La Commission européenne débloque 1,5 milliard d’euros pour des investissements communs en matière de défense et d’armement par les États membres. Il faudra attendre et voir si cela suffit à vaincre leur éternel scepticisme. Peut-être pas.
Si cela n’en tenait qu’à la Commission, les 27 États membres européens réaliseraient ensemble au moins 40 % de leurs achats militaires d’ici 2030. Ils préfèrent acheter au sein même de l’Union.
La présidente de la Commission, Ursula von der Leyen, fait depuis longtemps le lien entre le coronavirus et la crise énergétique. L’Europe s’est également alliée pour acheter des vaccins ou du gaz. De cette manière, le poids économique de l’UE – la deuxième économie mondiale – peut jouer un meilleur rôle que si les États membres négociaient seuls. De plus, cette approche devrait garantir que les armées européennes ne travaillent plus avec un mélange d’équipements.
La Commission européenne prévoit un « budget initial » de 1,5 milliard d’euros jusqu’en 2027. Cela devrait inciter les États membres à procéder ensemble à des achats militaires. Ceux qui franchiront le pas recevront un soutien.
Selon le chef de la politique étrangère de l’UE, Josep Borrell, les bénéfices provenant du gel des avoirs russes en Europe pourraient bientôt également être utilisés pour stimuler sa propre industrie de défense et d’armement. Aujourd’hui, l’intention est d’utiliser cet argent pour reconstruire l’Ukraine, « mais nous pouvons aussi l’utiliser pour éviter la destruction du pays », a déclaré Borrell.
« Le début de ce plan est bon », déclare Georges Heeren, amiral à la retraite et spécialiste de la défense au sein de l’organisation faîtière technologique Agoria. « Les achats conjoints devraient réduire les prix et fournir une base permettant aux armées européennes de travailler ensemble. »
Heeren évoque également la création éventuelle d’un fonds pour les PME des secteurs de la défense et de l’armement. Ce fonds devrait leur offrir un accès plus facile aux prêts. « Aujourd’hui, les banques sont souvent très prudentes à l’égard du secteur. Alors qu’il s’agit de défendre notre sécurité et notre démocratie.
L’invasion russe de l’Ukraine a douloureusement mis en lumière les limites de l’industrie européenne de la défense et de l’armement. Par exemple, l’Europe semble incapable de fournir suffisamment d’obus d’artillerie à l’armée ukrainienne. Kiev s’est vu promettre une livraison d’un million d’unités début 2023 – d’ici un an. Récemment, l’Europe a dû admettre que cet objectif n’était pas atteint. Nous n’en sommes qu’à la moitié du chemin.
La Russie est depuis longtemps passée à une économie de guerre. Conformément à la devise de l’époque soviétique : « Tout pour le front, tout pour la victoire », le pays consacre désormais un tiers de son budget à la défense. Cela représente près de 10 000 milliards de roubles russes, soit trois fois plus qu’avant l’invasion de l’Ukraine. Les usines d’armement russes fonctionnent 24 heures sur 24.
Macron
Une chose est sûre : le développement de l’industrie européenne de la défense et de l’armement prendra du temps. En ce sens, le nouveau plan de la Commission européenne ne constitue pas une réponse aux besoins urgents de ravitaillement de l’armée ukrainienne. Ce n’est qu’à long terme que les nouveaux investissements commenceront – espérons-le – à porter leurs fruits.
Parmi les Etats membres, la France, la Pologne et l’Estonie semblent notamment favorables à un renforcement de l’industrie européenne de défense et d’armement. La Pologne et l’Estonie sont confrontées à leurs frontières avec la Russie. De nombreux chefs militaires européens ont récemment mis en garde contre une éventuelle attaque russe.
Il semble que le porte-monnaie puisse être largement ouvert, notamment pour la France. Le président Emmanuel Macron a récemment demandé à ses industries de défense et d’armement de passer en « mode économie de guerre ». Depuis de nombreuses années, Macron soutient que l’Europe doit de toute urgence réduire sa dépendance militaire à l’égard des États-Unis. Une éventuelle réélection de Donald Trump plus tard cette année fait également craindre ailleurs en Europe que les États-Unis ne soient bientôt plus une bouée de sauvetage fiable.
Tout le monde en Europe n’a pas envie d’aller aussi loin qu’en France. Selon le journal Le Financial Times Aux Pays-Bas et en Allemagne, entre autres, on craint une montagne croissante de dettes européennes. Le commissaire européen Thierry Breton – également français – plaide pour un fonds d’investissement européen de pas moins de 100 milliards d’euros à long terme. Un montant qui amène les comptables conservateurs budgétaires d’Amsterdam et de Berlin à s’interroger : qui va payer ? Il n’y a actuellement aucune réponse à cette question.
L’une des options permettant de donner plus de marge de manœuvre à l’Europe consiste à utiliser les bénéfices générés par le gel des avoirs russes en Europe. Une autre solution est l’émission d’obligations de défense : des prêts européens communs destinés à stimuler les investissements dans le secteur de la défense.
Le Premier ministre belge Alexander De Croo est enclin à cette approche. De telles obligations « sont une bonne idée et peuvent nous aider à accélérer les choses », a déclaré le libéral le mois dernier lors du sommet annuel sur la sécurité à Munich.
Mais placer l’Europe sur la carte militairement restera toujours un exercice d’équilibre. « Chaque État membre a ses propres intérêts industriels. Et de nombreux pays considèrent la défense comme le dernier bastion de leur autodétermination nationale. Même si c’est une illusion, car ils sont rarement capables de mener une opération seuls », réagit le spécialiste de la défense Sven Biscop (UGent/Egmont).
Pour Biscop, la politique européenne de défense est au point mort depuis un quart de siècle. « Je crains que ces 1,5 milliard ne changent rien à la situation. La somme est tout simplement trop petite pour cela. Et pour les achats groupés, il est préférable de coordonner d’abord vos besoins militaires. Quelque chose qui arrive trop rarement.