Père John Misty / Chloë et le 20e siècle suivant


Josh Tillman, alias Father John Misty, veut écrire et jouer dans une vieille comédie musicale de Broadway. Ou plutôt, il aspire à être Randy Newman. Non, ce qu’il veut vraiment, c’est être Harry Nilsson. Ou mieux encore : Harry Nilsson chantant Randy Newman. Ou tout cela à la fois.

C’est l’impression que donne ‘Chloë And The Next 20th Century’. Il n’y a pratiquement pas de guitares ici; presque tout est piano, batterie brossée et arrangements de cordes. Josh Tillman a toujours aspiré à reproduire le fort songbook de l’auteur américain des années 70, celui qui allie classicisme et roots. Seulement cette fois, il a essayé… trop fort.

Et bien que ce soit l’esprit Randy Newman qui flotte sur tout l’album, le début peut être déroutant. ‘Chloë’ voyage encore plus loin dans le temps, c’est du jazz théâtral élégant des années 30-40. Mais les années 70 apparaissent tout de suite : ‘Goodbye Mr. Blue’, où Tillman tourne impitoyablement la version de Nilsson de ‘Everybody’s Talking’. C’est joli par sa clarté, ses ponctuations… mais ça finit par s’ennuyer parce que, justement, ça ressemble trop à ‘Everybody’s Talking’, mais sans son éclat final. Et cela rend l’écoute frustrante.

La chose se ranime en ‘Embrasse-moi (je t’aime)‘, ballade tendre, classique et amoureuse, avec la voix de Josh quelque peu altérée. ‘(Everything But) Her Love’ rappelle les dernières chansons de McCartney avec les Beatles, mais ça marche toujours. Captivante aussi est la douceur mélancolique de ‘Buddy’s Rendezvous’, avec ses inflexions d’Elton John dans le beau refrain, avec cette dérive au gré des vents et des arrangements de cordes.

A partir de là, la matière devient lourde : tout est très joli, très élégant et très… anodin. Josh Tillman nous rappelle à chaque instant à quel point il chante bien et à quel point il est beau ; La production de Jonathan Wilson est exquise. Même la bossa ‘Olvidado (Otro Momento)’ et son refrain en espagnol peuvent même être amusants… Mais, hélas. Les thèmes manquent de punch pour être non seulement agréables, mais aussi mémorables. Et dans le cas de ‘Chloë’, aussi somptueux que soit tout, vous aspirez à ce que la comédie musicale se termine une fois pour toutes.

Il faudra attendre le dernier numéro, ‘The Next 20th Century’, pour retrouver l’intérêt pour l’intrigue. Les paroles parviennent à unir le cryptique à l’historique et à l’ironique, ce que Tilllman n’atteint pas tout à fait dans le reste de l’album. Il y règne une ambiance qui fait craquer grâce à des synthés un peu eighties, le suspens créé par ses petits crescendos de cordes qui explosent en guitares et castagnettes et les inflexions de voix de Josh. Car, au lieu de vouloir nous choquer, cette fois Tillman se laisse emporter par la chanson. « The Next 20th Century » nous donne bien plus que toutes les chansons qui l’ont précédé : il nous donne le mystère, il nous donne la personnalité, il nous donne l’élan que nous attendons d’un disque de Father John Misty.

Josh Tillman semble très à l’aise dans ce classicisme, rendant hommage à ses idoles. Mais la passion et le caractère vous manquent. Ce n’est pas mal d’essayer d’imiter les parents: qui semble être le leur, mérite l’honneur, etc. Mais il y a une ligne fine entre ne pas cacher vos influences et simplement les imiter, en laissant un morceau de votre personnalité se mettre en travers de votre chemin.



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