On la verra bientôt dans « Coup de chance » de Woody Allen et « Club Zéro » de Jessica Hausner, mais Elsa Zylberstein ne se contente pas d’être actrice : en incarnant Simone Veil, elle a compris le potentiel politique d’un film, et maintenant il veut parler aux jeunes


« Daprès avoir interprété – et coproduit – Simone, le voyage du sièclej’ai reçu de nombreuses lettres de filles qui ont découvert la figure de Simone Voile » raconte Elsa Zylberstein: « exemple suprême de résilience, survivante d’Auschwitz, magistrate, ministre de la Santé (conduite à la dépénalisation de l’avortement en France), première femme présidente du Parlement européen…

Woody Allen conquiert Venise 80 avec le Paris du « Coup de chance »

Il s’agit de l’un des plus gros succès au box-office de 2022 : j’ai pu constater par moi-même la puissance d’un film comme celui-ci, sa capacité à informer et inspirer les jeunes générations. J’ai senti que je remplissais mon devoir de transmettre quelque chose de précieux de notre histoire et j’ai décidé que ce serait le fil conducteur de mes projets. En fin de compte, faire un film est un geste politique, qu’il s’agisse d’un drame ou d’une comédie. »

Arti-visuel

Elsa Zylberstein est une rivière en crue, ravie d’avoir participé à Exposition de Venise dans un double rôle : non seulement interprète de Coup de chance de Woody Allen, mais également intervenant au « Lights ! Chambre! Impact »organisé par Le filet de sécurité humaine (Fondation à but non lucratif de Generali) pour célébrer un cinéma qui met la créativité au service des enjeux de société.

Elsa Zylberstein (Getty Images).

Changer le monde

Sur quoi travaillez-vous maintenant?
À la biographie (coïncidence !) d’une autre Simone : Simone de Beauvoir, la mère du féminisme. Nous nous concentrerons sur une année particulière, 1947, où elle partit en Amérique pour une tournée de conférences et tomba amoureuse de son collègue Nelson Algren. Christopher Hampton l’écrit, Anne Fontaine le réalisera. Et le portrait d’Elise Boghossian, acupunctrice qui travaille dans les zones de guerre auprès des enfants victimes de l’EI, est en préparation : il sera réalisé par Feras Feyyad, le documentariste syrien nominé deux fois aux Oscars. Je ne vais pas lister les choses en préparation, cinq ou six, mais elles tournent toutes autour de personnages féminins qui rêvaient de changer le monde. Ah, il y a un biopic sur Christian Dior.

Une exception à sa règle.
Pas exactement. Derrière un grand homme, il y a une grande femme, dit-on, et c’était aussi vrai pour Dior : j’incarnerai Raymonde Zehnacker, qui en était le bras droit (crucial). C’est un univers que je connais bien grâce à ma mère (Liliane Zylberstein a travaillé pour les Parfums Christian Dior, éd).

En attendant – à partir du 9 novembre – nous le verrons dans Club Zéro par Jessica Hausner.
J’ai été attiré par la complexité du rôle (j’aime avoir beaucoup de « couleurs ») et l’approche un peu politique. Il parle de notre société, de parents qui ne prennent pas leurs responsabilités, d’enfants sans références solides qui finissent par suivre un professeur manipulateur (Mia Wasikowska, éd) : les adolescents seront convaincus qu’en ne mangeant pas, ils sauveront la planète…

Le casting du « Club Zéro » à Cannes. De gauche à droite : Ksenia Devriendt, Mia Wasikowska, Samuel D. Anderson, Jessica Hausner, Elsa Zylberstein et Amir El-Masry (Getty Images).

« Forcer le destin »

Et qui sera dedans Coup de chancebientôt au cinéma ?
Mon rôle est petit, hein : un ami de la classe supérieure qui s’ennuie du couple protagoniste. Le centre de l’histoire est la confiance dans le destin.

Croyez-vous au destin ou au hasard ?
Je crois que le destin vous offre des opportunités, cela dépend de la manière dont vous les exploitez. J’adore un vers du poète René Char : « Impose ta chance, serre ton bonheur et va vers ton risque. A te regarder, ils s’habitueront. (« Imposez votre fortune, détenez votre bonheur et affrontez vos risques. En vous voyant, ils s’y habitueront… »). En réalité, vous pouvez « plier » un peu le destin. Comme, comment? Écouter votre voix intérieure.

Un exemple qui vous préoccupe ?
Mon premier set, en 1991 : Van Gogh de Maurice Pialat. J’étais figurante, mais le deuxième jour, l’actrice qui jouait la prostituée est partie. Destin! Alors je me suis dit : « Il faut que je me propose ! ». Je suis allé voir le réalisateur, il m’a demandé de lire une ligne et : « Ok, va t’habiller ! ». Dans une robe rouge trop grande pour moi, ils m’ont jeté sur scène avec le protagoniste Jacques Dutronc. Le film a participé au Festival de Cannes, j’ai été nominée au César du meilleur espoir féminin… Ça a commencé comme ça.

Elsa Zylberstein presque méconnaissable dans « Simone, le voyage du siècle ».

