‘New Weird Women’ et 3 bandes dessinées recommandées de 2022


« Je suis toujours en vie », de Roberto Saviano et Asaf Hanuka
Roberto Saviano, condamné à mort par la Camorra, qu’il a dénoncé avec des noms et prénoms dans son premier livre ‘Gomorra’, vit sous protection depuis 2006, menant une vie clandestine sans résidence fixe. Cette situation extrême est le point de départ du « je suis toujours en vie ». Dans ce livre, le lecteur ayant un faible pour les situations réelles extrêmes pourra découvrir de visu comment s’est passé le quotidien de l’écrivain au cours des 15 dernières années : véhicules blindés, fausses identités pour voyager et seule compagnie d’escortes avec qui il devient à peine intime.

La capacité d’Asaf Hanuka à dessiner l’univers d’évasion de Saviano d’une part, et d’autre part l’habileté à montrer comment le protagoniste fait face à la dépression entre les livres et les écrans numériques, loin de sa famille, est splendide. Avec un symbolisme excessif mais sans abuser de la couleur, il plonge dans la douleur impliquée dans la lutte pour la vérité et la justice. Sans peur de mourir, Saviano, avec d’autres auteurs comme Salman Rushdie, « est toujours en vie ». 8.

« Le Petit Prince », de Carlos Gimenez
A 81 ans et l’un des auteurs actifs les plus importants de la bande dessinée espagnole, principalement pour les séries ‘Paracuellos’ et ‘Barrio’, Carlos Giménez de Madrid revient dans la mêlée avec une adaptation de ‘Le Petit Prince’ d’Antoine de Saint- Exupéry. Une aventure risquée, car nous sommes face à l’une des histoires les plus admirées de la littérature française. Abandonnant tout colorant autobiographique, de ce qui est une référence incontestable, l’auteur préfère entrer dans la peau d’un nourrisson.

Comme dans l’œuvre originale, Giménez critique le monde des adultes du point de vue d’un enfant, préservant cette tendresse que les enfants chérissent dans toutes ses œuvres. Dommage que traiter trop de sujets d’actualité comme la politique, les affaires, le clergé et l’armée, disperse l’idée générale de dénonciation. Un petit revers qui ne laisse pas un mauvais goût dans la bouche après la récente et très recommandée trilogie crépusculaire – ‘Chrysalis’, ‘Chant de Noël’ et ‘C’est aujourd’hui’ – consacrée à la fin de vie. De plus, il faut remarquer que dans ‘El princesito’ l’utilisation de la couleur est appréciée : l’utilisation habituelle du noir et blanc par Giménez aurait terni plus qu’un reggaeton prude. 7.

« L’herbe », de Keum Suk Gendry-Kim
La Coréenne Keum Suk Gendry-Kim arrive dans notre pays avec l’aval des innombrables prix qu’elle a reçus et la faveur des critiques spécialisés. Il porte sous son bras un ouvrage basé sur des événements historiques réels dans la même sphère que ‘Persepolis’ ou ‘Maus’, avec l’inconvénient que son succès vient ici tardivement, puisqu’il a été initialement publié en 2017.

Dans l’actualité grâce à sa sortie en 2020 sur le marché nord-américain, « Herba » dévoile comment l’armée japonaise, pendant la Seconde Guerre mondiale, a tissé un réseau d’esclaves sexuelles coréennes forcées de plaire aux milices japonaises, sous le surnom nauséabond de « femme de consolation ».

La protagoniste de ‘Herba’ Lee Ok-Sun, séjournant dans une maison de retraite, raconte dans une interview avec Keum Suk comment elle a été forcée dans son enfance par la branche armée japonaise une fois transférée en Chine. Cette ressource de la confession intime nous relie irrémédiablement à d’autres modèles, comme le cas de Paco Roca avec « Los sillons du hasard » ou la trilogie d’Emmanuel Guibert sur les souvenirs d’Alan Ingram Cope.

Le résultat des Coréens est-il donc plus faible que celui de leurs collègues occidentaux ? Pour rien. Il n’y a pas de facteur de surprise mais la clarté narrative, la composition spontanée de vignettes qui vont de 6 par page à des dessins noirs en densité double face, ou le style propre du dessin sans perdre de vue le lecteur de manga du coin de l’œil, constituent un profil aussi sobre que la propre survie en enfer de Lee Ok-Sun. 8.2.

‘Nouvelles femmes rares’, par Nazario
Nazario (1944), comme Carlos Giménez, représente l’histoire vivante de l’illustration dans notre pays. Dommage que l’un soit prodigué -comme nous l’avons vu plus haut- plus que l’autre en termes de nouvelles publications. Au-delà des reproches à la paresse, il faut se féliciter que la réédition de ‘Rare Women’ (1987) transformée en ‘New Rare Women’ soit faite avec une version augmentée sans lésiner sur les dépenses.

Pour ceux qui ne connaissent pas le travail de Nazario, c’est la clé pour entrer dans son univers personnel par la petite porte. Et je dis de dos car nous sommes face à une orbite, celle des années 70 et 80, loin des standards conservateurs des anciennes générations de ces années-là. On retrouve ici un monde parallèle de la transgression qui garde encore aujourd’hui sa fraîcheur intacte, après presque 40 ans de va-et-vient des nouvelles générations, engloutissant tout sur son passage du Baby Boomer à la Génération Z.

« Nouvelles femmes rares » est composé de nouvelles colorées après leur création, grâce à une impression moins chère, comme le relate justement son auteur dans le prologue. Couvrant près de deux décennies, il contient un échantillon complet de l’évolution du dessin et du récit de Nazario. Toutes les questions qu’il aborde, comme la curiosité, le mystère ou l’impudence des femmes de différentes couches sociales, il les observe avec cette acuité visuelle du voyeur, qui a planifié tout son travail. 9.



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