Paul De Grauwe : « Les économistes prédisaient que nous nous retrouverions dans un nouveau monde avec une inflation durablement élevée. Cela n’est pas arrivé’

La déflation menace-t-elle les économies belge et néerlandaise ? Le professeur Paul De Grauwe jette de l’huile sur les vagues. En passant il donne une tape dans le dos aux grandes banques. « Les bénéfices des banques n’ont jamais été aussi élevés. »

Dents Peeters

L’inflation dans la zone euro est tombée à 2,9 pour cent en octobre, a calculé l’Office européen des statistiques (Eurostat), alors qu’elle était encore de 4,3 pour cent il y a un mois. La Belgique et les Pays-Bas ont même connu une inflation ou une déflation négative. Cela ne surprend pas l’économiste Paul De Grauwe (London School of Economics). « L’inflation négative dans notre pays et chez nos voisins du nord est uniquement due à la très forte baisse des prix du gaz. Sur une base annuelle, ils diminuent de 25 pour cent. Il s’agit d’un phénomène temporaire et isolé. Le prix du gaz a également baissé dans d’autres pays européens, mais nous incluons d’autres éléments du prix du gaz dans l’indice. Cela rend notre inflation plus sensible aux prix du gaz.

« L’année dernière, en août, les prix du gaz ont soudainement décuplé. Maintenant, ils se sont effondrés comme un pudding. Ce qui est frappant, c’est que la baisse de l’inflation est plus rapide que l’augmentation de l’année dernière. À l’époque, de nombreux économistes prédisaient que nous allions entrer dans un nouveau monde avec une inflation durablement élevée. Un tel plateau des prix élevés n’a donc pas eu lieu dans la zone euro.»

Statbel (l’Office statistique belge) a avancé une inflation de 0,36 pour cent, Eurostat parle de déflation. Des économistes comme Gert Peersman plaident donc pour un calcul différent de l’inflation en Belgique. A-t-il raison ?

« En Belgique, nous avons une méthode de calcul différente de celle du reste de l’Europe, ce qui explique les résultats différents. Je ne peux pas dire quelle méthode est préférable. Je n’ai pas étudié ce problème.

La déflation est-elle une mauvaise nouvelle pour l’économie ?

« Non. Si tous les prix baissent, l’économie pourrait ralentir, car les consommateurs retardent leurs achats parce qu’ils pensent que les prix vont encore baisser. Si la consommation diminue, la production finira par chuter et vous connaîtrez un ralentissement de l’économie. Aujourd’hui, ce n’est plus le cas car seuls les prix du gaz chutent. Les prix des denrées alimentaires, par exemple, continuent d’augmenter.»

Qu’attendez-vous dans les mois à venir ?

«Je m’attends à ce que le taux d’inflation en Belgique redevienne positif lorsque l’effet de la baisse des prix du gaz se sera dissipé. L’inflation dans le secteur alimentaire diminuera encore, mais plus lentement. (avec une boutade) Attention : je n’en sais pas plus que vous. Les économistes racontent également des histoires sur l’avenir.

« Il y a actuellement deux guerres qui font rage, entre le Hamas et Israël et entre l’Ukraine et la Russie. Il est donc encore plus difficile de faire des prévisions précises qu’en temps normal. Si les pays arabes intervenaient dans le conflit israélo-palestinien – ce n’est qu’un exemple – les prix du pétrole pourraient monter en flèche, ce qui aurait des conséquences économiques mondiales.»

Plusieurs banques belges ont augmenté leurs taux d’intérêt à partir du 1er novembre. En font-ils assez ? Vous avez vivement critiqué leur politique dans le passé.

«Les grandes banques belges avancent à petits pas, mais c’est toujours mieux que rien. Je suis heureux que cela se produise. Cependant, ils n’augmentent pas les taux d’intérêt pour satisfaire leurs clients, mais parce qu’ils ont peur de perdre de nombreuses économies. Les banques continuent de réaliser des bénéfices records. Ils n’ont jamais été aussi élevés. « Ne nous touchez pas », crient-ils, « car alors des choses terribles se produiront ». Ils font donc planer le spectre d’une crise financière s’ils devaient augmenter encore les taux d’épargne. Il s’agit d’une stratégie visant à empêcher le gouvernement de les forcer à augmenter les taux d’intérêt de l’épargne.

«Si les grandes banques n’accordent pas des taux d’intérêt plus élevés aux épargnants, elles pourraient au moins utiliser leurs bénéfices pour constituer des réserves plus importantes. En d’autres termes : ils feraient bien mieux d’augmenter leurs propres actifs, surtout en ces temps incertains. Parce que désormais, tous ces méga-bénéfices reviennent principalement aux actionnaires.»

Etes-vous favorable à un successeur aux obligations d’État ?

« Oui, certainement, même si je changerais un peu le format. Je donnerais à l’obligation d’État une durée supérieure à un an. Une telle obligation d’État met la pression sur les banques, car elles n’agiront pas par altruisme. Comprenez-moi bien : je n’ai rien contre les banques qui font des bénéfices – je reste un économiste de tendance libérale – mais il n’y a actuellement pas assez de concurrence entre les grandes banques.»

La Banque centrale européenne (BCE) a relevé ses taux d’intérêt pour la dixième fois consécutive en septembre. Elle n’a pas refait ça la semaine dernière. La présidente de la BCE, Christine Lagarde, a-t-elle raison ?

« Oui, la BCE et Lagarde semblent avoir fait leurs devoirs. Il ne lui reste plus qu’à attendre que l’inflation continue de baisser partout. Dans la zone euro, l’inflation était de 2,9 pour cent en octobre. 2 % est l’objectif de la BCE, nous nous en rapprochons donc.

Le spectre de la récession nous hante également à nouveau. Est-ce que vous y croyez ?

« Une récession est toujours possible. Beaucoup dépend de la rapidité de la baisse de l’inflation. Si les taux d’intérêt continuent de baisser, ils finiront par baisser à nouveau et le risque de récession diminuera. Mais les banquiers centraux sont conservateurs. Il faudra donc être patient un moment avant que cela n’arrive. Et comme je l’ai dit, je ne suis pas un prédicteur omniscient de l’avenir : les deux guerres pourraient à nouveau tout remettre en question.»



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