« Les conseils de Charlotte Rampling »

Aviez-vous toujours su que vous vouliez agir ?
Non! J’étais très, très timide, même si j’étais une danseuse classique douée : mon professeur m’a proposé d’étudier à l’Opéra de Paris. J’avais 13, 14 ans… J’ai refusé.

Trop de sacrifices, trop de discipline ?
Non, au contraire : je suis reconnaissante pour la discipline que j’ai acquise grâce à la danse, qui m’a en même temps donné la capacité de m’exprimer à travers le corps : deux choses qui m’ont été utiles au travail. La vérité est que je ne voulais pas quitter ma mère.

Et alors?
A 17 ans, au moment de choisir l’université, mon père m’a demandé : « Si tout était possible (j’adorais la peinture, j’adorais la mode), que ferais-tu ? ». J’en suis sorti avec : l’actrice ! Peu de temps après, il se retrouve dans un vol entre Paris et New York, assis à côté de Charlotte Rampling et : « Désolé de vous déranger, ma fille s’intéresse au métier d’actrice : que doit-elle faire ? ». « Inscrivez-vous à l’école de théâtre Cours Florent et appelez mon agent. » J’ai suivi les deux conseils. Je n’étais pas bon au lycée et j’ai reçu mes premiers compliments et reconnaissances sur scène, pendant le cours.

Elsa Zylberstein dans « Coup de chance ».

« Sonia était ma grand-mère »

Et les compliments ne s’arrêtent pas là : Mina Tannenbaum, Farinelli, Je t’aimerai toujours, Un plus un… Maintenant la société de production. Pourquoi l’appeler « Sonia Films » ?
Sonia est le nom de ma grand-mère, une Russe extraordinaire, aux pommettes saillantes et aux yeux verts comme moi : elle semblait sortir de La Mouette par Tchekhov. Il travaillait dans l’industrie de la fourrure, il était vraiment original. Elle s’était installée à Paris et – pendant la guerre – à Lyon. Mon père, né en 1938, était un « enfant caché » (un enfant qui vivait caché, comme Anne Frank, éd). Il a encore des blessures qui le rendent fragile… (devient ému)

Quelle est l’importance de vos racines juives dans votre vie ?
Pas tellement : mon père est juif non pratiquant, ma mère était catholique. Nous allions à la synagogue chaque année pour Yom Kippour, mais c’était juste une tradition, un moment pour être en famille : maintenant que maman est morte, je n’ai pas l’intention d’y retourner. Parfois ils me donnent des rôles juif à cause du nom de famille. Quand je vais à Los Angeles, c’est une constante : « Oh Zylberstein, viens pour Pessa’h (Pâque, éd)!”. Je trouve ce grand sentiment de communauté magnifique.

Nietzsche et l’étoile

Des mantras qui vous guident ?
Une citation de Nietzsche : « Il faut avoir le chaos en soi pour générer une étoile dansante ».

Est-ce qu’il a le chaos en lui ?
Naturellement! Sinon je ne pourrais pas être actrice : c’est ce qu’on fait avec ce chaos qui rend cela possible, il faut « s’appuyer » dessus. Vous vous utilisez pour interpréter les parties : la vie vous change inévitablement et vous changez en tant qu’interprète. Je vais mieux aujourd’hui qu’il y a cinq, six ans : au début tu contenais un Franprix (des rires), maintenant j’ai la Grande Épicerie ! (un supermarché de quartier contrastant avec le temple de la gastronomie parisienne, éd).

Et la timidité ?
Cela réapparaît parfois : comme hier soir, lors d’une soirée… On est timide quand on ne se sent pas à la bonne place, on ne se sent pas légitime. Je ne sais pas pourquoi : j’ai l’impression de ne pas être assez, je suis dur avec moi-même. Mais c’est peut-être une bonne chose, un moteur de progrès.

La barre au sol

Souffrez-vous du syndrome de l’imposteur, par hasard ?
Ah non, non, non ! Le seul endroit au monde où je ne suis définitivement pas un imposteur, c’est au travail. Je suis une force de la nature, avec une volonté et un désir très forts. Je n’ai pas d’enfants, je suis globale sur le plan professionnel : passionnée, « possédée », constamment en recherche de « nourriture ». Je lui consacre ma vie.

N’y a-t-il pas de place pour l’amour ?
Il y a, il y a, malheureusement c’est si rare de tomber amoureux…

Et le temps libre ?
A Paris, je vais aux expositions, je lis, je danse.

Qu’est-ce qui danse ?
Ce n’est pas exactement une danse : pratique bars au sol, sont les exercices habituellement effectués sur la barre transférée au sol. Mais pour les vacances, je viens en Italie : Côte amalfitaine, Positano, Ravello, Capri. J’aime ton pays, ton cinéma m’a nourri : Antonioni avant tout (L’aventure, La nuit… Wow !), et évidemment Fellini, Rocco et ses frères par Visconti. Aujourd’hui Paolo Sorrentino, Luca Guadagnino… Écrivons-le, on ne sait jamais.

On ne sait jamais, un coup du sort…

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