La semaine dernière, à Berlin, je me suis retrouvé à attendre à un arrêt de bus tard dans la soirée. Selon l’horaire, un bus devait arriver sous peu, mais 15 minutes se sont écoulées et aucun bus n’est arrivé. Je me suis dirigé vers l’horaire imprimé et j’ai remarqué une note manuscrite collée dessus à l’encre décolorée. J’ai pu distinguer mon numéro de bus et un très long mot allemand que je n’arrivais même pas à prononcer, et encore moins à traduire. J’ai envisagé de demander à quelqu’un s’il pouvait le déchiffrer, mais au lieu de cela, je suis resté là, essayant de décider quoi faire ensuite.

Alors que je réfléchissais à prendre un Uber ou à marcher jusqu’à l’arrêt suivant, un jeune homme s’est approché de moi et m’a dit en anglais : « J’attends le 200 depuis une demi-heure maintenant. Pouvez-vous lire ce panneau ? » En un instant, nous étions tous les deux complètement inconnus et avons été liés par notre problème commun. Il a ouvert Google et m’a demandé de lire les lettres à voix haute pendant qu’il les tapait. Nous avons obtenu la traduction : l’arrêt avait été déplacé dans une autre rue. Nous avons décidé de nous y rendre à pied ensemble et avons fini par avoir une conversation intéressante sur les nouvelles, les événements mondiaux et le fait d’être des étrangers dans la ville.

Rien de tout cela n’aurait eu lieu s’il ne m’avait pas abordé. Cela m’a fait réfléchir à la raison pour laquelle je n’avais pas demandé de l’aide. C’était une situation si simple et banale. Pourtant, je ne suis pas très douée pour demander de l’aide quand j’en ai besoin. Et je ne pense pas être la seule dans ce cas. L’exemple de l’arrêt de bus est insignifiant, mais beaucoup d’entre nous ont du mal à tendre la main aux autres lorsqu’ils sont confrontés à des difficultés. Pourquoi en est-il ainsi, et que perdons-nous lorsque nous ne demandons pas d’aide ?


Je suis tellement ému par la peinture de Tracey Emin de 2007, « Essayer de te trouver 1 ». Le contour du corps nu d’une femme est peint en rouge. Elle est à genoux à quatre pattes, les coudes et les avant-bras au sol, la tête reposant sur ses bras. On sent une certaine lourdeur dans sa posture, comme si elle pouvait à peine se tenir droite. Il y a du désespoir dans ce corps et un sentiment de supplication.

« À la recherche de toi 1 » de Tracey Emin (2007) © Tracey Emin/DACS/Artimage

La toile est divisée horizontalement. La partie supérieure est de couleur crème, mais la partie inférieure, où repose la tête du personnage, est peinte en vert olive. C’est comme si elle était submergée par la boue, alourdie par tout ce qu’elle endure émotionnellement et physiquement. Je suis également frappée par le fait qu’elle soit seule dans ce moment apparent de désespoir. Et pourtant le titre est « J’essaie de te trouver ». Beaucoup d’entre nous ne tendent pas la main aux autres dans les moments où nous ressentons une détresse émotionnelle. Un élément de gêne ou de honte s’installe, nous faisant croire qu’admettre notre douleur révélerait quelque chose de profondément mauvais chez nous. Si nous croyons à ce mensonge, cela conduit alors à une autre croyance erronée : celle selon laquelle notre douleur émotionnelle et mentale nous rend moins précieux d’une certaine manière.

Je connais cette posture. J’ai connu des moments dans le passé qui m’ont fait m’effondrer comme ça, des moments où je voulais désespérément pouvoir tendre la main à quelqu’un, mais cela me semblait si difficile à faire, jusqu’à ce qu’il devienne insupportable de surmonter cette épreuve seul. Lorsque nous ne sommes pas capables de demander de l’aide, je pense que nous ajoutons à notre propre souffrance. D’une certaine manière, c’est aussi nier la réalité de ce que signifie être humain : les défis, les sentiments d’être dépassé et de souffrir font partie de la vie. Personne ne peut échapper à ces expériences, et nous avons tous besoin de personnes dans notre vie pour nous aider à traverser ces moments.


