« Nous voulons voir les Reuzegommers condamnés non seulement légalement, mais aussi moralement »: pourquoi la colère contre le procès de Sanda Dia demeure


L’affaire Reuzegom appuie sur tellement de boutons en même temps qu’il n’y a presque pas d’échappatoire à une couche de malaise qui ne vieillit jamais. Seulement : se pose-t-on les bonnes questions sur ce verdict ?

Michel Martin

Rarement les réactions ont été aussi vives qu’après le verdict dans l’affaire Reuzegom. « Le sentiment prédominant », ainsi écrit Le matin-le journaliste Douglas De Coninck le résume à une pensée, c’est que « quelque chose d’inapproprié s’est produit » pendant le procès. Derrière le hashtag #JusticeForSanda, il y a depuis vendredi un gros point d’interrogation, sur un toit près de la gare de Louvain, il est écrit « FOK GIANT GOM » en grosses lettres.

Il est frappant que le désarroi au sein de la famille Dia corresponde modérément au désarroi de l’opinion publique. La première se greffe principalement sur l’absence de réponses – par exemple : qui a servi la sauce de poisson ? – puis le second est surtout axé sur le penalty insuffisant. Une amende de 400 euros et jusqu’à 300 heures de travaux d’intérêt général est, selon beaucoup, trop indulgente, selon certains même un exemple de justice de classe.

Il n’est pas surprenant que l’avocate Kati Verstrepen, présidente de la Ligue des droits de l’homme, ne s’étonne pas que le verdict suscite des émotions. « Il est très facile de prendre une position ferme sur cette question », dit-elle, « car il y a tellement de lignes de fracture sociales qui convergent ».

Le cadre populaire est celui d’un garçon noir (racisme structurel) issu d’une famille ouvrière (inégalité des chances) victime de fils riches blancs. Cela conduit automatiquement à une question fréquemment posée sur les réseaux sociaux : et si la situation était inversée ? Les agresseurs s’en étaient-ils tirés si « bon marché » ?

Cas similaire

Il existe de nombreuses clôtures en ligne avec des sanctions plus sévères, souvent pour vol, infractions au code de la route ou délits liés à la drogue. Le philosophe libéral Lode Cossaer note cependant que le code pénal « accorde une grande importance à l’intention de faire quelque chose » et que la peine n’est donc pas nécessairement liée à la classe. Il souligne qu’une affaire similaire en Wallonie, où l’élément élitiste est absent, a récemment conduit à un verdict similaire.

Verstrepen pense également que l’arrêt « représente assez bien tous les éléments ». Son organisation plaide depuis un certain temps pour une approche « plus douce » de la punition : plus d’attention à la prévention, moins à la répression. Des recherches néerlandaises montrent que ceux qui reçoivent une ordonnance de travaux d’intérêt général récidivent 47 % de moins qu’un détenu condamné à une courte peine.

Une protestation contre les « fils riches » de Reuzegom.Image Tessa Grue

Selon le juriste de l’église Rik Torfs, ancien recteur de la KU Leuven, l’opinion publique évolue dans la direction opposée avec un « appel à des peines plus sévères » et une « grande envie de vengeance ». Cette dernière se fait sentir sur les réseaux sociaux : pour ceux qui veulent connaître les noms des Reuzegommers, une simple recherche suffira.

Torfs voit « des similitudes entre la gauche et la droite » dans ce domaine. Une méfiance à l’égard du pouvoir judiciaire devient politiquement instrumentalisée des deux côtés. Si le PVDA est fortement présent lors de la manifestation silencieuse contre le verdict dans l’affaire Reuzegom, le Vlaams Belang met la main à la pâte lors de son meeting de protestation en déclarant que certains hommes issus de l’immigration ont dû écrire « juste un essai » après un viol collectif.

La nuance, comme le fait qu’en 2021 ces mêmes hommes ont été condamnés à cinq ans de prison avec sursis, est rapidement passée sous silence. « Nous sommes entrés dans une atmosphère de polarisation, dans laquelle nous voulons voir les auteurs condamnés non seulement légalement mais aussi moralement », déclare Torfs.

Cette composante morale est certainement une force motrice dans l’indignation actuelle, voit également le philosophe culturel Simon Truwant (KU Leuven). «Il n’y a eu aucun sentiment de culpabilité tout au long du processus. Moralement, les accusés se sont placés hors de la société.

Truwant voit « au-delà du cadre légal » une longue liste de choses qui vont à contre-courant. L’omerta chez les Giant Gommers. L’absence de certains accusés dans le verdict. Le choix des médias pour préserver l’anonymat. « On a toujours l’impression que la main des Giant Gommers est atteinte alors qu’ils gardent la leur dans leur poche. »

En difficulté

Sur Facebook écrit l’auteur Jeroen Olyslaegers, qui a écrit un compte rendu impressionnant du procès Humo: « Si je n’avais pas vécu l’affaire Reuzegom devant le tribunal, j’aurais maintenant aussi crié avec beaucoup qu’aucune justice n’a été rendue. » Interrogé sur ce que le verdict remue en lui, il dit avec réserve que cette opinion « ferment encore », en partie par réticence à être placé dans un camp.

Ce dernier se produit tout le temps et, selon Torfs, est un problème très ennuyeux. « C’est bien que le public soit impliqué dans le débat, mais si nous ne commençons à jouer les juges que par colère et indignation, nous faisons obstacle à une discussion approfondie. »

Nul ne conteste la pertinence de cette discussion. Aussi sur une éventuelle justice de classe. C’est juste, disent tous les experts, peut-être que nous posons les mauvaises questions.

Cossaer, à propos de l’armée des meilleurs avocats du côté de Reuzegom : « Vous pouvez difficilement leur reprocher d’avoir recherché la meilleure assistance juridique. Comment pouvons-nous nous assurer que tout le monde y a accès ? »

Verstrepen, à propos du choix d’une ordonnance de travaux d’intérêt général : « Peut-être que la question n’est pas de savoir si le jugement a été trop clément ici, mais si l’emprisonnement est pris trop rapidement dans d’autres cas ? »



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