Pianiste et chef d’orchestre, elle explique pourquoi les femmes restent peu nombreuses dans ce métier et pourquoi « Tár » avec la star australienne est un film anachronique, pour le meilleur ou pour le pire…


« DEnfant, je mettais des CD sur ma chaîne hi-fi et je passais mes soirées avec une baguette magique imaginaire à la main. Un désir inexprimé, à force de le refouler, ressort avec plus d’énergie…». Et effectivement à 35 ans Vanessa Benelli Moselle – déjà enfant prodige du piano – aujourd’hui, elle est également chef d’orchestre. « Bien sûr, vous pouvez m’appeler directeur, pas directeur ! Sinon les peintres, les écrivains ?» des rires pendant une pause de la tournée en Allemagne (le 18 février ils seront à Brême, le 25 à Bonn), cette Allemagne qui joua un rôle déterminant dans son éducation : elle fut l’élève du compositeur allemand Karlheinz Stockhausen. «À l’étranger, tout le monde m’appelle « professeur » et non « maestro »: ce n’est qu’en italien que cela peut être trompeur car il est associé aux enseignants du primaire».

« Nous ne sommes pas des autocrates »

Vanessa Benelli Mosell sur le podium (photo Peter Adamik).

Qu’est-ce que le podium apporte de plus que la performance en solo ? «Après 30 ans de vie sur scène (il fait ses débuts dans la chorale d’enfants, éd), 30 ans de répertoire pour piano, 30 ans de collaborations, j’ai tellement de musique que je peux communiquer et partager avec les autres. J’aime me sentir responsable de l’orchestre, coordonner le travail de chacun pendant les répétitions : le concert n’est qu’un moment, j’aime surtout la préparation derrière » répond-il avec l’incomparable accent toscan (elle est née à Prato et vient d’y revenir après 16 ans passés à l’étranger entre Moscou, Londres et Paris).

« On a souvent cette vision du réalisateur en autocrate, en réalité ce pouvoir apparemment concentré en une seule personne se transforme vite en impuissance si les musiciens ne sont pas convaincus de ce que vous dites et de ce que vous faites. L’expérience est collective, celui qui a la baguette n’est là que pour inspirer, interpréter, aider. La grande différence avec le passé, c’est qu’après les recherches philologiques qui ont eu lieu depuis un demi-siècle, on ne peut plus le donner à boire à l’orchestre».

Sanremo, la preuve

Comme modèles, Benelli Mosell (« Mosell est le nom de famille alsacien de ma mère ») indique Claudio Abbado et Daniel Harding, parmi les femmes l’Américaine Karina Canellakis (devenu en 2018 le premier chef d’orchestre d’un orchestre hollandais) et lituanien Mirga Gražinytė-Tyla. « Cependant, le genre n’influence pas la mise en scène : beaucoup d’hommes ont un geste doux (toujours en supposant que la « douceur » est une caractéristique féminine) et beaucoup d’entre nous ont un geste plus marqué. Pour moi, en tant que pianiste, ils m’ont souvent dit : « Vous avez un son plus incisif que beaucoup de vos collègues masculins ». Cela dépend de la chanson… Je ne dirais pas trop parce que je ne les connais pas personnellement, mais selon certains musiciens, Marine Alsop et Simone Young ont une grande décision».

Pourquoi est-ce encore un métier « masculin » ? 97 pour cent des chefs d’orchestre sont des hommes et même dans un événement pop comme le Festival de Sanremo, il n’y avait qu’une présence féminine sur 28. »Peut-être parce que les femmes n’ont pas été suffisamment encouragées à occuper des postes de pouvoir, on ne leur a pas fait suffisamment confiance : la nouvelle génération rachète celles qui, par le passé, auraient pu diriger des orchestres. Comme il aurait pu diriger des entreprises : l’écart concerne tous les rôles de pouvoir. Nous avons enfin découvert que nous pouvions tout faire, et le faire très bien».

« Une question de respect »

Vanessa Benelli Mosell lors de sa tournée en Allemagne (photo Peter Adamik).

Qu’en pensez-vous Le goudron? « Par certains côtés, chapeu ! Cate Blanchett est aussi très crédible techniquement (j’ai entendu dire par des collègues qu’elle avait pris des cours de direction d’orchestre) et la représentation de notre environnement et de notre monde est plus que véridique. Je ne me reconnais pas en elle cependant, car j’aime créer un environnement de travail où le respect règne, et puis certaines parties sont exagérées… Comme quand elle tombe du podium, je ne pense pas que ce soit jamais arrivé : si vous y arrivez c’est parce que vous savez dominer vos émotions et garder le contrôle sur vous-même et sur la situation. Je ne pense pas que je pourrais jamais devenir anxieux ou paniqué. En général, cependant, je trouve le film anachronique, pour le meilleur ou pour le pire. Pour le bien : le fait qu’elle soit une réalisatrice est supposé être tout à fait naturel et on sait que ce n’est pas exactement le cas, même si cet objectif est proche. Dans « le mal » : on en est encore au stéréotype de conducteur autoritaire. Il faut de l’autorité, oui, et on ne la gagne qu’avec de la préparation ».

Merci Daniel Harding

Quel parcours avez-vous suivi pour passer à la direction ? «J’ai étudié pendant deux ans à Strasbourg avec Luca Pfaff (chef d’orchestre franco-suisse de 76 ans, éd): il m’a tout appris, la « grammaire », à commencer par comment tenir la baguette en main. Cependant, une fois les bases techniques assimilées, il faut les oublier, sinon on risque de devenir trop académique… Alors j’ai pu apprendre en direct par de grands amis réalisateurs comme Daniel Hardingce qui m’a permis de le suivre à Vienne, Berlin, Munich, Christian Macelaru de l’Orchestre National de France, Mikko Franck. Diplôme de direction d’orchestre dans la véranda est relativement nouveaupersonne ne l’avait dans le passé».

Un mantra optimiste

Vanessa Benelli Mosell (photo Antonio Nieddu).

Mais comment votre voyage musical a-t-il commencé ? «Avec un instant de foudre: à l’âge de quatre ans j’ai vu le Boris Godounov au Maggio Fiorentino (je jouais déjà : mes parents m’ont emmené chez un professeur de piano quand j’avais trois ans) et les enfants sur scène m’ont enthousiasmé. J’ai demandé à ma mère de m’inscrire dans la chorale Guido Monaco à Prato (celle-là même que j’admirais, à l’époque le Maggio n’avait pas de chorale d’enfants) et j’ai donc tout de suite commencé à faire l’expérience de la scène, des répétitions avec l’orchestre, avec des solistes… À l’âge de sept ans, j’ai été admis à l’Académie d’Imola, à neuf ans mon premier concert en tant que soliste, à onze mes débuts à New York. Fondamental ont été la rencontre avec Stockhausen en 2006, les études au Conservatoire de Moscou et al Royal College of Music, Londres ».

Y a-t-il un mantra qui vous a accompagné au fil du temps ? « Oui, très optimiste : »Tout va pour le mieux”, Tout se passe pour le mieux…».

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