Les demi-finales de la Conference League dans lesquelles l’Olympique de Marseille affronte Feyenoord seraient normalement l’un des moments les plus importants de l’année pour le fan de l’Olympique Bastien Dumas-Paoli (32 ans). Dans ‘son’ métier, Tribune Ganay de l’énorme Stade Vélodrome, il serait bras dessus bras dessous marseillais encourager son club dans la lutte contre le club de Rotterdam. Mais ce jeudi 5 mai, il n’est volontairement pas à Marseille et ne suivra même pas le match à la télévision.

« Je ne pouvais pas supporter ça », confie Dumas-Paoli à deux jours du match après une conférence de presse dans une salle du stade Vélodrome. Dumas-Paoli est un grand homme aux boucles brunes, vêtu d’une chemise bleu foncé; les membres de sa famille présents portent également des vêtements sombres. Dumas-Paoli ne supporte pas de suivre le match car « le football, c’est la fête », alors que le 5 mai est pour lui un jour de deuil.

Le fan de football est le fils du journaliste sportif Jean-Baptiste Dumas, l’une des victimes du drame dit de Furiani. Cela s’est déroulé le 5 mai 1992 au stade de la ville corse de Furiani lors de la demi-finale de la Coupe de France entre le SC Bastia et l’Olympique de Marseille. Quelques minutes avant le début du match – les tribunes étaient pleines – une tribune temporaire mal construite s’est effondrée et les plus de neuf mille personnes assises dessus sont tombées au sol. Certains sont tombés de cinquante pieds. Dix-huit personnes ont été tuées et plus de 2 300 ont été blessées dans la pire catastrophe de l’histoire du football français. Parmi les victimes figuraient des dizaines de journalistes assis dans la tribune de la presse.

Vestiges de la tribune effondrée de la ville de Furiani en Corse. Là, le 5 mai 1992, 18 personnes ont été tuées et 2 300 ont été blessées.
Photo Gamma-Rapho/Getty Images

« Silence de la mort »

Certaines des victimes sont présentes à la conférence de presse de l’Olympique à deux jours du retour des demi-finales de la Conférence League, que le club a organisé pour prêter attention à la catastrophe. Deux journalistes aujourd’hui à la retraite au visage habité et aux cheveux gris se saluent avec deux baisers et se remémorent doucement les cris lancés par l’effondrement et le « silence de la mort » qui a suivi. L’ancien joueur de l’Olympique de Marseille Daniel Xuereb (62 ans) raconte comment il a vu l’échafaudage imploser depuis le terrain. « J’ai vu des choses terribles qui m’ont marqué pendant longtemps », a déclaré Xuereb, un homme bien soigné tout de bleu vêtu. « Heureusement, j’étais proche de la fin de ma carrière, car reprendre le football a été très difficile pour moi. »

Pour ces personnes, le 5 mai est un jour de deuil depuis trente ans. Depuis 2011, une partie des proches et des victimes, réunis au sein du Collectif des victimes (dont Dumas-Paoli est vice-président), se sont engagés pour la reconnaissance du drame. Cette année-là, le collectif a lancé une pétition pour l’interdiction des matchs de football le 5 mai – ce qui leur a été dit peu après le drame du président de l’époque, François Mitterrand. a été promisOn ne rejouera plus au pied un 5 mai», disait-il à l’époque lors d’une visite aux victimes à l’hôpital de Marseille.

« Nous nous battons depuis des années pour que cette promesse soit tenue », déclare Dumas-Paoli. « L’objectif principal est que le drame ne soit pas oublié, que les générations futures soient conscientes de ce qui s’est passé. » D’innombrables erreurs ont été commises lors de la construction de la tribune temporaire à Furiani et un rapport d’inspection a été rédigé frauduleusement afin de réaliser rapidement et à moindre coût une tribune extra large et ainsi vendre plus de billets. L’échafaudage a été construit en quelques jours et s’est appuyé sur un certain nombre de points essentiels sur des tas de bois de rebut. « Je ne voulais pas croire ça au début », confie la victime et ex-journaliste Jean-Paul Delhoume (75 ans) après la conférence de presse. Delhoume, dont les yeux larmoyants sont magnifiés par des verres épais aux montures à l’ancienne, a chuté de plus de dix mètres lors de l’effondrement et s’est grièvement blessé. « J’ai pensé : ce n’est pas possible, ils ne sont pas fous après tout. Mais ils étaient fous. Fou et meurtrier.

