Pourquoi serait-ce forcément un péché de ne jamais parler à quelqu’un qui a été votre partenaire ?

Récemment, j’ai rencontré un ex par hasard, mon premier ex. Nous avons bavardé pour la première fois en treize ans. L’ambiance était conviviale, drôle même. Cependant, si je me souviens bien, je m’étais débarrassé de lui assez maladroitement à l’époque. Non, ma rupture avec notre relation n’avait pas été très soignée. Heureusement, il a eu la galanterie de ne rien dire. Eh bien, nous avions brouillé avec des adolescents à l’époque. Non pas que nous nous soyons complètement levés des rives marécageuses du marécage relationnel aujourd’hui, mais nous avons acquis un certain nombre d’expériences instructives, quoique qui donnent à réfléchir.

L’ex suivant avait également réapparu de manière inattendue dans ma vie. Le rejeton gâté de la bourgeoisie d’antan était devenu un rejeton éclairé Chercheur d’âmes. De nos jours, nous prenons parfois un cours de yoga ensemble.

Avec mon dernier ex, en revanche, il n’est pas encore possible d’être en bons termes. Peut-être que d’autres années doivent s’écouler, ou peut-être que certaines fractures sont tout simplement trop douloureuses pour s’en remettre complètement. Pourtant, j’ai mis du temps à accepter ce silence radio. Je pensais que c’était un déficit moral, un défaut de caractère de ma part. En attendant, je pense différemment à cela, car pourquoi serait-il forcément dommage de ne jamais parler à quelqu’un qui a été votre partenaire? Ne se pourrait-il pas qu’une telle négation consciente de l’existence de l’autre indique une signification écrasante plutôt que son absence ?

« Tu étais tout pour moi, et maintenant je n’ai plus rien », a soupiré un ancien amant dans ces premiers mois irraisonnés après la dissolution. Quelques semaines plus tard, il avait un nouvel amant. Pourtant, je crois bien que ses paroles étaient sincères au moment de sa déclaration, ou du moins il le pensait. Moi aussi, j’ai déjà commis des vantardises similaires, puis je suis tombé amoureux de quelqu’un beaucoup plus rapidement que prévu.

Les amants possèdent, pour paraphraser feu la philosophe Patricia De Martelaere, une sorte d’indifférence passionnée. Elle leur permet de s’accrocher à l’amour, croyant avec ferveur que leur être cher est unique, sachant au fond que tout va se détacher. C’est une question de chance plutôt que de prédestination que cet bien-aimé et aucun autre soit dans notre lit. Mais cette pensée est tellement exaspérante que nous préférons ne pas l’autoriser.

Qui sait, au final, c’est peut-être la partie la plus déprimante de toute rupture amoureuse qui n’est pas la première : le souvenir de la répétition, la prise de conscience qu’il faut tout recommencer de A à Z. Même si bien sûr il faut se dire avec le prochain amoureux qu’il n’y aura plus de Z cette fois. Sinon vous êtes perdu d’avance.

En guise d’incantation, mon partenaire actuel et moi avons longuement raconté nos ruptures avant le début de notre relation ; aussi honnêtement que possible toutes nos erreurs et autres malheurs commis les uns aux autres. Il est impossible de prédire s’il nous protégera de ce bannissement maudit dans l’ombre de l’exode. Pourtant j’y crois passionnément.



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