Paul De Grauwe sur la hausse historique des taux d’intérêt de la BCE : « Les banques devront augmenter les taux d’épargne »


Avec la plus forte hausse de taux depuis plus de vingt ans, la Banque centrale européenne montre qu’elle prend au sérieux la lutte contre l’inflation. Dans le même temps, le risque de récession et de difficultés pour les pays du Sud augmente à nouveau. « Si ces pays devaient se retrouver en crise, cela aurait des conséquences néfastes pour l’ensemble de l’Union européenne », prévient l’économiste Paul De Grauwe de la London School of Economics.

Jorn Lelong8 septembre 202217:33

La Banque centrale européenne se prépare à lutter contre l’inflation. En juillet, elle a relevé les taux d’intérêt de 50 points de base pour la première fois en onze ans, maintenant elle les relève encore de 75 points de base. Il s’agit de la plus forte augmentation des taux d’intérêt depuis l’introduction de l’euro en 1999. Cette augmentation rend l’emprunt plus cher pour les entreprises et les citoyens, reporte les investissements et diminue la demande. Cela devrait refroidir l’économie, bien que la présidente de la BCE, Christine Lagarde, ait immédiatement ajouté que la banque centrale prévoyait de relever davantage les taux d’intérêt dans les mois à venir.

La crédibilité de la BCE en tant que combattant de l’inflation était en jeu, ont déclaré les analystes avant l’annonce. La BCE montre-t-elle maintenant qu’elle prend cette tâche au sérieux ?

De Grauwe : « C’est effectivement le cas. Le premier statut de la BCE l’oblige à maintenir la stabilité des prix, et c’est ce qu’elle essaie de faire avec cette hausse des taux. Dans le même temps, bien sûr, la BCE doit veiller à ne pas plonger davantage l’économie dans le grand bain. C’est la bataille difficile en ce moment.

N’allons-nous pas nous retrouver en récession avec la hausse des taux d’intérêt ? Ou une combinaison de récession et de forte inflation, la soi-disant stagflation ?

« C’est toujours une question de regarder le marc de café, mais il y a certainement un risque. Ce serait une mauvaise chose, bien sûr, car cela signifie une baisse de la production, des entreprises pourraient faire faillite et le chômage pourrait augmenter. C’est également négatif pour le budget du gouvernement, qui doit déjà dépenser beaucoup pour protéger les citoyens. Si l’inflation reste également élevée, comme le prédit la BCE, alors vous devrez effectivement faire face à la stagflation. Le problème est que l’inflation dépend largement des prix de l’énergie, et la BCE n’a aucune influence là-dessus.

Comment allons-nous ressentir cette hausse des taux ? Emprunter de l’argent, par exemple pour une maison, deviendra-t-il plus cher ?

« Ce ne sera pas tout de suite. Pour les prêts, ce n’est pas le taux d’intérêt à court terme, mais le taux d’intérêt à long terme qui joue un rôle. Il y a bien sûr un lien : le taux d’intérêt à long terme est l’anticipation de ce à quoi ressembleront les différents taux d’intérêt à court terme dans le futur. Ces derniers mois, le taux d’intérêt à long terme en Belgique a déjà atteint 2,2 %.

« Cependant, cette hausse des taux se fera sentir un peu plus vite sur le taux créditeur des prêts à court terme (par exemple pour le paiement d’une voiture, JL). Nous en ressentirons certainement l’impact d’ici la fin de l’année. »

Les banques augmenteront-elles également l’intérêt de leur épargne en conséquence ?

« Je m’y attends de toute façon. J’ai déjà critiqué le fait que les banques auraient dû le faire plus tôt. Les bénéfices des banques augmentent, mais elles s’entendent toujours entre elles pour ne pas augmenter les taux d’épargne pour le moment. Ils peuvent le faire parce qu’ils forment un cartel et qu’il y a peu de concurrence.

Selon de nombreux économistes, la Banque centrale européenne a commencé trop tard à lutter contre l’inflation. Par exemple, la banque centrale américaine a déjà augmenté beaucoup plus ses taux d’intérêt.

« C’est vrai, mais la BCE a aussi un problème supplémentaire que la banque centrale américaine n’a pas. Chaque banque centrale se trouve face à un dilemme entre la maîtrise de l’inflation d’une part et la tentative d’éviter une récession d’autre part. Mais en plus, la BCE doit assurer la stabilité dans toute la zone euro. Car si vous laissez les taux d’intérêt monter trop haut, vous risquez de mettre un certain nombre de pays du Sud en situation de crise, comme c’était le cas il y a quelques années.

À cette fin, la banque centrale dispose du Transmission Protection Instrument (TPI), censé aider à lutter contre les différentiels de taux d’intérêt excessifs au sein de l’UE.

« Oui, avec cet instrument, la BCE peut acheter des obligations, par exemple à l’Italie si les taux d’intérêt y deviennent trop élevés, pour empêcher les analystes de spéculer contre ce pays. Mais cela augmente naturellement à nouveau la liquidité, ce qui pourrait avoir un impact négatif sur la lutte contre l’inflation.

La présidente de la BCE, Christine Lagarde.Image ANP/EPA

Le TPI a déjà été surnommé ‘To Protect Italy’ parmi les analystes. Partagez-vous la critique selon laquelle la BCE va trop loin pour protéger les pays du Sud ?

« Je pense que la BCE ne peut pas faire autrement. Une union monétaire telle que l’UE est simplement une chose fragile, et c’est aussi la tâche de la BCE d’empêcher que certains pays ne se retrouvent en crise. Vous ne pouvez pas simplement éloigner par magie des pays comme l’Italie ou l’Espagne, n’est-ce pas ? De plus, si ces pays devaient se retrouver dans une crise, cela aurait des conséquences néfastes pour l’ensemble de l’Union européenne. Il faut vraiment éviter ça. »

Comment jugez-vous Christine Lagarde, devenue présidente de la BCE de manière assez inattendue en 2019 ?

« Je pense qu’il ne faut pas surestimer le rôle du président dans les décisions de la BCE. Le président doit avant tout essayer de parvenir à un consensus entre les soi-disant faucons et colombes du conseil. (Pour les faucons, lutter contre l’inflation passe avant tout, les pigeons veulent surtout stimuler l’économie, JL.) C’est un travail difficile, mais jusqu’à présent, elle l’a bien fait. Le fait que la BCE choisisse aujourd’hui de relever si fortement les taux d’intérêt montre qu’il existe un consensus croissant au sein de la BCE sur le fait que la priorité doit être la lutte contre l’inflation. Et je peux tout à fait suivre ça.



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