Pour se prouver que son mari ne l’aime pas, une femme recherche des signes de manque d’amour et dresse des listes de "les sanctions"


LALe carnet de punitions que la femme dresse contre son mari est le coup de grâce auquel on ne s’attend pas. Les mariages des autres ressemblent toujours un peu au nôtre mais l’angoisse monte devant cette liste : des idées – j’en ai, je n’en ai pas – et vous avalez.

Maud Ventura, 28 ans, vit à Paris. Dans un grand groupe de radio il s’occupe de podcasts dans lesquels il explore la complexité du sentiment amoureux. Il sera invité le 18 septembre à PordenoneLegge (photo de Celine Nieszawer / Bridgeman Images).

« Oublier de dire bonsoir avant de s’endormir » implique de la part de sa femme « l’absence de caresses le lendemain », note-t-il dans le carnet. De même, « regarder mon portable sur le canapé du salon de façon prolongée ou répétée alors que je suis à côté (même si la télé est allumée) » implique la punition suivante : « ne réponds pas au téléphone la prochaine fois il m’appelle (ne le rappelle qu’après au moins deux appels manqués) ».

Le principe de justice réparatrice qui vous anime vise l’équité dans les relations : une fois établis les crimes et les peines les plus fréquents, que deviendra ce couple ? Mon mari (Sem) est un roman chirurgical qui tourne autour de cette question puis à lui : le conjoint. D’une manière obsessionnelle.

L’intention est de trouver des indices qu’il ne l’aime plus. Mais pour Maud Ventura, l’auteur, ainsi qu’une journaliste parisienne de 29 ans, en est aussi une autre.

Quel est?

Je voulais partager quelques questions. Quand j’ai commencé à écrire le livre, j’avais 25 ans et je me demandais : peut-on trop aimer ? Pourquoi l’amour semble-t-il changer avec le temps ? Qu’est-ce que la dépendance émotionnelle ? Quel genre de mère et d’épouse vais-je devenir si je suis aussi amoureuse dans 20 ans ?

Écrire une liste d’erreurs d’amour comme un roman est une thérapie.
Je ne pouvais pas écrire un essai ou mon histoire, c’est-à-dire celle d’une jeune femme qui allait vivre avec le garçon qu’elle aimait et se sentait triste et peu sûre d’elle. J’ai réalisé que j’avais besoin de fiction : j’adore ça, c’est puissant. C’est ainsi que j’ai créé l’histoire d’un quadragénaire qui a deux enfants, réussi, belle maison. Elle a aussi un problème : elle aime trop son mari. De manière « folle », un terme à prendre au sérieux.

La couverture du livre « Mon mari » par Maud Ventura (Sem).

Pouquoi?
Parce que la dépendance émotionnelle n’est pas un sujet à la mode aujourd’hui. Je pense qu’il est important d’écrire à ce sujet à la place. On parle tellement de féminisme, on lit des histoires de femmes qui ne veulent plus avoir besoin d’hommes, et c’est bien. Cependant, la dépendance affective existe toujours : si vous renoncez à votre vie et à vos rêves pour la personne que vous aimez, vous vous sentez seul. C’est pourquoi nous devons en parler.

La dépendance affective n’est pas l’amour.
C’est une dynamique à double sens : si vous vous sentez dépendant et en insécurité, l’autre personne le sait. Et il en profite souvent.

Existe-t-il un antidote ?
Si vous avez la bonne personne à côté de vous, vous ne vous sentez pas en insécurité. Le grand amour est facile et paisible. La vraie chose est sur la confiance et le calme.

Dans les longs mariages, l’amour change.
Je n’ai aucune expérience mais je sais que l’amour peut aussi s’approfondir avec les années. C’est pourquoi je ne pense pas qu’il soit judicieux d’idéaliser la « phase lune de miel », celle de la passion des premières années. Au fil du temps, vous apprenez à mieux vous connaître et la relation peut devenir plus sincère et plus forte. J’en ai marre des livres et des films qui ne parlent que du coup de foudre sans montrer ensuite ce qui se passe dans le temps. C’est la phase la plus intéressante : les amours durables doivent être basées sur la communication, le respect. Et de la tendresse.

Pouvez-vous être une bonne mère si vous placez l’amour pour votre mari avant tout ?
Une de mes amies d’enfance ne se souvient que de l’amour entre ses parents qui étaient avant tout un couple. Mais je me souviens n’avoir réalisé qu’après un long moment qu’ils étaient aussi des amoureux. C’est une question d’équilibre et de rôles à jouer à différents moments de la vie. Vous pouvez être une bonne mère et une femme amoureuse, une grande travailleuse et une grande amie. Peut-être pas tous en même temps, mais pas de pression.

Une sonnette d’alarme ?
Quand ton histoire d’amour rend le reste vide de sens. Il est sain d’avoir des moments et des espaces séparés. Mais communiquer est la clé. Ici, la femme ne sait pas comment faire et garde tout pour elle : les blessures qui ne cicatrisent jamais s’infectent avec le temps. L’épilogue est troublant. Je voulais amener le lecteur, à la fin, à reconsidérer toute l’histoire et lui donner une leçon que j’ai apprise.

L’art a-t-il une mission ?
Poser des questions. Je pense au livre et à la série de Sally Rooney, Personnes normales, dans lequel nous nous demandons : le désir sexuel est-il vraiment de l’amour ? Le film de Joachim Lafosse, Les Intranquillesse demande comment aimer quelqu’un qui a des problèmes mentaux…

En parlant de la liste, il semble qu’au moins une erreur porte notre signature.
Au moins un que nous avons commis, même inconsciemment. On a froid si l’autre est rentré tard de la soirée entre amis la veille, non ?

Obsessions et compromis sont les maîtres mots d’un mariage dans le roman. Son?
Communication et connaissance de soi. Parlez-vous, essayez de comprendre ce qui vous rend vraiment heureux et ce qui vous dérange et pourquoi. Le mien n’est pas un livre contre le mariage, mais un souhait de trouver un amour sans tension, qui se déroule paisiblement. Et quand je me marierai, je vous mettrai au courant.

iO Donna © REPRODUCTION RÉSERVÉE



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