« Nous devons sécuriser les victimes et rééduquer les hommes », déclare Alessandra Simone, la commissaire de police qui a inventé un protocole spécial, lancé à Milan et désormais opérationnel dans 70 villes.


FIl a peut-être fallu quelqu’un qui a combattu la ‘Ndrangheta pour s’attaquer à des problèmes tels que la violence contre les femmes. Quand Alessandra Simone, désormais questore (ou questora, elle s’en fiche) de Savona, a commencé, en 1993, à enquêter sur le clan Piromalli, il y a eu de nombreux suspects, aucune condamnation ni arrestation. Avec elle pour chef de l’escouade volante Gioia Tauro (Criminalpol de Reggio de Calabre), les menottes puis la perpétuité sont arrivées. Elle s’est toujours sentie comme une enquêtrice, c’est pourquoi lorsqu’elle est arrivée à Milan en 2017 et qu’on lui a proposé de traiter des « matières faibles », elle a commencé à étudier.

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Alessandra Simone, contre les violences faites aux femmes

Avocate, titulaire d’une maîtrise en criminologie, maltraitance des enfants, psychologie du traumatisme, il avait une approche plus scientifique qu’émotionnelle. Et ça a marché. Le Protocole Zeuscontre la violence domestique et le harcèlement, a commencé à Milan en 2018 et est désormais opérationnel dans 70 villes, et va augmenter. Mais cela ne suffit pas, car des femmes continuent d’être tuées. Au cours des six premiers mois de cette année ont été soixante, vingt-huit tués par partenaire ou ex.

Comme forme de communication révolutionnaire, Alessandra Simone a choisi Un autre demainfilm documentaire de Silvio Soldini et Cristiana Mainardi, un puzzle d’histoires, certaines terribles, certaines avec une fin heureuse. Et l’accompagne à Festival de l’esprit (1-3 septembre, voir encadré page suivante) afin que ceux qui ne le connaissent pas encore découvrent le « Protocole Zeus », qui leur permettra peut-être d’avoir « un autre demain ».

Alessandra Simone, commissariat de Savone. Elle est originaire de Reggio de Calabre et, en Calabre, elle était chef de la section des homicides et du crime organisé.

Comment votre travail a-t-il changé, du crime organisé à la violence domestique ?
J’ai étudié pendant deux ans. J’ai essayé de comprendre ce que la police peut faire : beaucoup. Je me suis retrouvé dans un tout nouveau monde. J’ai été surprise par le sentiment de culpabilité ressenti par les femmes, même celles attaquées par des inconnus. Pour résumer, nous avons un problème. L’égalité n’existe pas. La parité signifie zéro féminicide.

Qu’est-ce qui vous a frappé lorsque vous avez rencontré des femmes maltraitées ?
J’ai également dirigé la section des homicides de l’escouade volante. Lorsqu’une personne a été assassinée, on compte sur les techniciens : le coroner, le médecin légiste, les experts qui vont faire « parler » le corps. Mais être confronté à une femme violée et maltraitée est un crève-cœur pour celui qui parle comme pour celui qui écoute. Voir une âme brisée. Grâce aux histoires, j’ai appris que, aussi importantes soient-elles, les besoins de l’enquête doivent respecter le timing de la victime. Il faut fouiller, interroger, vérifier son téléphone portable, mais il faut aussi faire preuve d’empathie.

Pourquoi tant de personnes restent-elles dans des situations de violence ?
Beaucoup ont des sentiments mitigés. Ils veulent partir, mais il sait comment les faire rester. Quelqu’un se sent un peu comme une infirmière de la Croix-Rouge : je vais le sauver. Quelqu’un d’autre pense : avec moi ça va changer. Il y a ceux qui ont peur et ceux qui ne veulent pas rompre par amour ou parce qu’ils ont des enfants. Mais le phénomène est transversal, il concerne toutes les classes sociales et tous les niveaux de culture. Le fémicide est l’échec du système. Vous arrivez quand la femme est morte. Il faut d’abord y penser. 75 à 80 pour cent des féminicides proviennent de maltraitances au sein de la famille.

Le Protocole de Zeus contre les violences faites aux femmes

Et qu’avais-tu prévu de faire ?
Nous avons commencé par le protocole Eva, qui concerne la première intervention, lorsqu’il y a une dispute dans la famille (violente, une gifle). L’idée m’est venue grâce à une conférence internationale en 2005. Des collègues suédois ont développé une stratégie qui codifie les signaux d’une situation à risque. Aujourd’hui, en Italie, les interventions sont enregistrées dans une base de données inter-forces et les informations saisies dans le système restent disponibles. Les opérateurs sont ainsi prêts à intervenir et peuvent également transmettre le rapport pour déclencher le protocole Zeus.

Un nom de bataille ?
Hé bien oui. Zeus, le père des dieux, est l’archétype de l’homme qui doit satisfaire son besoin de contrôle. Nous devons l’arrêter avant qu’il ne devienne un agresseur invétéré. Si nous le faisons au début, nous pouvons l’obliger à un traitement thérapeutique.