Il y a quelque chose d’intrigant Je me souviens du tableau « Un coup de main » de l’artiste français Émile Renouf, peint en 1881. Un homme âgé et un enfant, sans doute un grand-père et sa petite-fille, rament sur une mer calme, gris-bleu. La brume et le brouillard flottent dans l’air. L’homme, les mains agrippées à la rame, fait tout le travail ; les mains du jeune enfant reposent simplement sur le manche en bois.

Le grand-père se penche en arrière pour tirer la rame, à l’aise et familier avec ce qu’il fait. Le bateau de pêche et la mer sont son terrain. Il regarde la fille avec des yeux légèrement inquiets et un petit sourire. Elle est assise bien droite, les lèvres serrées et un regard lointain, quelque peu effrayé.

Peinture réaliste d'un vieil homme dans un bateau à rames avec une jeune fille, l'invitant à aider à la rame
« Un coup de main » d’Émile Renouf (1881) © Alamy

Notre enfance et notre éducation peuvent influencer de nombreuses manières la façon dont nous nous sentons lorsque nous demandons de l’aide. J’aime imaginer que, même si la fille du tableau a l’air terrifiée, elle commence aussi à apprendre une leçon précieuse. Son grand-père, l’adulte qui sait tout sur la conduite du bateau et sur la mer, lui demande de l’aide. Il n’en a pas réellement besoin, mais il lui montre qu’elle a la capacité de contribuer et que beaucoup de choses sont accomplies plus efficacement lorsque les gens s’entraident.

On apprend à beaucoup de gens que l’indépendance est un objectif à atteindre. Dans une certaine mesure, c’est vrai. On peut accomplir beaucoup de choses en prenant la responsabilité de sa propre vie et en apprenant à faire face aux défis qui se présentent. Mais je me demande si nous n’allons pas parfois trop loin et n’oublions pas la valeur et la nécessité de l’interdépendance. S’appuyer les uns sur les autres et chercher de l’aide ne sont pas des signes d’incompétence ou de faiblesse. Ce peuvent en fait être des signes de sagesse, de compassion, d’humilité et de prévoyance.

Je pense à ces rares occasions où un coureur tombe pendant une course et qu’un autre concurrent s’arrête pour l’aider. C’est toujours très émouvant à voir car pendant un instant, on voit la possibilité d’un monde dans lequel on avance en s’entraidant, plutôt qu’un monde dans lequel chacun est pour soi. Aucun d’entre nous ne peut remonter le temps et changer son enfance, mais nous pouvons nous arrêter et réfléchir à la façon dont ces expériences d’enfance pourraient jouer sur notre capacité à demander de l’aide ou à en proposer.


Dans l’œuvre « Mendiant accroupi » de Pablo Picasso de 1902, Une femme est à genoux sur le sol, le corps appuyé sur ses talons. Ses yeux sont fermés et elle est recroquevillée sur elle-même. Elle ne mendie pas activement, même si on voit qu’elle est démunie et a besoin d’aide. Avec sa jupe bleue qui lui couvre les jambes et le foulard blanc qui lui entoure le visage, elle évoque la Vierge Marie.

J’aime le fait qu’il y ait un sens du sacré dans cette peinture de quelqu’un qui a besoin d’aide. Offrir de l’aide lorsque nous remarquons que d’autres sont en détresse et nous permettre de la recevoir gracieusement de la part des autres sont des moments sacrés dans notre vie quotidienne. Lorsque nous sommes capables d’aider les autres grâce à un véritable sentiment de générosité et de compréhension de l’humanité commune, nous recevons également quelque chose en retour. Nous nous retirons, même momentanément, du centre de notre vie.

En regardant ce tableau et en imaginant cette femme au bord d’une rue, je me demande combien de fois nous pouvons avoir la réponse aux prières désespérées d’une autre personne. Chaque fois que nous nous aidons les uns les autres, nous ouvrons un portail qui nous permet d’apporter de petits miracles et des signes d’émerveillement les uns aux autres. Nos actions deviennent les éléments constitutifs de notre foi en l’humanité. C’est souvent là que tout dieu digne de ce nom apparaît, dans la chair et le sang au milieu de nos vies douloureuses.

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