Nanterre se prépare à plus de violence : « Vous pouvez être sûr que l’ambiance sera encore plus sombre ce soir »


La mort de Nahel, 17 ans, met le feu à la France. Les habitants de sa ville natale de Nanterre avertissent que des réformes profondes au sein de la société sont nécessaires pour empêcher les émeutes de s’aggraver davantage. « Ils disent que nous n’aimons pas la France, mais le pays vient de nous tourner le dos. »

Paul Noteteirs

« Parfois, la violence est le seul moyen de faire entendre sa voix. » Le parc municipal de Nanterre est généralement un lieu animé où se rencontrent les résidents des complexes d’appartements à proximité, mais jeudi soir, l’endroit a changé presque au point d’être méconnaissable. Le moulin à chevaux coloré, comme de nombreux autres jouets, a été incendié et des déclarations de guerre contre le gouvernement et la police sont écrites sur les murs du kiosque.

La résidente locale Tracy (26 ans) n’approuve pas la destruction, mais comprend d’où elle vient. Mardi matin, à quelques kilomètres de là, la vie de Nahel, un adolescent qui vivait avec sa mère célibataire dans le quartier populaire du Vieux-Pont, a pris fin brutalement et tragiquement. Le jeune homme a paniqué lors d’un contrôle routier car il n’avait pas de permis de conduire et a menacé de continuer à conduire. Un officier lui a alors tiré dans la poitrine à bout portant. Les images choquantes de la violence sont devenues virales, déclenchant des émeutes et des pillages à travers le pays.

« Je n’approuve pas l’agression, mais ça ne me choque pas », a déclaré Elodie, 34 ans, alors que les pompiers tentaient d’éteindre jeudi soir l’agence de la banque Crédit Mutuel dans le centre-ville. La marche blanche que la mère de Nahel a organisée quelques heures plus tôt s’est une nouvelle fois soldée par des violences et les ravages sont énormes. Les flammes des voitures en flammes se reflètent dans les éclats des nombreuses vitrines tombées et il y a encore des pierres au sol qui ont été bombardées sur la police.

Elodie elle-même opte pour la manifestation pacifique, même si elle ne pense pas que cela fasse une grande différence. « L’assassin de Nahel a été arrêté, mais il sera relâché. Au bout du compte, c’est toujours la France : la police s’en tire à bon compte. Ce n’est pas la première fois que quelque chose comme ça se produit et ce ne sera pas la dernière. »

Des voitures accidentées sont éparpillées dans toute la ville.Figurine Franky Verdikt

De nombreux jeunes qui jouent au chat et à la souris avec des milliers de policiers jeudi soir disent voir une tendance à la violence policière. Selon eux, les personnes de couleur sont traitées plus souvent et plus durement que le reste de la population. La mort des adolescents Zied Benna et Bouna Traoré dans la banlieue parisienne de Clichy-sous-Bois n’a pas été oubliée. Ils ont été électrocutés lorsqu’ils ont tenté d’échapper à un contrôle de police en 2005.

À l’époque, le président de l’époque, Nicolas Sarkozy, a réagi de manière plus distante que l’actuel chef de l’État Emmanuel Macron, mais selon Tracy, peu de choses ont changé en dehors du style. L’année dernière, treize personnes sont mortes après avoir été abattues par la police lors d’un contrôle routier, un record. « Si la police s’exprimait différemment, nous pourrions aussi réagir différemment la prochaine fois », explique la jeune femme. La mère de Nahel a peut-être dit dans une interview qu’il s’agit pour elle d’agents toxiques spécifiques et qu’elle ne souhaite pas réformer tout le système policier, mais une partie de la population de Nanterre pense le contraire. « Tous les flics sont des bâtards», est écrit à la craie sur plusieurs façades.

