« Tuune ligne droite part du bas de la via Mazzini – avec l’école primaire privée des religieuses de Sant’Agostino – et continue le long du Corso Giannone, avec le collège, le lycée classique et l’église de Sant’Antonio, où l’on rencontre tous les dimanches avec leurs familles respectives. C’est la trajectoire qu’ils suivent docilement Les bonnes filles. Celles qu’Olga Campofreda, née à Caserte dans les années 80, raconte dans son roman (éditeur NN).
«La personne respectable n’exprime pas de jugement moral. Il dénote l’appartenance à la classe moyenne supérieure, et marque la vie des femmes dans des étapes préétablies » explique Campofreda. «En plus des bonnes écoles, fréquentez le garçon qui les épousera dès l’adolescence. Avoir un enfant avant l’âge de trente ans. Choisir un travail qui n’enlève pas d’espace à la maison et à la famille. Le sentiment de honte, la peur d’être différent, d’agir en dehors du peloton est implicite dans cette respectable».
Un risque que dans la province – dont sa Caserta est l’emblème – peu ont eu le courage de courir. Parmi ceux-ci, le protagoniste de Bonnes fillesClaire. A vingt ans elle choisit une trajectoire divergente, tout d’abord de celle de sa cousine Rossella, dont elle fut inséparable jusqu’à son adolescence. Clara part à Londres où elle vit précaire en amour et travail – donne des cours d’italien aux riches qui s’ennuient. Une ville qui connaît aussi bien Olga Campofreda, qui travaille dans la capitale anglaise en tant que chercheuse en études italiennes et culturelles, traitant du Bildungsroman et des cultures des jeunes. Et qui enseigne l’escrime à l’équipe nationale anglaise des moins de 20 ans.
Clara revient à Caserta, dix ans après son évasion, pour le mariage de Rossella avec son petit ami de longue date, Luca. Quel genre de femme est-elle devenue ?
Clara a fui une ville, un projet existentiel qui ne lui ressemblait pas. C’est un arbre « aux racines pointant vers le ciel » (comme l’écrit Gaia Manzini lors de la nomination du roman au prix Strega 2023, ndlr) mais qui n’a pas encore trouvé la force de suivre son désir. Ce n’est que lorsqu’il réussira à le façonner qu’il saura qui il est. Le livre se concentre sur ce passage, dans la comparaison entre l’évolution de Clara et la cristallisation des autres, mais pas toutes, jeunes femmes dans le rôle assigné. Arrangé pour le garder pour étouffer les besoins profonds. Comme Rossella qui limite sa rébellion à trois jours d’évasion et de vide. Et au journal secret. Dans le roman, je cite Simone de Beauvoir, ma muse avec Amy Winehouse, Jane Austen et Virginia Woolf : « Vous ne pouvez pas changer votre vie sans d’abord vous changer vous-même ».
Dans Good Girls, les rendez-vous de Clara sur Tinder ont beaucoup d’espace. Quel rôle l’application joue-t-elle dans l’histoire ?
Good Girls est le roman de deux villes, Caserte et Londres. De deux palais, celui de Vanvitelli et celui de Buckingham Palace. De deux lectures de la sexualité. Qu’est-ce que l’absence de pouvoir – la sexualité « à partir de la taille » de Rossella. Et l’autre, le monde de Tinder, qui regroupe de nombreuses expériences différentes, pas toutes positives, avec lesquelles Clara se met à l’épreuve.
Les attentes sociales ne concernent pas seulement les femmes.
Luca subit lui aussi des pressions de genre, il ressent la poussée d’un désir qu’il étouffe ensuite. Il doit exceller dans ses études, provoquer une bagarre avec un garçon « qui lui avait manqué de respect » pour se montrer un homme. Il rêve d’étudier la philosophie, mais s’inscrit en droit. Le seul moyen qu’il voit pour conquérir la liberté est l’argent.
Quelle Caserte est celle du livre ?
Dans les années où j’ai grandi, Caserta était au centre des romans d’Antonio Pascale, Roberto Saviano, Francesco Piccolo. Une ville d’hommes dont j’ai voulu offrir la version féminine. Une ville où la toute-puissance des liens, le culte de l’apparence, pour qui il est plus important de dire qu’on est qu’être, a affaibli la volonté de changement. Les femmes transmettent des rôles traditionnels, il n’y a pas d’évolution : si mon histoire s’était déroulée à Rome au lieu de Caserte, cela aurait été différent. Mais ce n’est pas un roman contre Caserta. Le mien est un amour désespéré, et c’est pourquoi j’ai voulu conclure par la réconciliation finale de Clara avec la ville et avec les gens qui y vivent. Dans la promesse de questionner ce qu’elle ne comprend pas d’eux, il y a sa façon de retrouver ses racines, maintenant qu’elle s’est trouvée.
Vous enseignez l’escrime : cette discipline et celle de l’écriture sont-elles similaires ?
Oui, il n’y a pas un moment où je n’ai pas combattu – j’ai passé mon adolescence à courir le week-end, en quelque sorte marginalisé du cercle des pairs comme Clara, ni un moment où je n’ai pas écrit.
En escrime, j’étais animé par le désir de me rattacher davantage à mon père, lui-même athlète : il m’a encouragé à étudier le profil intellectuel de ce sport qui est la narration d’un combat, met en scène une hostilité feinte, jusqu’à la finale résolution, métaphore de la vie et de la mort. Et j’ai commencé à écrire dans un journal quand j’étais enfant : le premier était sur la couverture Le roi Lion (le film de 1994). Le journal a toujours été l’espace d’élaboration mentale de moi-même, l’espace du courage, où je pourrais être plus Clara et moins Rossella».
iO Femme © REPRODUCTION RÉSERVÉE