Pourquoi les photojournalistes partent en voyage de presse de l’armée russe


Pourquoi les grandes agences de presse internationales participent-elles à un voyage pour journalistes et photographes dans la ville ukrainienne de Marioupol, organisé par l’armée russe – la même armée qui a assiégé et détruit une grande partie de la ville ? C’est important pour nous de pouvoir faire des reportages des deux côtés d’une guerre, explique le responsable photo de l’agence de presse AFP à Paris.

Pour les médias du monde entier, les agences de presse internationales sont d’importants fournisseurs d’images de la guerre en Ukraine. Mais alors que les combats à Marioupol, dans le sud-est de l’Ukraine, font rage depuis des semaines dans des conditions épouvantables pour la population civile qui n’avait pas encore fui pour survivre, rares sont les journalistes et photographes pour les couvrir.

Parfois, presque aucune image ne sortait. Mais le mardi 12 avril, les rédacteurs photo des journaux et autres médias ont soudainement vu sur leurs écrans un grand nombre de photos de Marioupol, avec une mention spéciale en légende. Une photo de soldats russes distribuant du pain à la population, par exemple. Une photo du théâtre bombardé de la ville. Une photo de soldats russes et de passants ukrainiens dans la rue (mais aucun mort ou blessé n’a été vu).

Toutes ces photos du photographe de l’AFP Alexander Nemenov disent : « Cette photo a été prise lors d’un voyage organisé par l’armée russe ».

Ne courez-vous pas le risque de faire partie de la propagande russe si vous faites un tel voyage et revenez avec de telles images ? Stéphane Arnaud, rédacteur en chef des photos à l’agence de presse AFP, défend la décision d’aller de l’avant.

« Nous avons été critiqués pour cela sur les réseaux sociaux, notamment par des journalistes ukrainiens sur Twitter. Mais c’est exactement pourquoi nous précisons dans ces légendes qu’il s’agit de photos d’un voyage organisé par l’armée russe. Il ne devrait y avoir aucun malentendu à ce sujet. »

Que les journaux et les sites Web qui publient les photos affirment également que les photos ont été créées avec l’aide de l’armée russe, le photographe et l’agence de presse n’ont rien à dire à ce sujet. Certains journaux et sites le font, d’autres non. Le NRC n’a publié aucune des photos, car « c’était une tournée de presse et nous ne voulons pas donner une image unilatérale de la situation à Marioupol », explique Natalia Toret, éditrice en chef des images du NRC.

Le plus neutre possible

« Nous pensons qu’il est important de participer à un tel voyage », explique à l’AFP Arnaud. « En tant qu’agence de presse internationale, nous devons faire des reportages des deux côtés d’une guerre. Nous pensons que nous devrions également le faire si c’est dans des circonstances restrictives. Tant que nous sommes aussi transparents que possible à ce sujet. En Syrie, nous avons également eu des rapports à la fois des rebelles et du côté du président Assad, à Damas. Pour faire notre travail, nous essayons d’être le plus neutre possible.

« Habituellement, nous nous exprimons donc le moins possible en public sur nos hommes de terrain et leur fonctionnement. Parce que travailler là-bas est déjà assez risqué, et tout ce que vous direz pourrait être interprété par l’une des parties belligérantes comme une aide à l’autre partie.

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Sur les trois jours qu’a duré le voyage de presse à Marieopol, les journalistes n’ont passé que quelques heures dans la ville détruite, raconte Arnaud – il ne peut pas dire exactement combien d’heures. « Le voyage de retour a pris beaucoup de temps. » Une vingtaine de journalistes de nationalités différentes ont participé au voyage, dont deux pour l’AFP : un photographe et un caméraman pour les captations vidéo.

« Les photographes n’étaient autorisés à photographier que dans une certaine partie de la ville par l’armée russe. Dans cette zone limitée, plus ou moins sûre, dit Arnaud, Nemenov était autorisé à photographier tout ce qu’il voulait. Avant d’envoyer ses photos à l’AFP, il n’a pas eu à les montrer aux escortes de l’armée russe. Les participants au voyage étaient «intégrés» à l’armée russe, mais cela ne signifiait pas qu’ils devaient également porter un uniforme militaire.

Dans les parties de l’Ukraine qui ne sont pas occupées par les troupes russes (la majeure partie du pays), les photographes de presse travaillent également avec des restrictions, dit Arnaud, mais celles-ci sont différentes du voyage avec l’armée russe. « Vous avez besoin d’une accréditation pour pouvoir y travailler – et celle-ci est constamment contrôlée à toutes sortes de points de contrôle. Mais à quelques exceptions près, vous êtes libre d’aller où vous voulez.

« Et ce n’était clairement pas le cas avec cette tournée à Marioupol. Là, les journalistes et photographes étaient sous le contrôle des militaires russes avec lesquels ils s’y étaient rendus. Nous avons été invités à ce voyage – nous ne savons pas pourquoi, mais nous avions déjà demandé plusieurs fois la permission de visiter Marioupol auparavant.

L’Agence européenne de presse photo (EPA) a également participé au voyage à Marioupol organisé par l’armée russe, et en fait mention dans les photos diffusées à ce sujet.

L’agence de presse Reuters n’était pas avec eux, faites-le savoir si on vous le demande. L’agence a bien distribué des photos de Marioupol la semaine dernière, mais ne dira rien sur ses photographes en Ukraine pour des raisons de sécurité.



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