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Delhoume craint que le désir de solutions bon marché ne conduise plus souvent à des accidents graves. « Tout n’est qu’une question d’argent. Cette tribune n’aurait jamais dû être là. Cela a été décidé par le juge, qui a prononcé des peines de prison contre les responsables. Dumas-Paoli craint également une répétition et pointe des problèmes avec d’autres stades en France et à l’étranger, comme le tribune à Amiens qui s’est en partie effondré en 2017 et les toits des stades néerlandais qui se sont avérés peu fiables. « Nous devons éviter que d’innombrables familles n’aient à pleurer une catastrophe qui aurait pu être évitée à nouveau. »

Interdiction légale

Pendant un instant, il a semblé que le monde du football français pleurerait collectivement pour la première fois cette année avec les victimes de « Furiani ». Après des années de lobbying infructueux auprès de la Fédération française de football et des clubs, le collectif de victimes a réussi à remporter une victoire judiciaire : en octobre 2021, le Sénat a voté le 5 mai une loi interdisant le déroulement des matchs de football en France. « Avec l’arrivée de cette loi, nous avions enfin atteint notre objectif », explique la présidente du collectif Josepha Guidicielli (34 ans), qui, comme Dumas-Paoli, a perdu son père dans l’effondrement de la tribune. Elle porte des vêtements noirs lors de la conférence de presse dans le stade, seules ses baskets sont blanches. « Grâce à la loi, nous pouvons commémorer de manière plus sereine. »

Membres du collectif des victimes dans le stade de l’Olympique de Marseille.
Photo Nicolas Serve

Mais cette semaine un match aura lieu le 5 mai. C’est en partie possible car la loi ne s’applique pas aux compétitions européennes. « C’est très malheureux », déclare Guidicielli. Dumas-Paoli est plus franc : « En tant qu’abonné, j’ai reçu le calendrier il y a quelques semaines et j’ai été dévasté quand j’ai vu que ce match aurait lieu le 5 mai », raconte-t-il les yeux écarquillés. « Honnêtement : comment est-il possible qu’au trentième anniversaire de la catastrophe il y ait un match et aussi Marseille, le club directement impliqué dans la catastrophe ? »

Dumas-Paoli trouve non seulement ennuyeux que le match coïncide avec la commémoration, mais il craint aussi que cela puisse contribuer à la drame-Furiani tombe dans l’oubli. « Je suis peut-être un peu optimiste, mais supposons que l’OM gagne 5-0 ou 6-0. Ensuite, tout le monde se souviendra du 5 mai comme du jour où nous avons vaincu Feyenoord, alors cela deviendra le symbole de la journée.

Le collectif a donc demandé à l’UEFA de déplacer le match, mais cela ne serait pas possible. L’Association européenne de football a bien accepté une proposition de l’Olympique de Marseille de respecter une minute de silence avant le match et de jouer avec des bandes de deuil, a annoncé mardi le club en conférence de presse.

Le collectif de victimes aurait préféré ne pas avoir de match du tout, mais se réjouit du geste. Dumas-Paoli estime que cela crée un espace pour « la mémoire, le deuil, la tristesse » dans le monde festif du football. Lui-même sera en Corse jeudi, avec Guidicielli et d’autres proches, pour une série d’activités commémoratives. S’il ne suivra pas le match contre Feyenoord, il espère que « son » Olympique de Marseille ira en finale. « Ensuite, j’irai regarder, puis j’irai peut-être même au match. Mais le 5 mai, non.



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