vous basez encore sur un concept de sécurité du 20e siècle, mais celui-ci doit être adapté au 21e siècle. La réflexion est déjà là, mais la préparation fait défaut. Il s’agit d’une situation complètement nouvelle et, au niveau des sociétés, cette compréhension n’existe toujours pas en Europe. Vous devez donc inclure notre expérience en Ukraine dans votre stratégie. C’est pourquoi l’Europe devrait insister sur notre adhésion à l’OTAN. J’espère également que vos dirigeants ne laisseront pas le Premier ministre hongrois Orbán bloquer nos négociations d’adhésion à l’UE et notre financement plus tard ce mois-ci. S’ils le laissent les prendre en otage, Poutine éclatera de rire, et je ne sais pas si vous voulez que cela se produise.»

Klimkin prévient que le Kremlin exploitera sans pitié tout moment de faiblesse. « Poutine continuera à provoquer, avec la force militaire, avec des activités hybrides et de la propagande. On ne peut pas exclure qu’un jour Poutine provoque également militairement les États membres de l’OTAN. A Moscou, ils ne croient pas seulement qu’ils combattent contre nous en Ukraine, mais qu’ils mènent également une guerre contre l’Occident. Si à un moment donné Poutine pense que ses nouvelles armes le rendent suffisamment fort, il est capable de provoquer militairement les membres européens de l’OTAN pour tester votre défense collective de l’article 5. (un membre de l’OTAN attaqué reçoit le soutien de tous les autres, MR). La réalité aujourd’hui est que rien n’est impossible. Pendant quelques années, mes amis européens ne me croyaient pas non plus lorsque je disais que Poutine allait nous attaquer. Donc, pour exclure une guerre, il vaut mieux se préparer à mener une guerre. « Je ne veux effrayer personne, mais il s’agit ici d’assurer la sécurité collective de l’Europe, à laquelle appartient l’Ukraine. »



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