Alors que la police construit lentement des barricades vers onze heures du soir et fait appel à un hélicoptère pour patrouiller, Bénédicte (52 ans) se traîne dans le parc déçue. Elle vit à Nanterre depuis dix ans et dit qu’il est trop simpliste de voir les émeutes uniquement comme une réponse aux violences policières. Elle souligne la grande pauvreté et les problèmes d’éducation qui affectent la région. Ceux qui n’ont plus d’espoir d’acquérir une meilleure position socio-économique sont plus facilement perdus.

« Le gouvernement local achète la paix sociale en autorisant la petite délinquance et cela s’intensifie à un moment donné. » Elle voit une ligne directe entre les nombreux trafiquants qui causent des nuisances toute l’année et le groupe qui opte pour la violence au lendemain de la mort de Nahel. Ils sont à la fois le résultat d’un pessimisme excessif et d’un nihilisme quant à l’avenir. « Il y a eu une marche blanche, mais tout cela n’a rien à voir avec la justice », dit-elle, tandis que des jeunes récupèrent des pneus de voiture un peu plus loin. « Vous pouvez être sûr que l’atmosphère sera encore plus sombre ce soir. »

Ils se révèlent être des paroles prophétiques. Vers minuit, de plus en plus de groupes de jeunes s’installent dans le centre-ville. Leurs visages sont souvent cachés derrière des bandanas, mais le regard dans leurs yeux et surtout les cocktails Molotov dans leurs mains prédisent que rien de bon n’est en magasin. Des dizaines de voitures sont traînées au centre de la rue et incendiées, tandis que de plus en plus d’explosions se font entendre. « C’est dangereux ici », nous avertit un garçon maigre, tenant une barre de fer dans ses mains. « Notre colère s’exprimerait un jour, c’était écrit dans les étoiles. »

null Image Franky Verdickt

Figurine Franky Verdikt

La nuit est longue et très violente. Partout en France, des commissariats et des mairies sont incendiés et 250 agents sont blessés. Ce n’est que le lendemain matin que l’on se rend compte de l’ampleur des dégâts à Nanterre. Les citoyens plus âgés quittent prudemment leurs maisons et manœuvrent leurs chiens devant des voitures accidentées et des poubelles incendiées.

« Je n’ai jamais rien vécu de tel qu’hier », déclare l’employé de la ville Drame (48 ans), alors qu’il racontait le lendemain nettoyer la cour de récréation locale. Il a pourtant l’habitude. Il montre par exemple le boîtier en fer qui se cache dans sa casquette et qui est censé le protéger au quotidien des citoyens frustrés qui lui lancent des bouteilles depuis les appartements les plus hauts. « La justice devrait punir l’officier, pas les jeunes », dit-il. Après tout, il n’y a pas que la police ou le gouvernement qui sont touchés par la violence. Les entrepreneurs locaux mesurent les dégâts dans leurs magasins détruits vendredi matin, les citoyens découvrent que tout ce qui reste de leur voiture durement gagnée est un tas de ferraille.

« Les citoyens sont effectivement touchés par cela, mais les services d’assurance s’en chargeront », assure Abdel (35 ans), qui s’adosse à un accident de voiture en maillot de foot. « Quel autre moyen reste-t-il pour que les gens nous écoutent? » Selon lui, la mort de Nahel est une raison pour parler de problèmes de longue date tels que la brutalité policière et le traitement inégal des minorités. La destruction est malheureuse pour lui, mais acceptable. Bien que cela puisse conduire à un cercle vicieux : dans lequel l’agression par des civils conduit à une répression sévère, ce qui pousse les civils à se révolter encore plus. Alors qu’il explique son point de vue, un groupe de résidents locaux hochant la tête se rassemble autour de lui. « Ils disent que nous n’aimons pas la France, mais le pays vient de nous tourner le dos. Ils ne nous aiment pas. »

L’homme s’attend à ce que les émeutes se poursuivent encore longtemps. Plusieurs mairies françaises semblent également anticiper cela et annoncent un couvre-feu pour le week-end à venir. Mais même si les émeutes autour de Nahel s’atténuent, il est certain qu’il en faudra peu pour faire dérailler à nouveau les relations entre civils et policiers.

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Figurine Franky Verdikt



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