Plus d’armée ni de monnaie : Poutine veut annexer complètement la Biélorussie, selon un document du Kremlin divulgué


Une monnaie unifiée, des troupes russes sur le territoire biélorusse, plus de commandement militaire, des passeports russes gratuits et une nouvelle « Union de la Russie et de la Biélorussie » d’ici 2030. Un document secret du Kremlin, qui a maintenant fait l’objet d’une fuite, explique en détail comment la Russie veut prendre progressivement le contrôle de la Biélorussie voisine dans les années à venir.

Tommy Thijs

Le document de 17 pages est intitulé « Objectifs stratégiques pour la Fédération de Russie en Biélorussie », qui décrit étape par étape comment le voisin russe devrait être abordé dans les années à venir. Un consortium de recherche composé de médias d’opposition allemands, américains, suédois et biélorusses, entre autres, a pu consulter et analyser le document. Son authenticité a été confirmée par des sources de renseignement occidentales.

Pour trois dates, 2022, 2025 et 2030, des objectifs économiques, sociaux, humanitaires, culturels et surtout militaires sont décrits. Les lois doivent être harmonisées pour que les deux pays soient de plus en plus sur le même pied. Par exemple, il devrait y avoir progressivement un garde-frontière unifié, mais aussi plus de coopération entre les institutions culturelles biélorusses et russes (voir encadré). L’objectif final est la création d’un nouvel État unitaire entre la Russie et la Biélorussie.

Quelques mesures du plan

2022

• Opposition collective à l’élargissement de l’OTAN et à ses préparatifs militaires en Pologne et dans les pays baltes
• Prolongation de l’accord sur l’utilisation gratuite des bases russes en Biélorussie
• Exercices militaro-tactiques conjoints pour les forces armées de la Russie et de la Biélorussie
• Suppression des barrières commerciales et interdiction de la discrimination à l’encontre des entreprises et des producteurs russes en Biélorussie

2025

• Introduction d’une procédure simplifiée pour la délivrance de passeports russes aux citoyens biélorusses
• Renforcement de la position des médias russes en Biélorussie
• Intégration des systèmes d’énergie, de transport et de communication

2030

• Mise en œuvre d’une politique frontalière commune et d’une politique étrangère de défense coordonnée
• Un espace culturel unique et une approche commune du passé historique
• Introduction d’un système monétaire commun, d’un espace douanier et fiscal commun et d’un régime uniforme de contrôle des exportations

Les plans ont déjà été réalisés à l’été 2021 par le Direction présidentielle de la coopération transfrontalière, un service russe créé il y a cinq ans au sein du cabinet du président Vladimir Poutine. Le service se compose principalement d’officiers du renseignement et de la sécurité et est chargé d’exercer un contrôle sur les pays que la Russie souhaite maintenir dans sa sphère d’influence. Outre la Biélorussie, il concerne également les États baltes d’Estonie, de Lettonie et de Lituanie, ainsi que l’Ukraine et la Moldavie.

De ces six pays, la Biélorussie est le seul à avoir gardé les yeux sur la Russie après l’implosion de l’Union soviétique au début des années 1990. Surtout ces dernières années, le président Alexandre Loukachenko, au pouvoir depuis 1994 et communément appelé « le dernier dictateur d’Europe », est devenu de plus en plus dépendant de son grand voisin. Les manifestations qui ont suivi les élections de 2020 n’ont pu être violemment réprimées qu’avec l’aide des forces de sécurité de Moscou. Des milliers de personnes ont été emprisonnées, des membres de l’opposition déportés.

À l’été 2020, la population biélorusse s’est révoltée contre les résultats des élections présidentielles, ce qui a donné à Loukachenko une autre victoire monstre. Les protestations ont finalement été écrasées de manière sanglante.Image AEP

Soumission

Selon Martin Kragh, chercheur principal à l’Institut suédois des affaires étrangères à Stockholm, qui a eu accès au document, le plan russe est pleinement conforme à la politique de Poutine des deux dernières décennies. « En gros, cela signifie que la Biélorussie est en train d’être intégrée à la Russie », déclare-t-il dans le journal suédois Exprimer. « Dans tous les domaines politiques, c’est la Biélorussie qui doit se soumettre à la Russie et en devenir de plus en plus dépendante. Soit dit en passant, la Russie avait à l’origine le même objectif avec l’Ukraine. Il y a vingt ans, la Russie tentait déjà de rapprocher ce pays de sa sphère d’influence. Ce n’est que lorsque cela a échoué que Poutine a eu recours au pouvoir militaire.

Un important moyen d’intégration, selon le document divulgué, est la distribution de passeports à partir de 2025, une stratégie que la Russie déploie depuis 2014 dans le Donbass, dans l’est de l’Ukraine. En donnant massivement aux résidents la nationalité russe, le Kremlin pouvait dire qu’il devait défendre les droits de ses citoyens prétendument réprimés.

Retard

Un certain nombre de mesures semblent avoir été retardées par la guerre en Ukraine, tandis que d’autres viennent d’être accélérées. Par exemple, les deux pays coopèrent déjà intensivement dans le domaine militaire aujourd’hui, et l’armée russe a utilisé la Biélorussie le 24 février 2022 comme tremplin pour l’invasion du nord de l’Ukraine et de la capitale Kiev.

Loukachenko ne semble pas disposé à participer officiellement à la guerre pour le moment, compte tenu de sa faible popularité parmi la population. Officiellement, il semble que la Russie n’ait jamais demandé à son voisin d’envoyer des troupes et que la Biélorussie n’entrera en guerre que si elle est attaquée.

Pourtant, les tensions montent et le ministère biélorusse de la Défense a accusé ce matin l’Ukraine de « provocations militaires » qui font peser une « menace directe » sur le pays. Il y aurait des « mesures adéquates » contre « l’accumulation importante de troupes ukrainiennes à la frontière ». Le nombre d’exercices militaires conjoints augmentera encore pour atteindre 150 cette année.



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