Comment ça marche?
Nous lui notifions l’avertissement, une disposition administrative, pour lui enjoindre de cesser toute forme d’agression, même verbale. S’il le viole, cela aura des conséquences. Le signalement peut partir d’un voisin, d’une infirmière, d’un proche, toujours avec la garantie de l’anonymat. Une fois l’alerte donnée, nous prenons rendez-vous avec le Centre Partenaire (Cipm), spécialisé dans la confrontation des violences et des conflits interpersonnels, et nous commençons lui sous traitement. Rares sont ceux qui hésitent à suivre cette procédure. Tous les deux ou trois mois, la situation est évaluée et une fois que nous prenons en charge ces hommes, nous ne les laissons plus partir. Les rechutes, parmi ceux qui ont accepté le traitement, ont été réduites de 90 pour cent.

Rome, 26 novembre 2016 Non Una di Meno, manifestation nationale contre la violence masculine à l’égard des femmes. (Getty Images)

Vous avez dédié votre Ambrogino d’or, la récompense la plus importante de la ville de Milan, à une femme qui n’a pas pu être sauvée…
A Roberta Priore, assassinée à Milan en 2019 par son compagnon, qui s’est ensuite suicidée en prison. Quatre jours plus tôt, les voitures de patrouille étaient entrées dans leur maison pour une dispute verbale, deux jours plus tard, il y avait eu une autre alarme et nous avions immédiatement préparé l’avertissement. Lorsque nous avons téléphoné pour le signaler, Roberta venait d’être tuée. J’ai donc appelé les gars de la Division Anti-Crime de Milan, que je dirigeais à l’époque (il y en avait deux quand je suis arrivé, ils sont devenus dix) et je leur ai expliqué que c’était la bonne voie. Nous avions le cœur brisé, mais nous étions là, nous l’aurions sauvée et nous l’aurions sauvé aussi. Deux vies. C’est pourquoi nous devons y arriver encore plus tôt.

Ce qui est faux?
Considérer les hommes uniquement comme des antagonistes. Il faut rééduquer, sans diminuer la gravité des faits, mais les faire comprendre, il faut sécuriser les femmes, les aider à dénoncer, leur apporter du soutien. Aujourd’hui, heureusement, il n’y a plus de policiers qui disent à la femme maltraitée : rentre chez toi et fais la paix avec ton mari. Mais si nous ne travaillons pas aussi sur l’homme, nous n’aurons sauvé que cette femme et il pourra en chercher davantage. Nous le voyons avec les harceleurs. Ils pensent qu’ils ont raison, ils ne comprennent pas l’invasion de la vie privée, ils disent : je me suis toujours inquiété pour elle, j’ai envoyé des roses, des messages, des cadeaux, qu’est-ce qui ne va pas ?

Pouvez-vous être optimiste ?
Je suis policière et je viens de Calabre, donc je me méfie, mais j’arrive à être optimiste. Le film, d’où est née une belle amitié avec Cristiana Mainardi, qui a fait un travail de recherche et d’écriture extraordinaire, est un hymne à l’espoir. Ils parlent beaucoup. Il y a celle qui a vu sa mère assassinée, il y a le père qui a tué l’une des deux filles (et voulait faire de même avec l’autre), et pourtant personne n’est resté en souffrance. Si nous construisons un système de confiance, si les journaux cessent de faire la une des journaux comme « Tué par amour », si le médecin, l’enseignant, le voisin ne détournent pas le regard, les choses peuvent changer. Ce n’est pas une affaire de famille, c’est l’affaire de tous.

De nombreuses séries télévisées racontent des histoires comme celles que l’on rencontre tous les jours, par exemple Unité spéciale des victimes de la loi et de l’ordre. Trouvez-vous des similitudes ?
Je les vois très peu. En dehors de mon service, je recherche une distance minimale avec mon monde. J’aime les films de Clint Eastwood. Et oui, je préfère les comédies françaises.

Le festival de l’esprit

A Sarzana, la préfecture de police de Savone s’entretient avec les auteurs du film Un autre demain.

Alessandra Simone, questore de Savone, participera à la rencontre lors du XX édition du Festival de l’Esprit de Sarzana, samedi 2 septembre. Le réalisateur du docufilm dialoguera avec elle Another Tomorrow, Silvio Soldini et Cristiana Mainardi, scénariste et productrice.

Le Festival della Mente (du 1er au 3 septembre), dirigé par Benedetta Marietti, est dédié à la créativité et à la naissance des idées. Massimiliano Valerii, directeur général de Censis ouvre. Parmi les invités : les scientifiques Guido Tonelli, Ersilia Vaudo, Sabrina Speich, Nazareth Castellanos ; l’historienne de l’art Martina Mazzotta ; les psychanalystes Vittorio Lingiardi et Massimo Recalcati ; la philosophe Gabriella Caramore avec l’immunologiste Antonella Viola. Le programme comprend également une section pour enfants et adolescents avec 26 rendez-vous. Pour information: festivaldellamente.it

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